La grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne a estimé le 16 janvier 2024 que, en fonction des conditions prévalant dans le pays d’origine, des groupes de femmes partageant une caractéristique commune mais plus largement les femmes dans leur ensemble peuvent se prévaloir d’une persécution infligée en raison de leur appartenance à « un certain groupe social » au sens de la Convention de Genève de 1951 (CJUE, Gde chambre, 16 janvier 2024, aff. C‑621/21, WS c/ Darzhavna agentsia za bezhantsite). Pour parvenir à cette conclusion inédite, la Cour s’est fondée sur la notion de genre biologique ou social qui est au cœur de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes signée dans le cadre des Nations unies le 18 décembre 1979 (ratifiée par tous les États membres- et de la convention d’Istanbul conclue le 11 mai 2011 dans le cadre du conseil de l’Europe (signée par l’Union européenne mais non par l’État mis en cause, la Bulgarie) dont l’article 60 invite les États à prendre toute mesure « pour que la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution ».
La Cour de justice devait trancher si les femmes pouvaient être considérées dans leur ensemble comme appartenant à « un certain groupe social » ou, comme cela était jusqu’alors traditionnellement admis, devaient partager une caractéristique commune supplémentaire pour appartenir à un tel groupe. Littéralement, l’article 10, § 1 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 subordonne l’existence d’« certain groupe social » à deux conditions cumulatives : le partage d’un trait d’identification (une « caractéristique innée », une « histoire commune qui ne peut être modifiée » ou une « caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce ») ; l’existence d’une « identité propre » du groupe « perçu comme étant différent par la société environnante ». La Cour a estimé que le premier critère était satisfait dans le cadre des femmes au motif que « le fait d’être de sexe féminin constitue une caractéristique innée et suffit, partant, à satisfaire » à la condition d’un trait d’identification commun (pt 49). Simultanément, des femmes peuvent partager un trait commun supplémentaire. En particulier, le fait pour des femmes de s’être soustraites à un mariage forcé ou, pour des femmes mariées, d’avoir quitté leurs foyers, peut être considéré comme une « histoire commune qui ne peut être modifiée » (pt 51). La seconde condition d’identification (« l’identité propre ») est également remplie car « les femmes peuvent être perçues d’une manière différente par la société environnante et se voir reconnaître une identité propre dans cette société, en raison notamment de normes sociales, morales ou juridiques ayant cours dans leur pays d’origine » (pt 52). Il en est de même lorsque ces normes ont pour conséquence que ces femmes, en raison de cette caractéristique commune, sont perçues comme « différentes » soit par l’ensemble de la population, soit sur une partie du territoire (pt 54).
La Cour de justice en tire la conséquence que les femmes relèvent dans leur ensemble d’« certain groupe social » lorsqu’elles sont exposées à des violences physiques ou mentales en raison de leur sexe (pt 57). Même si ce point était déjà acquis, il en est de même pour les femmes qui refusent un mariage forcé ou enfreignent une norme sociale en mettant fin à ce mariage si elles sont pour cette raison stigmatisées et exposées à la réprobation de la société environnante par une exclusion sociale ou des actes de violence. Le raisonnement a été étendu aux femmes exposées à un risque de torture ou de traitements inhumains et dégradants ou à un risque de mort émanant d’un membre de leur famille ou de leur communauté pour avoir transgressé des normes culturelles, religieuses ou traditionnelles. Elles peuvent dans ce cas se prévaloir de la protection subsidiaire (pt 80).
Les acteurs investis d’un pouvoir étatique doivent avoir non seulement la capacité de protéger les femmes concernées en disposant notamment d’un système judiciaire effectif mais également manifester la volonté d’agir efficacement et de manière non temporaire (pt 64).
Sur la base d’une analyse géopolitique détaillée, la Cour nationale du droit d'asile a acté que la Bande de Gaza était en proie à un conflit armé opposant les forces du Hamas (qui contrôle ce territoire depuis 2007) et les forces armées israéliennes qui s’inscrit dans un continuum depuis 1948. Cette situation a été gravement envenimée depuis les attaques coordonnées du Hamas lancées le 7 octobre 2023 (1 200 victimes) et la riposte d’Israël (au 5 février 2024, 27 478 Palestiniens tués, 835 blessés, 7 780 disparus, près de deux millions de personnes déplacées internes soit environ 85 % de la population). Au regard du conflit en cours et de la situation humanitaire, la Cour en conclut que la situation dans la Bande de Gaza est caractérisée par une situation de violence aveugle d’intensité exceptionnelle au sens de l’article L. 512-1, 3° du Code des étrangers justifiant une admission à la protection subsidiaire des civils qui résident dans ce territoire (CNDA, 12 févr. 2024, n° 22054816).
Le droit français ne permet pas d’opposer un refus d’entrée à un étranger qui a pénétré sur le territoire français en franchissant une frontière intérieure terrestre sans que soient respectées les garanties prévues par la directive « retour ». Il en a tiré les conséquences que le Code des étrangers n’était pas conforme à la directive (CE, 27 nov. 2020, n° 428178, CIMADE et a.). En 2020, le codificateur a pris acte de cette décision en supprimant les notions de franchissement de la frontière intérieure et de contrôle dans une bande de 10 km en deçà de la frontière.
Saisi d’un recours contre l’article L. 332-3 du Code des étrangers, le Conseil d’État a toutefois saisi pour avis la Cour de justice de l’Union européenne (CE, 24 févr. 2022, n° 450285, Assoc. ADDE et a.). Il demeurait en effet la question de savoir si, en cas de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures, l’étranger en provenance du territoire d’un État partie à la convention signée à Schengen qui se présente à un point de passage frontalier sans autorisation d’entrée ou de séjour peut se voir opposer un refus d’entrée lors des vérifications effectuées à cette frontière sans bénéficier des garanties énoncées par la directive « retour ». Dans sa réponse (tardive !), la Cour de justice de l'Union européenne a désavoué la position soutenue par le gouvernement français. Elle a estimé que l’application des normes et procédures communes prévues par la directive « retour » ne compromettait pas le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure en permettant notamment, dans des cas déterminés, un éloignement sans délai et sous contrainte. Elle en a conclu que, en cas de réintroduction des contrôles à ses frontières intérieures, les autorités nationales doivent respecter les normes et procédures communes prévues par la directive « retour » lorsqu’elles prononcent un refus d’entrée à l’égard d’un étranger en vue de son éloignement (CJUE, 21 sept. 2023, aff. C‑143/22, Assoc. ADDE et a.).
Tirant les conséquences de cette réponse, le Conseil d'État a estimé que la seconde phrase de l'article L. 332-3 du Code des étrangers, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 16 décembre 2020, était incompatible avec les objectifs de la directive Retour 2008/115/CE du 16 décembre 2008 et a été annulée. Le Conseil d'État ne s’est pas arrêté là. Il a estimé que l’administration pouvait toujours prendre une décision de refus d'entrée à l'égard de l'étranger qui ne satisfait pas aux conditions d'admission sur le territoire lors de vérifications à une frontière intérieure en cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans le cas où une telle décision est prise en vue de la réadmission de l'intéressé par l'État dont il provient en application d'un accord ou d'un arrangement passé par la France avec un autre État. Interprétant les dispositions des articles L. 621-1 et suivants du code relatives aux réadmissions, il renvoie au législateur le soin de définir, dans le respect des exigences de la directive 2008/115/CE, les règles applicables à la situation de l'étranger ayant irrégulièrement franchi une frontière intérieure sur laquelle les contrôles ont été rétablis et qui a fait l'objet d'un refus d'entrée dans la perspective de sa réadmission. En l'état de la législation, les intéressés peuvent faire l’objet d’une retenue pour vérification du droit de séjour et d’un placement en rétention administrative (CE, 2 févr. 2024, n° 450285, Assoc. ADDE et a.).
1. Constitutionnalité de la réforme
Le Conseil constitutionnel a invalidé 32 articles sur 86 de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration et, sur le fond 3, partiellement ou totalement. Les 32 articles ont été invalidés sur le fondement du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution qui subordonne depuis 2008 la recevabilité d’un amendement en première lecture à un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. L’invalidation concernait notamment la réforme du regroupement familial, le droit de séjour des étrangers gravement malades, les conditions de séjour des étudiants étrangers, l’exclusion des étrangers en situation irrégulière du bénéfice de la réduction tarifaire accordée en Île‑de‑France pour certains titres de transport, la peine d’amende délictuelle le séjour irrégulier d’un étranger majeur, l’exigence d’une condition de résidence en France d’au moins cinq ans ou d’affiliation au titre d’une activité professionnelle pour le bénéfice du droit au logement, de l’aide personnelle au logement, de l’allocation personnalisée d’autonomie et des prestations familiales et la réforme du droit de la nationalité. La fixation par le Parlement de quotas d’étrangers autorisés à s’installer en France et la tenue obligatoire d’un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration ont par ailleurs été invalidées au motif que le législateur ne peut pas faire obstacle aux prérogatives que le Gouvernement ou chacune des assemblées tiennent de la Constitution pour la fixation de l’ordre du jour. Le Conseil constitutionnel a également contesté les modalités de relevé des empreintes digitales et de prise de photographie d’un étranger sans son consentement qui n’étaient pas soumises à l’autorisation du procureur de la République et subordonnées à la démonstration d’une nécessité et qui ne prévoyaient pas la présence d’un avocat.
2. Réforme des conditions d’entrée
Motif de refus de visa : le Conseil constitutionnel a validé les deux nouveaux articles L. 312‑1‑1 et L. 312‑3‑1 du code des étrangers introduits par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024. Ces articles prévoient la possibilité de refuser le visa de long séjour et certains visas de court séjour aux ressortissants d’un État coopérant insuffisamment en matière de réadmission de ses ressortissants en situation irrégulière ou ne respectant pas un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires. Introduites en première lecture, ces dispositions étaient en lien avec l’article 13 du projet de loi initial qui introduisait pour la délivrance ou le retrait de certains documents de séjour de nouveaux critères tenant à l’engagement de l’étranger de respecter les principes de la République, l’établissement de sa résidence effective et habituelle en France ou l’absence de menace grave à l’ordre public (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 179 à 182).
Contrôle dans la zone frontalière : Dans sa rédaction tirée de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, l’article L. 812‑3 du code des étrangers autorise des contrôles dans des voitures particulières. Il prévoit par ailleurs des contrôles dans la zone comprise entre le littoral et une ligne tracée à vingt kilomètres en-deçà « en raison de la pression migratoire particulière qui s’y exerce » et dans un rayon maximal de dix kilomètres autour des ports et aéroports constituant des points de passage frontaliers « en raison de l'importance de leur fréquentation et de leur vulnérabilité ». La loi du 26 janvier 2024 a par ailleurs introduit un article L. 812‑5 dans le code des étrangers pour contrôle les navires en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des pièces ou documents de séjour ou de rechercher et constater les infractions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France. Suivant ce cadre, les officiers de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale peuvent procéder à la visite sommaire de tout navire ou engin flottant dans les eaux intérieures, la mer territoriale et la zone contigüe. Il ne peut toutefois être procédé à une visite qu’avec l’accord du capitaine du navire ou de son représentant ou, à défaut, sur instructions du procureur de la République (CESEDA, art. L. L. 812‑6). Dans l’attente des instructions du procureur de la République, le navire peut alors être immobilisé s’il est situé dans les limites administratives des ports maritimes pour quatre heures. À défaut ou lorsque l’accès à bord est matériellement impossible, le navire peut être dérouté vers une position ou un port approprié. En toute hypothèse, la visite est limitée au temps strictement nécessaire et se déroule en présence du capitaine du navire ou de son représentant. Lorsque la visite concerne des locaux affectés à un usage privé, la visite est effectuée en présence de l’occupant des lieux ou du capitaine du navire ou de son représentant. La visite donne lieu à l’établissement d’un procès-verbal.
Placement en zone d'attente : l’article 77 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a réécrit l’article L. 342-5 du Code des étrangers pour prévoir que le délai de jugement sur une requête aux fins de maintien en zone d’attente peut être porté à quarante-huit heures en cas de placement simultané d’un nombre important d’étrangers. Le Conseil constitutionnel a acté que le délai imparti au juge des libertés et de la détention pour statuer pouvait conduire à priver de liberté la personne pendant une durée supplémentaire de quarante-huit heures sans que la privation de liberté en résultant, jusqu’au prononcé de l’ordonnance, ne puisse toutefois excéder une durée totale de six jours. Il a par ailleurs observé que le délai de jugement ne pouvait être allongé que sur décision motivé du premier président au regard des contraintes liées au nombre important d’étrangers en zone d’attente. Compte tenu de ces garanties, les dispositions contestées n’ont pas été jugées contraires à l’article 66 de la Constitution (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 257 à 265). Le législateur a par ailleurs inséré au sein du code des étrangers un nouvel article L. 922-3 afin de prévoir les conditions dans lesquelles se déroule l’audience devant le président du tribunal administratif en matière de placement ou de maintien en rétention administrative ou en zone d’attente d’un étranger. L’article 76 réécrit également les articles L. 342-6 et L. 743-7 afin de prévoir les conditions dans lesquelles se déroule l’audience devant le juge des libertés et de la détention. Selon le nouveau dispositif, l’audience se tient dans la salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate de la zone d’attente ou du lieu de rétention. De même, selon l’article L. 922-3, lorsque l’étranger placé en zone d’attente exerce un recours devant la juridiction administrative, l’audience se tient dans cette même salle. La loi prévoit toutefois que le magistrat peut siéger dans les locaux du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe la zone d’attente. Les deux salles d’audience sont alors reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle. Le Conseil constitutionnel a décelé dans cette extension des délocalisations et télé-audiences une contribution à la bonne administration de la justice (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 252).
3. Réforme des conditions de séjour
Travailleurs exerçant dans un métier en tension : en 2022, le gouvernement avait affiché sa volonté d’apporter une solution à une situation intenable pour les étrangers concernés mais également pour des entreprises qui ne parviennent pas à recruter durablement : la présence de travailleurs étrangers en situation irrégulière dans des domaines dits « en tension » car caractérisés par un déficit de la demande d’emploi. Très tôt, l’initiative a recueilli une violente opposition au sein de la droite parlementaire non gouvernementale qui est à l’origine de l’enlisement de la procédure d’adoption de la loi « pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » entre mars et octobre 2023. Pour faire adopter le texte, le gouvernement a dû céder et accepter le principe d’un compromis provisoire (il s’achèvera le 31 décembre 2026) qui aurait pu figurer dans une simple circulaire. Introduit par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, l’article L. 435‑4 du Code des étrangers prévoit en effet que, à titre exceptionnel et sans que les conditions soient opposables au préfet, l’étranger qui a exercé une activité salariée figurant dans la liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement durant au moins douze mois au cours des vingt-quatre derniers mois et occupant un emploi relevant de ces métiers et zones et qui justifie d’une période de résidence ininterrompue d’au moins trois ans en France peut prétendre à une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié » d’un an. Les périodes de séjour et l’activité exercée en qualité de saisonnier, d’étudiant ou de demandeur d’asile ne sont pas prises en compte. Dans l’exercice de sa faculté d’appréciation, le préfet prend en compte la réalité et la nature des activités professionnelles exercées, l’insertion sociale et familiale, le respect de l’ordre public, l’intégration à la société française et l’adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle‑ci et aux principes de la République. L’étranger ne peut se voir délivrer un titre s’il a fait l’objet d’une condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire. La circulaire n° IOMV2402701 du 5 février 2024 des ministres de l’Intérieur, du Travail et de la Santé a détaillé ces modalités.
Sanction de l’emploi d’un travailleur sans titre : l’article L. 8253-1 du Code du travail sanctionnait l’employeur d’un étranger non autorisé à exercer une activité salariée d’une « contribution spéciale » versée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration. La personne qui s’abstient de vérifier, lors de la conclusion d’un contrat portant sur une obligation d’au moins 5 000 € en vue de l’exécution d’un travail, d’une prestation de services ou d’un acte de commerce, que son cocontractant n’emploie pas un étranger sans autorisation de travail, était également concernée. Ce dispositif a été réformé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 qui a cependant confirmé les grandes lignes du droit existant. L’« amende administrative » qui lui succède est en effet prononcée par le ministre de l’Intérieur en conséquence de l’emploi irrégulier d’un étranger sans titre au mépris des articles L. 8251-1 et L. 8251-2 du Code du travail. Pour prononcer cette sanction, le ministre prend en compte les capacités financières de l’auteur du manquement, le degré d’intentionnalité et le degré de gravité de la négligence commise. Comme dans le passé, son montant est au plus égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti (20 500 euros) et peut être majoré en cas de réitération (61 500 euros). L’amende est appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers. Le législateur a également confirmé que, lorsque cette amende est prononcée en même temps qu’une sanction pénale, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé des sanctions encourues. La réforme du 26 janvier 2024 a par ailleurs supprimé le dispositif de « contribution forfaitaire » pour compenser les frais d’éloignement forcé qui était inscrit dans le Code des étrangers.
Séjour des étrangers hébergés dans des conditions indignes : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a inséré dans le code des étrangers un article L. 425‑11 qui reconnaît un droit de séjour au bénéfice de l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre des faits constitutifs de l’infraction de soumission à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine. Le bénéfice d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » d’un an lui est accordé de plein droit. La carte est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale.
Carte de séjour pluriannuelle « talent » : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a modifié le nom de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » qui est remplacée par celle moins ambigüe de « talent ». Le législateur a par ailleurs abrogé les articles L. 421‑10 et L. 421‑13 du code des étrangers. Désormais, sous réserve d’un seuil de rémunération, le code prévoit la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle « talent‑salarié qualifié » pour une durée maximale de quatre ans si la personne concernée exerce une activité salariée sous le couvert d’un diplôme au moins équivalent au master dans une université française, a été recrutée dans une jeune entreprise innovante réalisant des projets de recherche et de développement ou pour exercer des fonctions en lien avec son développement économique, social, international et environnemental ou assure une mission entre établissements d’une même entreprise ou entre entreprises d’un même groupe. La réforme introduit par ailleurs une carte de séjour pluriannuelle « talent‑porteur de projet » d’une durée maximale de quatre ans qui est accordée dans trois hypothèses : étranger diplômé d’un master ou établissant une expérience professionnelle d’au moins cinq ans d’un niveau comparable pour conduire un projet économique « réel et sérieux » ; projet économique innovant reconnu par un organisme public ; investissement économique direct en France.
Contrat d’engagement au respect des principes de la République : l’article 46 de la loi n° 2024-42 insère un nouvel article L. 412-7 dans le code des étrangers afin de prévoir la souscription d’un contrat d’engagement au respect des principes de la République par l’étranger qui sollicite un document de séjour. Le Conseil constitutionnel a estimé que ni la notion de contrat ni les obligations que ce contrat emporte pour l’étranger n’étaient inintelligibles. Sur le fond, il a jugé que le législateur pouvait prévoir qu’un étranger qui sollicite la délivrance d’un document de séjour devait s’engager à respecter des principes, parmi lesquels figure la liberté d’expression et de conscience, qui s’imposent à toute personne, sans condition de nationalité, qui résident en France. Le Conseil n’a pas décelé une rupture d’égalité qui résultait, selon des parlementaires, de la souscription d’un « contrat » d’engagement à respecter plusieurs principes constitutionnels et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 166 à 178).
Modalités d’examen des demandes de titre de séjour : l’article 14 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 prévoit, à titre expérimental, que, lorsque le préfet envisage de refuser de délivrer ou de renouveler un titre de séjour demandé par un étranger, il examine tous les motifs susceptibles de fonder la délivrance d’autres titres. À l’issue de la procédure d’examen, le préfet peut délivrer à l’étranger, sous réserve de son accord, un titre de séjour différent de celui initialement demandé. En cas de refus de séjour, toute nouvelle demande présentée dans l’année qui suit est irrecevable, sauf éléments de fait ou de droit nouveaux. Ce dispositif inédit vise à la fois à faciliter l’admission au séjour d’un étranger dont la situation justifie l’octroi d’un titre différent de celui faisant l’objet de sa demande initiale et éviter au préfet d’avoir à examiner des demandes successives de titres émanant d’une même personne. Le Conseil constitutionnel n’a pas contesté ce dispositif. Une réserve d’interprétation impose toutefois au préfet d’informer l’étranger qu’il doit transmettre l’ensemble des éléments justificatifs permettant d’apprécier sa situation. Par ailleurs, il a estimé que la loi ne pouvait pas restreindre la faculté pour l’étranger débouté de se prévaloir dans l’année qui suit d’éléments de fait ou de droit nouveaux uniquement de permettre la délivrance d’un titre de plein droit (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 56 à 72). Ces nouvelles modalités d’instruction seront conduites à titre expérimental dans au moins cinq départements et au plus dix départements pour une durée maximale de trois ans. Le préfet qui envisage de refuser de délivrer ou de renouveler un titre de séjour devra au préalable examiner tous les motifs susceptibles de fonder la délivrance du titre. À cette occasion, le demandeur transmettra l’ensemble des éléments justificatifs. À l’issue de la procédure d’examen, le préfet pourra délivrer à l’intéressé, sous réserve de son accord, un titre de séjour différent de celui qui faisait l’objet de sa demande initiale. Si le préfet a opposé moins d’un an auparavant un refus d’admission au séjour examiné selon ces modalités, il déclarera irrecevable toute nouvelle demande. Le caractère abusif ou dilatoire de cette nouvelle demande sera présumé, justifiant un refus de d’enregistrement. Dans ces conditions, l’étranger devra attester d’éléments de fait ou de droit nouveaux susceptibles de permettre la délivrance d’un titre de séjour de plein droit. L’élément est réputé nouveau si son apparition est postérieure à la décision de refus ou s’il est avéré que l’étranger n’a pu en avoir connaissance qu’après cette décision.
4. Réforme du départ forcé
Éloignement des demandeurs d’asile déboutés : dans sa rédaction tirée de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, l’article L. 542‑4 du Code des étrangers prévoit que, sous réserve des cas où le préfet envisage d’admettre l’étranger au séjour pour un autre motif, une obligation de quitter le territoire est délivrée sur le fondement et dans les conditions prévues au 4° de l’article L. 611‑1 du code. Jusqu’alors, le préfet n’était pas formellement tenu de prononcer une obligation de quitter le territoire.
Interdiction administrative de retour : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 réforme à la marge le dispositif d’interdiction administrative de retour qui est désormais prononcée pour une durée maximale de cinq ans (contre deux ou trois ans selon les cas) et dix ans en cas de menace grave pour l’ordre public (CESEDA, art. L. 612‑6 à L. 612‑8). La loi prévoit par ailleurs que motifs de l’interdiction de retour sur le territoire français donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans (CESEDA, art. L. 613-9). Le préfet tient à cette occasion compte de l’évolution de la menace pour l’ordre public que constitue la présence de l’intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu’il présente, en vue de prononcer éventuellement l’abrogation de cette décision.
Protection des étrangers visés par une obligation de quitter le territoire : la réforme du 26 janvier 2024 a supprimé les protections reconnues aux étrangers majeurs contre une obligation de quitter le territoire au titre de leur situation personnelle, privée ou familiale. Cette suppression trouve son fondement dans la volonté d’individualiser la prise en compte des situations personnelles pouvant conduire les préfets à ne pas prononcer une mesure d’éloignement. Comme l’a résumé la circulaire n° IOMV24027123 du ministre de l’Intérieur du 5 février 2024, l’application automatique in abstracto de la protection est désormais remplacée « par une évaluation au cas par cas in concreto des situations individuelles, dans le cadre d’un examen de proportionnalité. » Le législateur a également pris acte que les situations de protection légale permettaient la délivrance d’un titre de séjour de plein droit dans la plupart des cas (conjoint de Français, étranger arrivé en France avant l’âge de 13 ans, étranger gravement malade, etc.). Dans le passé, le Conseil constitutionnel n’a jamais contesté une modification des catégories d’étrangers protégés au motif que « les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux », le législateur peut porter atteinte à leur liberté d’aller et venir et concilier leurs droits fondamentaux « avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle » (Cons. const., 13 août 1993, n° 93-325 DC. Cons. const., 13 mars 2003, n° 2003-467 DC, consid. 35 et 110). Suivant cette analyse, les catégories d’étrangers protégés peuvent être remises en cause par le législateur pour des motifs tirés de la protection de l’ordre public. Plus largement, une mesure de départ forcé ne peut pas être contestée au motif qu’elle méconnaîtrait un droit de séjour reconnu à des étrangers par la Constitution. Cette jurisprudence a été confirmée. Sur le fond, le Conseil constitutionnel a observé que le législateur avait entendu permettre qu’une obligation de quitter le territoire puisse être prononcée y compris à l’encontre d’étrangers qui bénéficiaient jusqu’alors d’un régime de protection. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public, tout maintenant la protection dont bénéficiait les mineurs. La réforme n’a donc pas été contesté sur le fond. Tout au plus, il a rappelé qu’une obligation de quitter le territoire était édictée après vérification du droit au séjour au regard notamment de la durée de présence sur le territoire, de la nature et de l’ancienneté des liens avec la France et des considérations humanitaires pouvant justifier un tel droit (CESEDA, art. L. 613-1). Par ailleurs, comme c’est la règle depuis 1990, l’éloignement ne peut intervenir avant l’expiration du délai de recours ou avant que la décision du juge s’il a été saisi (CESEDA, art. L. 722-7). Pour ces raisons, le Conseil a estimé que le législateur pouvait supprimer le principe d’une liste d’étrangers protégés sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, consid. 127 à 134).
Contentieux de l’obligation de quitter le territoire : depuis la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, le Code des étrangers prévoyait trois régimes fondés sur des délais de recours variables en fonction des motifs de l’obligation de quitter le territoire et des mesures de surveillance : trente jours, quinze jours ou quarante-huit heures. Formellement, la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a confirmé ce modèle qui reste applicable aux ressortissants de l’Union européenne, tout en réformant les délais de recours (un mois, sept jours, quarante-huit heures) et les délais de jugements (entre six mois et 96 heures selon les cas). La simplification résulte des dispositifs de jugement, au nombre de douze au lendemain de la réforme du 7 mars 2016, qui ont été réduit (quatre ou sept, selon le mode de calcul).
Obligation de quitter le territoire visant un détenu : le régime d’obligation de quitter le territoire applicable aux détenus a de nouveau été modifié par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 qui prévoit un délai de recours de sept jours et un délai de jugement de quinze jours (CESEDA, art. L. 614-3 et L. 921-1). Si l’étranger est placé en rétention après sa libération, le délai de recours est fixé à quarante-huit heures, avec un délai de jugement de 96 heures (CESEDA, art. L. 614-2 et L. 921-1). En toute hypothèse, l'étranger détenu doit être informé dans une langue qu'il comprend, dès la notification de la décision portant obligation de quitter le territoire, qu'il peut demander au président du tribunal administratif l'assistance d'un interprète et d'un conseil avant même l'introduction de sa requête (CESEDA, art. L. 613-5-1).
Expulsion pour nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État : les articles L. 631-2 et L. 631-3 du Code des étrangers exigent un seuil de menace à l’ordre public plus élevé pour expulser les étrangers faisant l’objet d’une protection, tout en fixant des limites à cette protection. La réforme du 26 janvier 2024 a étendu le périmètre de cette réserve d’ordre public qui permet d’expulser des étrangers normalement protégés sur le fondement de la « menace grave à l’ordre public » visée à l’article L. 631-1 : condamnation à une peine de prison ferme supérieure à trois ans, contre cinq ans jusqu’alors (depuis 2024, la levée de protection intervient au regard de la peine encourue et non du quantum de la peine prononcée) ; polygamie (ce motif figurait dans le code depuis la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021) ; faits à l’origine de l’expulsion commis à l’encontre de son conjoint, d’un ascendant ou de ses enfants ou d’un enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale (le périmètre a été élargi en 2024) ; faits à l’origine de l’expulsion visant une personne protégée au titre de ses fonctions (titulaires d'un mandat électif public et les personnes mentionnées aux 4° et 4° bis des articles 222-12 et 222-14-5 du Code pénal) ; étranger en situation irrégulière. Sur ce dernier point, les protections reconnues par l’article L. 631-2 du code sont levées si l'étranger séjourne irrégulièrement, sauf si l’irrégularité résulte d’un retrait de titre de séjour pour un motif de menace à l'ordre public (CESEDA, art. L. 432-4) ou d'un refus de renouvellement (CESEDA, art. L. 412-5 et L. 432-3, 1°). En introduisant ces réserves d’apparence curieuse, le législateur a souhaité interdire un détournement de procédure par l’administration consistant à placer en situation irrégulière un étranger par le retrait de son titre aux seules fins de l'expulser.
Expulsion pour atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, activités à caractère terroriste et provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence : par effet miroir avec la modification de l’article L. 631-2, le législateur a modifié le périmètre de la réserve d’ordre public qui autorise l’expulsion pour une « menace grave à l’ordre public » d’un étranger normalement protégé. Peuvent être désormais invoqués des cas de violences à l’encontre du conjoint, d’un ascendant ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale par un étranger normalement protégé ; une condamnation pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus de prison ou trois ans en réitération de crimes ou délits punis de la même peine ; des faits à l’origine de l’expulsion visant le titulaire d’un mandat électif public ou d’une personne protégée dans l’exercice ou en raison de sa fonction ; un séjour irrégulier, sauf si l’irrégularité résulte d’un retrait de titre de séjour visant un étranger dont la présence menace l’ordre public ou en situation de polygamie. Le législateur a par ailleurs confirmé les dispositions de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 qui avait généralisé la réserve de polygamie à l’ensemble des catégories d’étrangers protégés visés par une mesure d’expulsion fondée sur les motifs définis à l’article L. 521-3 du Code des étrangers.
Interdiction judiciaire du territoire français : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a réformé le dispositif d’interdiction judiciaire du territoire français qui peut désormais viser tout étranger coupable d’un crime, d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à trois ans ou d’un délit pour lequel la peine d’interdiction du territoire français est prévue par la loi. Elle n’est donc plus conditionnée à l’existence d’un crime ou délit prévoyant le principe d’une interdiction judiciaire du territoire français (Code pénal, art. 131‑30). En second lieu, la loi a mis fin à l’obligation de motivation spéciale pour certains étrangers qui existait depuis 2003 (Code pénal, ancien art. 131‑30‑1). Corrélativement, la juridiction doit tenir compte de la durée de la présence de l’étranger sur le territoire, de la nature, de l’ancienneté et de l’intensité de ses liens avec la France. Enfin, la loi prévoit désormais que la peine cesse ses effets à l’expiration de la durée fixée par la décision de condamnation. Cette durée court à compter de la date à laquelle le condamné a quitté le territoire français.
Durée d’assignation à résidence : l’article 42 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a modifié les articles L. 732-4 et L. 732-5 du code des étrangers pour porter à un an, renouvelable deux fois, la durée de l’assignation à résidence de l’étranger visé par une obligation de quitter le territoire français pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n’a pas été accordé, qui doit être éloigné en exécution d’une interdiction de retour ou de circulation sur le territoire français ou d’une réadmission.
Assignation à résidence des demandeurs d’asile : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a inséré dans le code des étrangers un nouveau dispositif d’assignation à résidence ou si besoin rétention du demandeur d’asile dont le comportement constitue une menace à l’ordre public ou qui est en situation irrégulière « afin de déterminer les éléments sur lesquels se fonde sa demande d’asile » et s’il « présente un risque de fuite » (CESEDA, art. L. 523-1). La loi définit une présomption de risque de fuite, « sauf circonstance particulière » : entrée irrégulière ou séjour irrégulier sans présenter une demande d’asile dans les 90 jours suivant l’entrée en France ; déjà débouté d’une demande d’asile en France ou dans un État de l’Union européenne ou a renoncé à sa demande sans motif légitime ; intention de ne pas se conformer à la procédure d’éloignement en cas de rejet de sa demande d’asile ou s’est déjà soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ; a déjà fait l’objet d’une procédure d’éloignement forcé dans un pays de l’Union européenne ; ne se présente pas aux convocations de l’autorité administrative, ne répond pas aux demandes d’information et ne se rend pas aux entretiens prévus. Le maintien en rétention au-delà de 48 heures peut être autorisé pour 28 jours par le juge des libertés et de la détention. La demande d’asile est dans ce cas examinée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides selon la procédure accélérée.
Visite domiciliaire : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a modifié la durée de validité de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention qui autorise les visites au domicile d’un étranger visé par une procédure d’éloignement forcé (CESEDA, art. L. 733‑10). Cette durée passe de 96 heures à 144 heures. Elle a par ailleurs prévu la possibilité de rechercher à cette occasion et retenir tout document attestant de la nationalité de la personne concernée (CESEDA, art. L. 733-11).
Motifs de placement en rétention : le placement en rétention est justifié par un risque de soustraction à la mesure d’éloignement forcé. Ce risque fait l’objet d’une définition légale (CESEDA, art. L. 612-3). Depuis la réforme du 26 janvier 2024, le préfet peut prendre en compte l'ordre public pour justifier un placement en rétention (CESEDA, art. L. 741-1, in fine). Ce motif ne constitue pas un critère autonome de placement en rétention, sauf si l'étranger concerné adopte un comportement menaçant l'ordre public qui établit un risque de soustraction à l'exécution de la mesure d'éloignement. La « menace à l'ordre public » constitue également un motif de demande de prolongation de la rétention au 30ème jour (CESEDA, art. L. 742-4), le législateur ayant supprimé l’exigence d’une « menace d’une particulière gravité » à l’ordre public. Il est de même pour les prolongations au 45ème et 60ème jour (CESEDA, art. L. 742-5).
Délais de rétention administrative : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a ramené de sept jours à 48 heures le délai minimum entre deux mesures consécutives de placement en rétention administrative lorsqu’il existe des circonstances nouvelles de fait ou de droit motivant la nouvelle décision de placement en rétention (CESEDA, art. L. 741‑7). Elle a par ailleurs ajouté comme motif de rétention l’existence d’une « menace pour l’ordre public que l’étranger représente » (CESEDA, art. L. 741‑7). Les délais de rétention sont également modifiés : le premier placement en rétention passe de 48 heures à quatre jours et le deuxième placement de 28 à 26 jours (CESEDA, art. L. et L. 742‑3). La durée totale de rétention reste toutefois fixée à 90 jours.
Rétention des mineurs : la réforme du 26 janvier 2024 prohibe le placement en rétention des mineurs accompagnant, tout en rappelant la possibilité de les soumettre à une assignation à résidence (CESEDA, art. L. 741-5 et L. 730-1). Cette interdiction ne s'appliquera toutefois à Mayotte (où sont enregistrés près de la moitié des placements en rétention en France) qu’à compter du 1er janvier 2027 !
Audience de maintien en rétention : l’article 76 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a réécrit les articles L. 342-6 et L. 743-7 afin de prévoir les conditions dans lesquelles se déroule l’audience devant le juge des libertés et de la détention. Selon le nouveau dispositif, l’audience se tient dans la salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate de la zone d’attente ou du lieu de rétention. De même, selon l’article L. 922-3, lorsque l’étranger placé ou maintenu en rétention exerce un recours devant la juridiction administrative, l’audience se tient dans cette même salle. La loi prévoit toutefois que le magistrat peut siéger dans les locaux du tribunal administratif ou au tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention. Les deux salles d’audience sont alors reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle. Le Conseil constitutionnel a décelé dans cette extension des délocalisations et télé-audiences une contribution à la bonne administration de la justice (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 252). À ce titre, il a détaillé les garanties processuelles (cons. 253) et techniques (cons. 254).
Appel contre l’ordonnance de libération du centre de rétention : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour prévoit que le délai de carence avant la libération du centre de rétention ordonnée par le juge des libertés et de la détention passe de dix heures à 24 heures (CESEDA, art. L. 743‑19). Ce délai correspond au délai appel, conférant au recours engagé par le procureur de la République un effet suspensif automatique) ! La loi confère par ailleurs un caractère suspensif de l’appel interjeté contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention mettant fin à la rétention lorsque le motif de la mesure est lié à des faits de terrorisme (CESEDA, art. L. 743‑19).
5. Réforme de l’asile
Création de pôles territoriaux : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 prévoit la création de pôles territoriaux (« France Asile ») qui seront progressivement déployés sur l’ensemble du territoire français après la mise en place de trois sites pilotes (CESEDA, art. L. 121-17). Sans se prononcer sur le fond, le Conseil constitutionnel a estimé que ces dispositions présentaient un lien avec le projet de loi initial qui avait pour objet de créer des pôles territoriaux « France asile » en vue d’effectuer l’introduction de la demande d’asile auprès de l’Office (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 204 à 207). Ces pôles effectueront l’enregistrement de la demande d’asile par le préfet, assureront l’octroi des conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile et l’évaluation de sa vulnérabilité et de ses besoins particuliers par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, transmettront la demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, procèderont à un entretien personnel. Le demandeur d’asile pourra compléter sa demande jusqu’à l’entretien personnel qui ne pourra intervenir avant un délai de 21 jours suivant l’introduction de la demande d’asile, hormis les cas où l’office prend une décision d’irrecevabilité ou statue dans le cadre des procédures accélérées.
Refus des conditions matérielles d’accueil : l’article 66 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a modifié le premier alinéa des articles L. 551-15 et L. 551-16 du code des étrangers afin de prévoir que, dans certains cas, l’Office français de l’immigration et de l’intégration refuse les conditions matérielles d’accueil auxquelles peut prétendre un demandeur d’asile ou y met fin.
Statut des juges non professionnels : suivant l’article L. 131-4 du code des étrangers introduit par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, les membres des formations de jugement sont astreints à participer à plus de douze journées d’audience par an. Or, lorsqu’elle siège en formation collégiale, la formation de jugement peut comprendre, outre son président et une personnalité qualifiée, un magistrat non permanent. Ainsi, en prévoyant qu’un magistrat non permanent doit avoir au moins six mois d’expérience en formation collégiale pour pouvoir statuer à juge unique, l’article L. 131-5 implique nécessairement que ce magistrat n’ait pris part qu’à des audiences en formation collégiale au cours de cette période. Ne décelant aucune imprécision, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 245 à 247).
Organisation de la Cour nationale du droit d'asile : depuis la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, la Cour nationale du droit d'asile peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres territoriales et des chambres spécialisées en fonction du pays d’origine et des langues utilisées (CESEDA, art. L. 131‑3).
Formation de jugement : en vertu de l’article 70 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, les décisions de la Cour sont rendues par le président de la formation de jugement statuant seul, sauf si le président de la Cour ou de la formation de jugement décide qu’une affaire nécessite un examen devant une formation collégiale (CESEDA, art. L. 131-5). Le Conseil constitutionnel a estimé que le principe d’un juge unique ne portait pas atteinte aux droits de la défense. Il a par ailleurs été relevé que le président de la Cour ou de la formation de jugement pouvait à son initiative ou à la demande du requérant renvoyer l’examen d’une affaire à une formation collégiale à tout moment de la procédure si une question qui le justifie. Le Conseil constitutionnel n’a vu dans ces modalités ni discrimination injustifiée ni atteinte au droit au procès équitable, aux droits de la défense et au principe d’égalité devant la justice (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 236 à 244).
Statuant le 7 mars 2022 dans le cadre de la procédure d’urgence prévue par l’article 39 de son règlement, la Cour européenne des droits de l'homme avait estimé que l’éloignement forcé d’un ressortissant ouzbek de la France vers son pays l’exposait à des risques de traitements inhumains ou dégradants et avait demandé aux autorités françaises de suspendre la procédure dans l'attente de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. La demande de suspension avait été prorogée le 26 avril 2022 après le rejet définitif de la demande d’asile dans l’attente d’une décision sur le fond de la Cour européenne des droits de l'homme. Alors que l’intéressé était assigné à résidence depuis le 23 mars 2022, le ministre de l’Intérieur a pourtant mis à exécution l’arrêté d’expulsion le 13 novembre 2023.
Au motif que la condition d'urgence n’était plus remplie dès lors que la personne concernée avait été remise aux autorités ouzbèkes, le juge du référé du tribunal administratif de Paris avait rejeté la demande de suspension de la mesure d’éloignement.
Le Conseil d'État a annulé cette ordonnance en rappelant que la procédure de référé liberté permet d'ordonner toutes mesures nécessaires pour protéger une liberté fondamentale, notamment pour permettre un retour en France comme dans le cas présent. Le Conseil relève que le ministre de l’Intérieur a porté atteinte au droit d'exercer un recours effectif protégé par la Constitution et les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en faisant échec aux mesures provisoires de la Cour européenne des droits de l'homme. Prenant acte qu’il n’existe « aucun obstacle objectif empêchant le gouvernement français de se conformer à la mesure prescrite » par la Cour européenne des droits de l'homme, le juge du référé du Conseil d'État en a conclu que l'éloignement à destination de l'Ouzbékistan constituait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il a en conséquence enjoint au ministre de l’Intérieur, sans astreinte financière, de prendre dans les meilleurs délais toutes mesures utiles afin de permettre le retour du requérant en France (CE réf., 7 déc. 2023, n° 489817).
En clair, il est enjoint aux autorités françaises d’engager un improbable dialogue diplomatique avec le gouvernement ouzbek, alors même que le ministre de l’Intérieur s’est publiquement engagé à exécuter les mesures d’éloignement forcé des personnes soupçonnées d’être impliquées dans des actes terroristes, y compris lorsqu’une décision de la Cour européenne des droits de l'homme y fait obstacle.
Selon la directive du 13 décembre 2011, la qualité de réfugié peut être accordée à une personne menacée de poursuites ou de sanctions pour avoir refusé d’effectuer le service militaire en cas de conflit où pourrait être commis des crimes de guerre. Cette législation vise la situation dans laquelle le service militaire accompli supposerait lui-même de commettre des crimes de guerre dans un conflit déterminé, y compris lorsque la personne ne participerait qu’indirectement à la commission de tels crimes. Dans ce cas, le refus d’effectuer le service militaire constitue le seul moyen permettant au demandeur du statut de réfugié d’éviter la participation aux crimes de guerre allégués, ce refus se rattachant par présomption à un motif de persécution (CJUE, 26 févr. 2015, aff. C 472/13, A. L Shepherd c/ Bundesrepublik Deutschland).
Transposant cette analyse à la situation des Russes qui ont refusé de se soumettre à l’ordre mobilisation et de participer la guerre en Ukraine, la Cour a estimé que ce refus constituait une opinion politique justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Plusieurs enquêtes ont conclu à l’existence de crimes de guerre commis par les forces armées russes, notamment une commission d’enquête internationale indépendante créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Il a par ailleurs été relevé que l’ordre de mobilisation du 21 septembre 2022 était particulièrement large compte tenu des règles régissant la réserve en Russie qui ne comprend pas seulement les hommes russes ayant accompli leur service militaire. Sur ce pont, il n’était pas possible d’échapper au service militaire pendant la période de mobilisation partielle en accomplissant un service civil alternatif, la mise en œuvre de la mobilisation étant entachée de nombreuses irrégularités s’agissant du public concerné et des procédures de mobilisation. Cette mobilisation partielle est restée en vigueur en droit et en fait, les réfractaires s’exposant à des poursuites et à des sanctions pénales renforcées par la suite. La seule appartenance à la réserve ne suffisant pas à démontrer qu’un ressortissant russe serait effectivement amené à participer directement ou indirectement à la commission de crimes de guerre, la Cour impose au demandeur d’asile de fournir des éléments pertinents établissait qu’il est effectivement soumis à une obligation militaire dans le cadre de la mobilisation partielle ou d’un recrutement forcé.
Dans l’affaire jugée le 20 juillet 2023, elle a estimé que ce lien n’était pas établi et que le requérant avait été exempté du service militaire en 2013 et avait fui son pays en 2019 en invoquant des craintes familiales et religieuses (CNDA Gde form., 20 juill. 2023, n° 21068674).
Dans une lettre circulaire du 5 décembre 2022 adressée aux services des États chargés de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le ministère de l'Intérieur italien a invité le autorités concernées de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie, à l'exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, à compter du 6 décembre 2022, pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. Cette situation entre dans le champ de prévision de l’article 3-2 du règlement n° 604/2013 qui vise l’existence de « sérieuses raisons » de croire qu’un État membre est exposé à des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs (CAA Nantes, 26 sept. 2023, n° 23NT01470).
Cet état de crise systémique a revanche été écarté pour d'autres États membres de l'Union européenne. La cour administrative d'appel de Nantes a rappelé le 29 septembre 2023 que l’existence de défaillances systémiques est par principe présumée non fondée en raison du « niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les États membres de l'Union européenne » (CAA Nantes, 29 sept. 2023, n° 23NT01607). En conséquence, les craintes dont le demandeur fait état « doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire ». Dans le cas de la Pologne, cette preuve ne peut pas résulter à elle seule d’un risque d’éloignement à la suite du rejet de la demande de protection vers la Russie où le demandeur s’expose à un enrôlement dans les forcées armées de son pays. Sur ce point, des documents d’ordre général ne suffisent pas à établir un risque d’atteinte grave au droit d’asile. La capacité des autorités du pays de transfert à assurer une prise en charge effective des demandeurs d’asile a également été actée pour le Portugal (CAA Nantes, 29 sept. 2023, n° 23NT01586), la Belgique, (CAA Nantes, 29 sept. 2023, n° 23NT01573), la Lituanie, (CAA Nantes, 29 sept. 2023, n° 23NT01546) et la Slovénie (CAA Nantes, 29 sept. 2023, n° 23NT01303).
Selon l’article L. 631-3 du Code des étrangers, l’expulsion d’un étranger qui se prévaut d’une protection légale à raison de liens familiaux en France ou d’une présence prolongée peut être prononcée en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État ou d’activités terroristes.
Sous cet angle, le Conseil d'État a estimé qu’un ressortissant marocain âgé de 36 ans, entré en France en 2001 à l'âge de treize ans, en séjour régulier jusqu’en 2023 et vivant en concubinage avec une ressortissante française avec laquelle il a eu quatre enfants français pouvait faire l’objet d’un arrêté d’expulsion en raison de son parcours pénal depuis 2014 (12 condamnations pour un quantum de sept ans de prison et 17 procédures disciplinaires en détention). Le Conseil d'État a notamment pointé les menaces explicites de mort à l'encontre du personnel pénitentiaire et des membres de leur famille au nom de l'islam, ses appels au djihad et des menaces de d’attentats terroristes pour lesquels il a été condamné pour apologie publique du terrorisme. Le risque d'une opération à caractère terroriste est apparu sérieux compte tenu de la gravité et de la récurrence des menaces et violences en lien avec l'idéologie djihadiste, de la fragilité psychologique de l’intéressé et de l'absence de garanties sérieuses de réinsertion. Les conséquences de l’arrêté d’expulsion n’ont pas été jugées disproportionnées au regard de la situation personnelle et familiale du requérant qui se prévalait d’une ancienneté et d’une durée importante de séjour en France, des relations effectives avec ses quatre enfants mineurs français, de la présence en France de ses parents et de ses frères et de sa sœur de nationalité française et de la modestie de ses attaches personnelles au Maroc (CE réf., 13 sept. 2023, n° 488045).
Suivant la même logique, le Conseil d'État a admis la légalité de l’arrêté d’expulsion visant une personne condamnée à cinq ans d'emprisonnement pour avoir participé à la préparation d'actes terroristes et dont l’ancrage dans la mouvance islamiste radicale était corroboré par plusieurs notes des services de renseignements précises et circonstanciées en dépit de la présence d'un enfant français mineur en France (CE réf., 14 août 2023, n° 478448, absence de contribution effective à l'éducation et à l'entretien de l’enfant né en 2022).
Exposant de manière détaillée une jurisprudence constante (V. not. CAA Lyon, 18 oct. 2022, n° 21LY03511), le Conseil d'État a rappelé le 9 août 2023 que l’article L. 611-1 du Code des étrangers ne prévoit pas un droit absolu à être entendu dans le cadre de la procédure d’obligation de quitter le territoire (CE, 9 août 2023, n° 455146).
Dans son arrêt M. A., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013 (aff. C-383/13), la Cour de justice de l'Union européenne en a fixé les limites pour garantir les droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Si l'obligation de respecter ces droits pèse en principe sur les administrations, elles peuvent déterminer les conditions de mise en œuvre du droit d'être entendu qui implique le droit de faire connaître de manière utile et effective un point de vue avant l'adoption de toute décision défavorable.
L’autorité n’est cependant pas tenue d’entendre l'intéressé si celui-ci a pu présenter de manière utile et effective son point de vue au cours de la procédure, notamment avant la notification du refus de titre de séjour (sur ce dernier point, CJUE, 11 déc. 2014, aff. C-166/13, Sophie Mukarubega et 5 nov. 2014, aff. C-249/13, Khaled Boudjlida). Toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure ne constitue toutefois pas une violation des droits de la défense, de sorte que tout manquement au droit d'être entendu n’entache pas systématiquement d'illégalité la décision finale. L’intéressé doit en effet établir qu'il n'a pas pu présenter à l'administration les éléments qui auraient pu influer sur le sens de la décision, à charge pour le juge de vérifier si cette violation l’a effectivement privé de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure aurait pu aboutir à un résultat différent (V. ainsi CAA Lyon, 18 oct. 2022, n° 21LY03511, pour une pathologie psychiatrique et génétique héréditaire nécessitant un traitement et un suivi spécialisé ayant justifié une demande de rendez-vous non satisfaite : « cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent »). Sur ce point, les difficultés de recrutement dans un secteur d’activité et le handicap d’un membre de sa famille ne constituent pas des éléments de preuve (CE, 9 août 2023, préc.).
Près de trois ans après l’ouverture du téléservice « ANEF » et plus d’un an après l’injonction du Conseil d'État à prévoir des modalités d’accompagnement des étrangers qui rencontrent des difficultés pour déposer leur demande de titre de séjour sur le téléservice, l’arrêté du 1er août 2023 définit un cadre d’assistance (JO 4 août 2023, texte n° 8. – CESEDA, art. R. 431-2).
Ce cadre repose en premier lieu sur une assistance téléphonique ou via un formulaire de contact qui est mise en œuvre par le « centre de contact citoyens » de l'Agence nationale des titres sécurisés. Les téléconseillers de ce centre assistent l’« usager », selon le terme retenu par l’arrêté, le renseignent, identifient les anomalies et les transmettent à la direction générale des étrangers en France.
L’arrêté prévoit par ailleurs un accueil physique des « usagers étrangers » en préfecture ou sous-préfecture dans des points d’accueil numérique pour proposer une aide à l'utilisation de l'outil informatique, des informations sur les démarches et un accompagnement à la constitution du dossier dématérialisé. Limite à l’assistance, les agents des points d'accueil numérique ne vérifiant que la complétude des dossiers, ils ne dispensent pas de conseils. Dans le cas où la saisine du centre de contact citoyens n'aboutit pas au dépôt du dossier en ligne, l’étranger concerné peut être orienté vers un point d'accueil numérique de son département de résidence suivant des modalités de prise de rendez-vous déterminées par le préfet.
En toute hypothèse, un dossier n'est recevable que si l'usager est invité par les services de la préfecture à bénéficier de la solution de substitution, après constat de l'impossibilité technique du dépôt de sa demande via le téléservice. Par exception, l'usager peut bénéficier de la solution de substitution s'il produit un document du centre de contact citoyens attestant de l'impossibilité de déposer sa demande en ligne. La demande de titre est alors effectuée en préfecture ou sous-préfecture après un rendez-vous individuel qui doit être systématiquement proposé par « deux vecteurs, dont l'un n'est pas numérique ». Le préfet peut également proposer, si l'étranger en fait la demande, le recours à un dépôt par voie postale ou par une adresse électronique.