Code Lexis-Nexis édition 2019, C. étrangers, Livres 5 et 6
La Cour de cassation a conforté le 13 juin 2019 le large rayonnement de la directive « retour » 2008/115/CE du 16 décembre 2008 (Cass. civ. 1re, 13 juin 2019, n° 16-22.548). Elle a jugé que son application n’était remise en cause ni par les modalités du constat d’irrégularité du séjour (l’intéressé avait été contrôlé à la frontière franco-espagnole dans un bus en provenance du Maroc) ni par les effets de l’état d’urgence. Cette décision balise à sa manière les effets des contrôles systématiques aux frontières intérieures de l’Union européenne réintroduits par le gouvernement français à la suite des attentats du 13 novembre 2015 en conformité avec l'article 25 du règlement 2016/399/UE du 9 mars 2016. Jusqu’alors, le Conseil d'État, qui a refusé de dénoncer des privations de liberté fort contestables (CE, réf., 5 juill. 2017, ANAFÉ et a., n° 411575) et le Parlement, qui s’est borné à conférer une assise législative aux contrôles frontaliers en 2018 (C. étrangers, art. L. 213-3-1), avaient surtout conforté des pratiques censées prévenir une menace terroriste. Le dispositif comportait pourtant une zone d’ombre qui a conduit la Cour de cassation à saisir la Cour de justice de l'Union européenne d’une question préjudicielle pour préciser la portée de l’article 2, § 2 de la directive « retour » qui prévoit que les États peuvent ne pas appliquer la directive aux refus d’entrée prononcés aux frontières extérieures. Dans sa réponse (fort tardive), la Cour a estimé que cette réserve concernait les refus d’entrée prononcés aux frontières extérieures de l’Union (CJUE, 19 mars 2019, aff. C-444/17). Peu importe donc l’analogie avec les contrôles systématiques opérés aux frontières intérieures. La Cour de cassation en a résumé l’idée en observant que « le rétablissement d’un contrôle à la frontière entre l'Espagne et la France, en raison d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure ne modifie pas la nature intérieure de la frontière qu’il a franchie ». On ne saurait mieux dire. La situation d’un étranger arrêté à proximité d’une frontière intérieure au motif qu’il séjourne irrégulièrement relève en conséquence de la directive « retour », même lorsqu’un État procède à des contrôles systématiques (CJUE, 7 juin 2016, Affum, C-47/15). Pour cette raison, les autorités doivent éloigner les intéressés par la voie administrative sans pouvoir prononcer au préalable leur garde à vue. Depuis 2011, ce placement est en effet conditionné à la commission d’un délit punissable d’une peine de prison. Certes, une entrée irrégulière constitue une infraction (C. étrangers, art. L. 621-2). En lui-même, ce délit ne contrevient pas à la directive « retour » car les États « restent libres d'adopter des mesures, même de caractère pénal, permettant notamment de dissuader ces ressortissants de demeurer illégalement » (CJUE, 28 avr. 2011, aff. C-61/11, Hassen el Dridi, point 52). Hors le cas d’un délit connexe, il n'est toutefois possible de recourir à l'action pénale qu'après avoir d'abord cherché à éloigner un étranger en situation irrégulière. À défaut, la garde à vue vicie le placement en rétention. Dans l’affaire commentée, l’Administration était d’autant moins pardonnable qu’elle ne pouvait pas ignorer la jurisprudence « Hassen el Dridi » et qu’elle aurait pu solliciter un placement en retenue (C. étrangers, art. L. 611-1-1).