Code Litec 2010, p. 386
Une pratique aussi répandue que contestable consiste, pour l’administration, à « choisir son juge » en s’abstenant de placer un étranger en instance d’éloignement forcé dans un centre de rétention administrative situé dans le ressort d’une juridiction qui ne statue pas dans le sens qu’elle estime opportun. Ce comportement est constitué lorsque le préfet refuse systématiquement de retenir des étrangers dans un centre, dans le cas présent celui de Hendaye, pourtant interpellés dans le département et alors même que ce centre est notoirement inutilisé. Un magistrat délégué de la cour d’appel de Toulouse avait observé que ce transfert était décidé « depuis que s'est développée, dans le ressort de la cour d'appel de Pau, une jurisprudence contestée par l'administration, à tel point que le centre de rétention de Toulouse est actuellement très chargé ». Il en avait conclu que « ce comportement n'est pas conforme au respect des droits de la défense. » Cette conclusion sous-entendait que la mise en échec de la compétence du JLD de Bayonne avait préjudicié aux droits de l’étranger. Elle dénonçait ainsi le fait d’avoir privé un étranger d’une jurisprudence locale réputée plus favorable. La Cour de cassation a rejeté l’argumentation en se fondant sur le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires dans la mesure où le JLD s’était prononcer sur la légalité de la décision de placement en rétention (Cass. 1 civ., 26 janv. 2011, req. nº 09-12665, Louise X... épouse Y... ). Or celle-ci prend la forme d’un acte pris dans l’exercice d’une prérogative de puissance publique au même titre que la mesure d’éloignement forcé et de l’arrêté fixant le pays de retour. Par sa nature, l’appréciation de sa légalité relève donc de la seule compétence du juge administratif. En conséquence, le juge judiciaire doit formellement s’abstenir de prononcer une remise en liberté pour des raisons tirées de l’illégalité d’une telle mesure, fut-ce indirectement par le biais de l’exception d’illégalité.
L’affaire jugée par la Cour de cassation posait également la question de la marge de manœuvre ouverte au préfet lorsqu’il décide de placer un étranger en rétention. En première analyse, le préfet peut se prévaloir d’un pouvoir discrétionnaire au sens où les centres de rétention ont une « vocation nationale » pour recevoir les étrangers en instance d’éloignement « sans considération de la compétence géographique du préfet ayant pris l'arrêté de placement en rétention » et « quel que soit le lieu de (…) résidence ou d(‘)interpellation » des intéressés (C. étrangers, art. R. 551-2). Le préfet met alors en œuvre la mesure d'éloignement « quel que soit le lieu où l'étranger en cause est maintenu en rétention » (ibidem). Pareille rédaction ménage sans contestation possible le pouvoir d’appréciation du préfet qui peut ainsi choisir en opportunité le centre de rétention sans avoir à motiver sa décision. Méconnaissant au passage le champ de sa propre compétence, un autre juge délégué de la cour d'appel de Toulouse avait conclu en ce sens le même jour que l’ordonnance contestée et déférée à la Cour de cassation. Il avait ainsi été observé qu’« il appartient aux autorités administratives de choisir le centre de rétention en fonction notamment des contingences matérielles et des disponibilités » (CA Toulouse ord., 19 mars 2009, req. n° 67/2009, Ahmed Z.). On appréciera au passage la cohérence de la jurisprudence de la Cour d’appel de Toulouse qui a donc produit le même jour deux ordonnances concluant en des directions strictement contraires. Une autre lecture de l’article R. 551-2 du code peut être livrée. Le pouvoir réglementaire a conféré au préfet une marge d’appréciation pour assurer un placement effectif des étrangers et éviter de compromettre un départ forcé au seul motif que le centre situé dans le lieu d’interpellation est complet. De fait, le manque de places dans les centres de rétention constitue une cause importante d’inexécution des mesures de départ forcé, en dépit d’une amélioration constatée ces dernières années : 18 % en 2008 ; 20 % en 2007 ; 30 % en 2006 (5e rapport annuel sur l’immigration, Documentation fr. 2010, p. 96). Le code se réfère d’ailleurs à « la limite de (la) capacité d'accueil » du centre pour justifier un placement. L’article R. 551-2 du code devant être lu à l’aune de cette seule considération, on inclinera à penser que le préfet détourne cette disposition de son objet lorsqu’il ne place pas un étranger dans le centre situé dans le ressort du lieu d’interpellation. Cette présomption de détournement de la loi pourrait bien évidemment être renversée par le préfet en établissant une saturation de ce centre ou encore la nécessité de retenir un étranger à proximité d’un aéroport pour faciliter l’exécution du départ forcé. Si ce n’était déjà la douloureuse question des transferts des étrangers, l’enjeu de ce débat serait sans doute mineur si la jurisprudence judiciaire présentait une unité incontestable. Presque taboue, l’absence notoire d’unité des décisions rendues par les JLD en première instance comme en appel s’inscrit donc en filigrane de l’affaire tranchée par la Cour de cassation le 26 janvier 2011. Pour cette raison centrale, au-delà de la qualification que pourrait retenir le juge administratif s’il était saisi du choix du lieu de rétention, le véritable enjeu demeure donc celui de la clarification du contentieux de la prolongation des étrangers placés en rétention.