Code Lexis-Nexis édition 2024 (paru en juin), CESEDA, Livre 6 et Droit des étrangers (Lexis-Nexis), partie 5, 3e éd. 2024 (parue en mai)
Dans trois décisions rendues le 11 juillet 2024, la Cour nationale du droit d'asile a tiré les conséquences de l’arrêt du 16 janvier 2024 de la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne jugeant que peuvent être considérées comme appartenant à « un certain groupe social » les femmes d’un pays, dans leur ensemble, partageant une caractéristique commune (CNDA, 11 juill. 2024, n° 24014128).
Dans l’affaire n° 24014128 qui concernait une ressortissante afghane et ses deux filles mineures, la Cour nationale du droit d'asile s’est appuyée sur plusieurs sources publiques, notamment les rapports du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme du 20 juin 2023, du rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan du 1er septembre 2023 et de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile publié en mai 2024. Ces rapports remettent en cause les déclarations des talibans à leur arrivée au pouvoir le 15 août 2021 et leur communication officielle selon laquelle les femmes afghanes auraient le droit de travailler et d’étudier. Dans les faits, les Afghanes ont été exclues du gouvernement taliban mis en place en septembre 2021 qui a suspendu la Constitution de 2004 et toutes les lois relatives aux droits des femmes. Il a par ailleurs édicté entre septembre 2021 et mai 2023 plus de 50 décrets qui ont remis en cause plusieurs droits et libertés des femmes, notamment leur liberté de mouvement et leur droit d’accès aux soins et à la justice, et encadré leur tenue vestimentaire et leur comportement dans l’espace public. L’arrêt vise notamment les décrets des 18 septembre 2021 (limitation de l’accès à l’éducation aux filles au-delà de 12 ans), 22 décembre 2022 (privation d’accès à l’université) et 23 décembre 2021 (interdiction de se déplacer sans chaperon familial masculin au-delà de 72 kilomètres du domicile). D’autres décrets sont venus restreindre l’activité économique des femmes, notamment le décret du 4 juillet 2023 qui causé la fermeture d’environ 60 000 entreprises appartenant à des femmes. Les conséquences de cette politique discriminatoire reposant sur une incitation des hommes à surveiller leurs épouses et filles (un fonctionnaire peut perdre son emploi en cas d’infraction) ont entraîné plusieurs : disparition des femmes de la sphère publique ; recours limité à la justice ; augmentation des mariages forcés ; violences physiques non réprimées.
La Cour en tire la conclusion que « ces graves mesures discriminatoires (…) qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux des femmes et des jeunes filles en raison de leur appartenance à un certain groupe social (…) doivent être considérées, tant en elles-mêmes que par leurs effets cumulés, comme des actes de persécution » (pt 13). Sur cette base, la Cour accorde le statut de réfugié à la requérante qui n’avait pas manifesté une opposition d’ordre politique ou religieux aux talibans mais avait exprimé son refus de subir les mesures portant atteinte à ses droits et libertés pour le seul fait d’être de sexe féminin. Reconnue aux jeunes filles, l’extension de la protection sur la base des principes généraux du droit applicables aux réfugiés n’a pas été accordée au fils mineur en l’absence de craintes propres.
Dans les deux autres affaires rendues le même jour (n° 24011731 et n° 240006620), la Cour a en revanche considéré que les femmes mexicaines et albanaises ne pouvaient pas être considérées dans leur ensemble comme appartenant à un groupe social. Il a été relevé que ces deux pays avaient adopté des instruments internationaux et des lois nationales pour promouvoir l’égalité entre les sexes et lutter contre les violences subies par les femmes. Pour la Cour, ces textes « traduisent l’évolution des normes sociales aussi bien que morales de cette société démocratique, les phénomènes de discrimination et de violence qui perdurent à l’encontre des femmes (ne pouvant) s’analyser comme l’expression de telles normes sociales, morales ou juridiques traduisant une manière différente de percevoir les femmes par la société environnante mais, au contraire, comme des pratiques désormais réprouvées par cette société » (n° 24011731 pt 12). Dans ces conditions, la Cour en tire la conclusion que les femmes de ces deux pays ne forment pas, dans leur ensemble, un groupe social.