Code Lexis-Nexis édition 2018, C. étrangers, Livres 2, 3, 5, 6, 7 et 8
1. Présentation générale
Dans l'attente de la promulgation de la proposition de loi sur la rétention des candidats à l'asile (le texte a finalement été déféré au Conseil constitutionnel), le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif présenté en conseil des ministres le 21 février 2018 sera débattu par le Parlement dans les semaines à venir ; il impacte pour l'essentiel les livres 3, 5 et 7 du Code des étrangers. Pour en mesurer les conséquences, on s'en remettra à l'avis de la section de l'intérieur du Conseil d'État du 15 février 2018 (avis n° 394.206): « Quelques évolutions majeures (…) sont proposées par le projet de loi. Elles se résument pour l’essentiel au choix de privilégier la promptitude de la décision statuant sur la demande d’asile en premier lieu, à celui d'une répartition volontariste des demandeurs d'asile sur l'ensemble du territoire, pour améliorer l'efficacité de leur prise en charge, en deuxième lieu, et à plusieurs mesures visant à lutter contre l’immigration irrégulière, en rendant plus rapide et plus effective la mesure d’éloignement, en troisième lieu. L’essentiel des autres mesures est de nature technique, avec une portée relativement limitée. » En l'état (il est à craindre que le texte soit alourdi devant le Parlement), le projet de loi comprend 38 articles qui réforme le droit de l’asile, entend renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière et modifie les conditions d’entrée et, surtout, de séjour des étrangers.
On pourra regretter que le projet n'ait pas opté pour la voie de la simplification du droit des étrangers (appelé à être recodifié pour des raisons de lisibilité et de cohérence 14 ans après sa promulgation !) dont on signalera quelques traits emblématiques : 9 dispositifs d’éloignement des ressortissants en situation irrégulière (dont certains qui se subdivisent) ; 6 régimes d’assignation à résidence ; 17 mentions de titres de séjour... auxquelles s'ajouteront 4 nouvelles introduites par le projet (chercheur, étudiant, jeune au pair, étranger non communautaire en mobilité intragroupe) ; imbrication des voies de recours en matière d'asile faisant intervenir la Cour nationale du droit d’asile et le tribunal administratif, etc. Cette situation est largement imputable à l’empilement des réformes. Dans le cas présent, le projet de loi soumis à l'examen du Conseil d’État n’a pas pu s’appuyer sur une année entière d'exécution de certaines des mesures issues de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, elle même t précédée de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015. Dans son avis du 15 février 2018 note que cet emballement législatif « à d'aussi brefs intervalles rend la tâche des services chargés de leur exécution plus difficile, diminue sensiblement la lisibilité du dispositif et risque d’entraîner à son tour d’autres modifications législatives pour corriger l’impact de mesures qui, faute de temps, n’a pu être sérieusement évalué. »
2. Économie générale
Réforme générale du droit des étrangers
- Politique d’intégration. Dans son rapport remis au Premier ministre en février 2018 (72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers en France), le député Aurélien Taché part du constat que le seul dispositif dédié à l’intégration des étrangers est constitué par le contrat d’intégration républicaine qui se ramène, au mieux, à 200 heures de français et 12 heures de formation civique. Pour dynamiser la politique d’intégration, le député propose un renforcement du contrat d'intégration républicaine (doublement ou triplement des cours de français ; financement des associations concourant au développement de la maîtrise du français ; accès aux cours pour les demandeurs d’asile ; introduction d’un module sur les codes culturels et sociaux), un accès facilité à la formation professionnelle, la lutte contre les ruptures de parcours d’intégration (simplification et dématérialisation des renouvellements de titres de séjour, généralisation de leur pluri-annualité, accès à la nationalité privilégiant le parcours d’intégration, accès facilité aux comptes bancaires, développement de l’interprétariat, accès au logement, lutte contre l’isolement). Dans sa version présentée en conseil des ministres le 21 février 2018, le projet de loi ne fait directement écho à aucune de ces mesures, pour le moins générales et finalement peu innovantes.
- Codification du droit des étrangers : l’article 27 du projet ouvre une habilitation au gouvernement pour procéder par ordonnance à une nouvelle rédaction de la partie législative du Code des étrangers afin d'en aménager le plan, d’en clarifier la rédaction des dispositions et d’y inclure les dispositions relevant du domaine de la loi et intéressant « directement » l’entrée et le séjour des étrangers en France. Cette refonte du code (vaine, compte-tenu de la frénésie législative et, a priori, de l’absence de codification de la jurisprudence) devra être effectuée à droit constant (sous réserve des modifications destinées à assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes), harmoniser l'état du droit, remédier aux erreurs et insuffisances de codification et abroger les dispositions obsolètes ou devenues sans objet. Le gouvernement sera également autorisé à créer un titre de séjour unique en lieu et place des cartes de séjour « salarié » et « travailleur temporaire » et à simplifier le régime des autorisations de travail pour le recrutement de certaines catégories de salariés par des entreprises bénéficiant d’une reconnaissance particulière par l’État.
Livre 2. Réforme des conditions d’entrée en France
- Rejet d’une déclaration d’appel : l’article 10 du projet permet au juge des libertés et de la détention de rejeter les déclarations d’appels manifestement irrecevables par ordonnance motivée sans convoquer préalablement les parties (C. étrangers, art. L. 222-6).
- Signature des visas. La vignette apposée sur un visa constitue un acte décisoire qui doit comporter une signature au sens de l’article L. 212-1 du Code des relations entre le public et l’administration. Le projet supprime cette signature pour alléger le travail des services consulaires.
Livre 3. Réforme des titres de séjour
- Passeport talent : le projet apporte plusieurs aménagements au dispositif de « passeport talent » créé par la réforme du 7 mars 2016 (C. étrangers, art. L. 313-20). Tout d’abord, il étend son bénéfice au salarié d’une « entreprise innovante ». Le projet vise sur ce point à autoriser les entreprises créées dans le cadre du programme « French Tech visa » à recruter des salariés qualifiés, même si l’entreprise n’a pas le statut fiscal de jeune entreprise innovante au sens de l’article 44 sexies-0 du Code général des impôts. Le passeport talent pourra être délivré sur ce fondement si les fonctions exercées s’inscrivent dans le cadre du projet de développement économique de l’entreprise (et non plus seulement de son projet de recherche et de développement). De même, le dispositif « passeport talent » s’appliquera aux chercheurs relevant de la directive (UE) 2016/801 du 11 mai 2016 et à toute personne susceptible de « participer de façon significative et durable au rayonnement de la France ou à son développement ». Le projet transpose par ailleurs la directive (UE) 2016/801 du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair (C. étrangers, art. L. 313-20). Sur ce fondement, un étranger admis dans un autre État membre de l'Union conformément à la directive pourra séjourner en France après notification de sa mobilité en préfecture pour mener une partie de ses travaux sur la base de la convention d'accueil conclue dans le premier État membre. Le dispositif prévoit une mobilité de longue durée de douze mois ou de courte durée de 180 jours par période de 360 jours. Le conjoint et les enfants du couple seront admis au séjour dans les mêmes conditions que le chercheur. Pour tenir compte de la directive, le projet réforme le dispositif d’accueil des chercheurs et des étudiants européens (C. étrangers, art. L. 313-7). Il crée à cet effet deux nouvelles cartes de séjour temporaire et pluriannuelle « étudiant – programme de mobilité » à destination des étudiants qui relèvent d’un programme de l’Union européenne, d’un programme multilatéral comportant des mesures de mobilité dans des États membres ou d’une convention entre au moins deux établissements d’enseignement supérieur situés dans au moins deux États membres. Il transforme par ailleurs l’autorisation provisoire de séjour délivrée au titulaire d’un master et qui entend compléter sa formation par une première expérience professionnelle ou justifie d’un projet de création d’entreprise en carte de séjour « recherche d’emploi ou création d’entreprise » (C. étrangers, art. L. 311-11). Ce titre, qui ne sera pas renouvelable, sera également délivré au titulaire du passeport talent « chercheur » remplissant les mêmes conditions et à l’étranger qui, à la suite de l’obtention de son diplôme en France, a quitté le territoire moins de quatre ans auparavant et souhaite y revenir pour y exercer une activité en lien avec ses études.
- Séjour des jeunes au pair : le projet transpose les dispositions relatives aux jeunes au pair de la directive (UE) 2016/801 du 11 mai 2016. Il crée à cet effet un statut qui se concrétise par une nouvelle carte de séjour « jeune au pair » destinée à toute personne âgée de 18 à 30 ans venant en France pour améliorer ses capacités linguistiques et hébergée par une famille en contrepartie de la garde d’enfants et de « petits travaux ménagers » (C. étrangers, art. L. 313-9). L’étude d’impact jointe au projet a indiqué qu’environ 6 000 avaient séjourné sur le territoire français en 2015 sous ce motif, classant la France au 3e rang des pays accueillant des jeunes au pair derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.
- Démarches administratives : dans une logique auto-proclamée de simplification des démarches, le projet consacre à l’article L. 311-6 du code un droit pour tout demandeur d’asile de solliciter son admission au séjour sur un autre motif, parallèlement à l’examen de sa demande d’asile. Pour prévenir le dépôt de demandes de titre de séjour aux seules fins de faire échec à l’exécution des mesures d’éloignement, la personne visée par une mesure d’éloignement fondée sur le rejet de sa demande d’asile ne pourra plus solliciter un titre de séjour hors d’un délai qui sera fixé par voie réglementaire.
- Titre « visiteur » : le projet entend sécuriser les conditions de la carte de séjour « visiteur ». Selon la nouvelle rédaction de l’article L. 313-6, son bénéficiaire devra apporter la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources dont le montant doit être au moins égal au salaire minimum de croissance, indépendamment des prestations et des allocations mentionnées à l’article L. 314-8. Il devra en outre justifier de la possession d’une assurance maladie couvrant la durée de son séjour et s’engager à n’exercer aucune activité professionnelle.
- Séjour des parents étrangers d’enfants français : le projet entend lutter contre les reconnaissances frauduleuses du lien de filiation des ressortissants français. Pour l’année 2015, selon l’étude d’impact qui accompagne le projet (p. 222), sur les 2 234 tentatives d’obtention frauduleuse de titres de séjour, les préfectures ont recensé 400 reconnaissances frauduleuses de paternité produites à l’appui d’une demande de titre de séjour et 577 en 2016. Dans ce contexte, le projet conditionne la délivrance du titre de séjour à l’étranger se prévalant de la qualité de parent d’enfant français à la justification de la contribution effective de l’auteur de la reconnaissance de la filiation à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (C. étrangers, art. L. 313-11, 6°). Il modifie par ailleurs la procédure d’enregistrement des reconnaissances du lien de filiation régie par l’article 316 du Code civil pour conditionner l’établissement d’un acte de reconnaissance à la production de justificatifs d’identité et de domicile. Le projet crée enfin un dispositif d’alerte du procureur de la République par l’officier d’état civil pouvant aboutir à une opposition à l’établissement d’un acte de reconnaissance.
- Droit de séjour des apatrides: le projet crée un nouvel article L. 313-26 qui reconnaît un droit à l’octroi d’une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans dès la première admission au séjour du bénéficiaire du statut d’apatride.
- Document de circulation délivré aux mineurs : le projet réforme le titre remis aux mineurs étrangers en fusionnant le document de circulation et le titre d’identité républicain et en clarifiant les conditions de délivrance (C. étrangers, art. L. 321-3 et suiv.). Neuf hypothèses de délivrance sont prévues (C. étrangers, nouvel art. L. 321-4), le projet prévoyant une durée de validité de cinq ans renouvelable. Cette refonte vise à mettre fin à certaines anomalies apparues au fil des réformes (par ex. C. étrangers, art. L. 321-4 et D. 321-16 prévoyant des cas de délivrance de plein droit dans la partie législative et réglementaire), des éléments de complexité (portée des deux titres de séjour) et des lacunes (par ex. enfants d’un ressortissant européen). Compte tenu de nombreux cas de fraude documentaire, le dispositif a été aménagé à Mayotte pour éviter une entrée de plein droit dans l’espace Schengen quand, dans le même temps, des adultes titulaires d’un titre ne peuvent séjourner qu’à Mayotte (C. étrangers, art. L. 832-2).
- Titres délivrés aux travailleurs : le projet habilite le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour réformer les titres de séjour délivrés aux travailleurs étrangers. Avant la loi du 7 mars 2016, les étrangers recrutés en contrat à durée déterminée d’au moins 12 mois bénéficiaient d’une carte « salarié ». Depuis cette réforme, en cas de perte involontaire d’emploi, seuls les bénéficiaires de la carte « salarié » peuvent prétendre au renouvellement de leur titre, au contraire des bénéficiaires de la carte « travailleur temporaire ». Des difficultés sont également apparues dans le cadre de l’admission exceptionnelle au séjour par le travail. Pour résoudre ces difficultés et tenir compte de la situation du marché du travail (caractérisée par une première embauche majoritairement en contrat à durée déterminée), le gouvernement a souhaité fusionner les titres « salarié » et « travailleur temporaire ».
Livre 5.
- Réforme du dispositif d’obligation de quitter le territoire
- Motifs : le projet modifie à plusieurs titres l’article L. 511-1 sans bouleverser son économie générale. Il est ainsi posé que, en cas de rejet d’une demande d’asile et titre de séjour déposé sur un autre fondement, l’intéressé doit faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire sur le fondement de l’article L. 511-1, I, 6° pour éviter un double recours. Les motifs de refus du délai de départ volontaire sont par ailleurs étendus à l’étranger qui présente un risque de soustraction à l’exécution de la mesure d’éloignement au sens de l’article L. 511-1, I, 3°. Suivant la même idée, le risque de fuite pourra être regardé comme établi lorsqu’un étranger a utilisé un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage établi sous un autre nom que le sien et non plus seulement s’il a lui-même contrefait, falsifié ou établi ce document (C. étrangers, art. L. 511-1, II, 3°, e). Le projet insère de même un nouveau motif de risque de soustraction visant l’étranger qui, entré irrégulièrement dans l’espace Schengen, fait l’objet d’une mesure d’éloignement dans un autre État membre ou s’y est maintenu irrégulièrement et, comme l’autorisait déjà la jurisprudence, un risque de soustraction à l’obligation de quitter le territoire quand un étranger a déclaré son intention de ne pas s’y conformer.
- Interdiction du retour : le projet prévoit que l’interdiction de retour prend effet à l’exécution effective de l’obligation de quitter le territoire lorsque l’étranger a rejoint un pays tiers à l’Union européenne et à l’espace Schengen. Il pose par ailleurs le caractère systématique de l’interdiction de retour lorsque l’étranger ne bénéficie pas d’un délai de départ volontaire ou lorsqu’il n’a pas respecté ce délai.
- Contentieux : sans même évoquer l’incroyable complexité qui en a découlé, le dispositif né de la réforme du 7 mars 2016 a fait apparaître quatre difficultés (voir sur ce point CE sect. intérieur, 15 févr. 2018, avis n° 394.206) : délai de 24 heures laissé au juge des libertés et de la détention trop bref (avec le risque que la mesure de rétention soit levée en l’absence de décision dans les délais) ; organisation fréquente de deux audiences par le juge des libertés et de la détention sur la situation d’un même étranger (alors même que l’article L. 512-1 fait obligation de statuer par une seule ordonnance) ; difficultés d’organisation liées à l’intervention simultanée du juge judiciaire et du tribunal administratif dans une période brève ; renvoi d’une affaire par le juge administratif en l’état d’être jugée lorsque le juge des libertés et de la détention a mis fin à la rétention. Pour tenter de résoudre ces difficultés, le projet de loi allonge les délais laissés aux juges pour stater : de 24 heures à 48 heures (voire 72 heures en cas de difficulté) pour le juge des libertés et de la détention ; de 72 heures à 96 heures pour le juge administratif. Sur ce point, le projet ne simplifie rien et maintient notamment les deux délais distincts de six semaines et de trois mois. Dans son avis du 15 février 2018, le Conseil d’État suggère (trop) sobrement « au Gouvernement d’envisager une mesure de simplification en ce sens. »
- Aide au retour : le projet autorise un étranger placé en rétention de solliciter une aide au retour (C. étrangers, art. L. 512-5). Le gouvernement a estimé que cette faculté pourrait inciter la personne concernée à ne pas s’opposer à l’exécution de la mesure de départ forcé. Cette demande ne pourra toutefois justifier, à elle seule, que le juge des libertés et de la détention mette fin à sa rétention.
- Mise en œuvre du départ forcé : dans sa rédaction tiré du projet, l’article L. 513-4 permet de contraindre les étrangers à résider dans un lieu qui leur sera désigné pendant le délai de départ volontaire pour réduire le risque de soustraction à l’obligation de quitter le territoire.
- Encadrement des flux « secondaires » : le projet entend lutter contre le développement des flux « secondaires » au sein de l’espace Schengen. À cette fin, le projet réforme l’article L. 531-1 pour permettre au préfet d’assortir la décision de réadmission d’une interdiction de circulation sur le territoire français d’une durée maximale de trois ans.
- Dispositif de retenue : le projet permet tout d’abord à un policier ou un gendarme n’ayant pas la qualité d’officier ou d’agent de police judiciaire de procéder à des vérifications pendant la retenue, sous le contrôle de l’officier de police judiciaire. Il allonge surtout la durée maximale de retenue à 24 heures. Le projet autorise encore l’inspection visuelle et la fouille de bagages avec l’accord de l’intéressé ou, à défaut, après en avoir informé le procureur de la République. Il permet également la prise des empreintes digitales et de photographie non plus en dernier ressort pour établir la situation de l’étranger mais en parallèle d'autres moyens d’investigation. Sur ce point, un refus de prise d’empreintes ou de photographie sera puni d’une interdiction du territoire de trois ans.
2. Réforme du dispositif de rétention administrative
- Délais de placement : le projet modifie la durée de placement en rétention en retenant un séquençage inédit : 48 heures (placement initial par le préfet) + 28 jours + 30 jours + 30 jours (C. étrangers, art. L. 552-7). Ce placement pourra même atteindre 135 jours (trois prorogations de 15 jours) si l’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la mesure d’éloignement ou a présenté une demande de protection dans le seul but de faire échec à la mesure d’éloignement. Ces durées ne sont pas incompatibles avec la directive « Retour » dont l’article 15 autorise une durée maximale de six mois et même 18 mois sous certaines réserves. Plusieurs États ont ainsi retenu un tel délai (Allemagne, Danemark et Pays-Bas ; 90 jours en Italie). Si ces délais ne heurtent aucun principe constitutionnel ou européen, leur justification soulève en revanche de sérieuses réserves : en 2016, la durée moyenne de rétention était de 12 jours. Il est notoirement acquis que, passé un certain délai de placement en rétention (inférieur à deux semaines), l’exécution de la mesure de départ est vouée à l’échec en raison d’obstacles insurmontables (identification de la personne, délivrance du laissez-passer consulaire et nationalité de la personne s’opposant à son éloignement). La limitation de la durée de rétention est donc loin d’expliquer à elle seule le faible taux d’exécution des mesures de départ forcé des étrangers faisant l’objet d’une rétention (moins de 40 % en 2016). L’étude d’impact en prend d’ailleurs acte, tout en estimant que ce taux pourrait être amélioré à la marge. Mais dans le même temps, l’administration risque d’être confrontée à un manque de places dans les centres de rétention, ainsi que le Conseil d'État l’a souligné dans son avis (CE sect. intérieur, 15 févr. 2018, avis n° 394.206, § 50). Le Conseil a plus particulièrement pointé le risque d’atteinte au droit d’asile et à la protection de la santé si l’administration sollicite un placement de 135 jours d’un candidat à l’asile en observant qu’il « paraît difficile de présumer de façon irréfragable que toute demande d’asile ou de protection présentée tardivement est nécessairement dilatoire » (avis préc. § 51). On ne saurait mieux dire.
- Candidats à l’asile : lorsqu’un étranger est visé par une mesure d’éloignement prononcée pour des motifs de menace grave à l’ordre public (expulsion, interdiction judiciaire du territoire, interdiction administrative du territoire), l’examen ou la présentation d’une demande d’asile n’empêche pas le prononcé de mesures de surveillance (assignation à résidence ou rétention en cas de risque de fuite). Ces mesures soulèvent toutefois des questions dès lors que les demandeurs d’asile ne séjournent par principe pas irrégulièrement et que leur éloignement ne doit pas les exposer à une menace pour leur vie ou leur liberté (sur ce rappel, CJUE, 14 sept. 2017, aff. C-18/16). Si la rétention des demandeurs d’asile reste malgré tout possible, certaines conditions doivent être respectées, notamment l’exigence de conditions de rétention appropriées à la situation de personnes qui craignent pour leur vie dans leur pays (CEDH, gde. ch., 29 janv. 2008, n° 13229/03, Saadi c/ Royaume Uni) et l’absence d’autres alternatives moins coercitives (CJUE, 14 sept. 2017 préc.). Dans son avis sur le projet, le Conseil d’État a estimé que les conditions et modalités prévues pour la rétention des demandeurs d’asile répondaient à ces exigences (CE sect. intérieur, 15 févr. 2018, avis n° 394.206). Il a en revanche estimé que la création d’un référé spécifique permettant la suspension par le tribunal administratif de la mesure d’éloignement jusqu’à ce que la Cour nationale du droit d’asile se soit prononcée était inadéquate, le tribunal empiétant sur l’office de la Cour (C. étrangers, nouvel art. L. 571-4). Selon le projet, la suspension est en effet prononcée si l’étranger présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d’asile, son maintien sur le territoire durant l’examen de son recours par la Cour (CJA, nouvel art. L. 777-4).
- Contentieux : le projet modifie les conditions d’exercice du droit de communication de l’étranger placé en rétention pour permettre son exercice dans le lieu de rétention et non pendant les transferts (C. étrangers, art. L. 551-2). Par ailleurs, il ouvre au juge des libertés et de la détention un délai de 48 heures pour statuer sur la demande de prolongation de la rétention (contre 24 heures en l’état du droit antérieur à la réforme) et impose une information du tribunal administratif saisi d’une requête contre la mesure d’éloignement (C. étrangers, art. L. 552-1, 2°). S’agissant des candidats à l’asile en instance de transfert, le projet modifie l’article L. 742-4 pour porter de 72 à 96 heures le délai ouvert au juge administratif pour statuer sur la légalité de la décision de transfert d’un étranger placé en rétention ou assigné à résidence en cours d’instance.
- Appel suspensif : le projet porte à 10 heures le délai de maintien à disposition de la justice d’un étranger dont l’assignation à résidence ou la rétention a été refusée par le juge des libertés et de la détention (C. étrangers, art. L. 552-6 et L. 552-10). Après deux allongements de ce délai en 2011 et 2016, on peut sérieusement s’interroger sur la constitutionnalité d’une privation de liberté qui vise une personne dont le maintien en rétention a été refusé par le juge des libertés et de la détention. Dans son avis sur le projet, le Conseil d'État en a admis le principe au regard de la nécessité de prévenir les atteintes à l’ordre public (CE sect. intérieur, 15 févr. 2018, avis n° 394.206, point 48).
- Réforme du dispositif d’assignation à résidence
- Assignation d’un étranger pouvait faire l’objet d’une rétention administrative : dans sa rédaction tirée du projet, l’article L. 552-4 permet à titre exceptionnel au juge des libertés et de la détention d’ordonner une mesure d’assignation à résidence de l’étranger qui dispose de garanties de représentation effectives, alors même que l’intéressé pourrait faire l’objet d’un placement en rétention. Cette décision devra faire l’objet d’une motivation spéciale si la personne s’est préalablement soustraite à l’exécution d’une mesure d’éloignement.
Livre 7. Réforme du droit de l’asile
- Procédure d’examen de la demande
- Procédures d'urgence: le projet réduit de 120 à 90 jours le délai courant à compter de l’entrée sur le territoire au-delà duquel le dépôt d’une demande d’asile peut entraîner un examen en procédure accélérée.
- Victimes de mutilation sexuelle : le projet ajoute un nouvel alinéa à l’article L. 723-5 qui prévoit que « Lorsque la protection au titre de l’asile est sollicitée par une mineure invoquant un risque de mutilation sexuelle, le certificat médical, dûment renseigné, est transmis à l’office sans délai par le médecin qui l’a rédigé. Une copie du certificat est remise en main propre aux parents ou représentants légaux ».
- Enregistrement au nom d’une famille : selon le projet de loi, lorsque la demande d’asile est présentée par un étranger accompagné de son ou ses enfants mineurs, la demande sera regardée comme présentée en son nom et en celui de ses enfants. Lorsqu'il est statué sur la demande de chacun des parents, la décision accordant la protection la plus étendue sera celle réputée prise au nom des enfants. La décision prise sur ce fondement ne sera pas opposable aux enfants qui établiront que la personne qui l’a suscitée n'était pas en droit de le faire.
- Langue de la procédure : selon le nouvel article L. 741-2-1 prévu par le projet de loi, lors de l’enregistrement de sa demande d’asile, l’étranger devra être informé des langues dans lesquelles il peut être entendu lors de l’entretien personnel mené par l’Office, ce choix lui étant opposable pendant toute la durée d'examen de sa demande, y compris devant la Cour nationale du droit d’asile. La contestation du choix de la langue de procédure ne pourra intervenir qu’à l’occasion du recours devant la Cour contre la décision de l’Office.
- Séjour des candidats à l’asile
- Droit de séjour provisoire : l’article 8 du projet prévoit que le droit au maintien sur le territoire cesse dès la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. Il aménage par ailleurs le régime juridictionnel applicable à certaines décisions de rejet en procédure accélérée pour harmoniser les interventions du juge de l’asile et de l’éloignement lorsque la procédure vise des ressortissants de pays d’origine sûrs, des demandes de réexamen rejetées et des demandeurs présentant une menace grave pour l’ordre public (C. étrangers, art. L. 743-2).
- Conditions matérielles d’accueil : l’article 9 du projet autorise une répartition prévisionnelle des demandeurs d'asile sur l'ensemble du territoire en déterminant la part de chaque région dans l’accueil des demandeurs et en les orientant vers une région où les intéressés seront tenus de résider pour bénéficier d’un hébergement et de l’allocation. Le projet vise par là même à éviter une concentration des demandeurs dans les grandes métropoles. Pour éviter l’apparition d’un nouveau contentieux de masse, le Conseil d’État a proposé un mécanisme de recours préalable obligatoire devant une commission nationale placée auprès de l’Office français de l'immigration et de l'intégration que le projet final n’a pas retenu (CE sect. intérieur, 15 févr. 2018, avis n° 394.206).
- Fin du droit de séjour : le projet de loi modifie le terme auquel le droit au séjour prend fin fixé à la lecture en séance publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile (et non plus à la notification de celle-ci). Le projet codifie sur ce point la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 26 nov. 1993, n° 138967, Préfet de police). La lecture de la décision est sans conséquence sur la computation des délais de recours et permet donc de tirer toutes les conséquences de la décision sans attendre une mesure d’éloignement.
- Contentieux
- Délai de saisine : le projet porte d’un mois à 15 jours le délai de saisine de la Cour nationale du droit d'asile. Rappelant que ce délai peut être couplé avec un délai de même durée, interruptif du premier, pour demander l’aide juridictionnelle, et n’interdit pas de compléter la motivation du recours ou de produire des pièces nouvelles jusqu’à la clôture de l’instruction, l’avis du Conseil d'État n° 394.206 du 15 février 2018 a estimé que cette réduction était « raisonnable » au sens de la directive du 26 juin 2013. Il a été observé que neuf États européens (procédure normale) et seize (procédure accélérée) pratiquaient un délai inférieur à 15 jours et que deux seulement accordaient un délai supérieur à un mois.
- Vidéo-audience : le recours à la vidéo sans le consentement de l'intéressé pour tenir les audiences de la Cour nationale du droit d'asile est à ce jour limité à l’hypothèse où le demandeur réside en outre-mer. Le projet de loi généralise cette possibilité au territoire métropolitain et étend cette faculté aux audiences tenues par le juge des libertés et de la détention ou par le tribunal administratif. Tout en rappelant les exigences constitutionnelles (Cons. const. déc. n° 2011-631 DC, 9 juin 2011, § 93), l’avis du Conseil d'État rendu sur le projet de loi a suggéré d’ajouter la présence de l'interprète auprès du requérant et le recours à des personnels qualifiés pour assurer la bonne conduite de l'audience (CE sect. intérieur, 15 févr. 2018, avis n° 394.206).
- Motifs de renvoi : le projet ajoute un nouveau motif de renvoi lorsque la Cour nationale du droit d'asile estime que le requérant a été dans l’impossibilité de se faire comprendre lors de l’entretien, faute d’avoir pu bénéficier du concours d’un interprète dans la langue qu’il a indiquée dans sa demande d’asile ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante si ce défaut d’interprétariat est imputable à l'Office. Le requérant ne pourra se prévaloir de ce défaut d’interprétariat devant l’Office que dans le délai de recours et devra indiquer la langue dans laquelle il souhaite être entendu en audience. Si la Cour n’est pas en mesure de désigner un interprète dans la langue demandée, l’intéressé sera entendu dans une langue dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend.
- Voies de recours : selon le projet de loi, dans le cas où le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin après une décision d’irrecevabilité consécutive à une demande de réexamen (C. étrangers, art. L. 723-11) ou de rejet (C. étrangers, art. L. 723-2, I et III, 5°), la personne concernée pourra demander au président du tribunal administratif saisi d’une obligation de quitter le territoire de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement jusqu'à l’expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, si celle-ci est saisie jusqu’à la date de la lecture en audience publique de la décision ou, s’il y a lieu, jusqu’à la date de la notification de l’ordonnance. Le président du tribunal administratif fera droit à cette demande en présence d’« éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d’asile, son maintien sur le territoire durant l’examen de son recours par la Cour ». L’étude d’impact du projet n’évalue pas l’importance de ce contentieux supplémentaire tout en prenant le risque de générer des discordances entre deux juridictions administratives (le juge de la suspension et de l’obligation de quitter le territoire) et d’obliger le tribunal administratif à porter une appréciation qui relève de l’office du juge de l’asile… avant que la Cour nationale du droit d'asile statue. Comme l’a pointé le Conseil d'État dans son avis, le projet menace en outre de retarder la procédure dès lors que le jugement du tribunal peut faire l'objet d'un appel (CE sect. intérieur, 15 févr. 2018, avis n° 394.206) ! Par ailleurs, dans le cas où le droit de séjour a pris fin après une décision d’irrecevabilité consécutive à une demande de réexamen (C. étrangers, art. L. 743-2, 4° bis et 7°), l'étranger qui fait l'objet d'une assignation à résidence ou d'un placement en rétention en vue de l'exécution d'une obligation de quitter le territoire peut, dans les 48 heures, demander la suspension de l’exécution de la mesure d’éloignement. La mesure d’éloignement ne pourra alors être mise à exécution pendant 48 heures ou, en cas de saisine, avant que le tribunal ait statué. Il devra être fait droit à la demande en présence d’éléments sérieux de nature à justifier son maintien sur le territoire durant l’examen de son recours par la Cour. La suspension mettra fin à l’assignation à résidence ou à la rétention, sauf si l’intéressé n’a pas présenté de demande d’asile dans les 120 jours suivant son entrée en France (Cf. C. étrangers, art. L. 723-2, III, 5°).
- Droit de séjour
- Bénéficiaires d’une protection : le projet réforme les modalités d’accès à la carte de résident pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire et du statut d’apatride et les membres de leur famille pour permettre sa délivrance après quatre ans de résidence régulière en France (C. étrangers, art. L. 314-11, 8°, 9° et 12°).
- Mineurs isolés: selon le projet, lorsque le mineur reconnu réfugié ou admis au bénéfice de la protection subsidiaire sollicite la réunification familiale, ses parents pourront entrer sur le territoire avec leurs autres enfants dont ils ont la charge effective, sous réserve de respecter les « principes essentiels de la vie familiale en France » (C. étrangers, art. L. 752-1). Le projet permet par là même la réunification familiale autour d'une personne protégée dans les mêmes conditions, qu'il s'agisse d'un majeur ou d'un mineur, et même fin à une différence de traitement sans fondement.
- Retrait du statut de réfugié: le projet étend la faculté de refuser ou de mettre fin au statut de réfugié aux cas de condamnations pour des faits graves, notamment de terrorisme, prononcées dans un autre pays de l’Union européenne (C. étrangers, art. L. 711-6 et L. 713-5). L’autorité judiciaire sera sur ce point tenue de communiquer à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou à la Cour nationale du droit d'asile toute information susceptible de justifier une telle décision pour des motifs graves de sécurité nationale. Le projet autorise par ailleurs le principe d’enquêtes administratives régies par l’article L. 114-1 du Code de la sécurité publique et la consultation de fichiers intéressant la sécurité intérieure.
- Outre-mer
- Droit d’asile en Guyane : le projet modifie l’article L. 767-1 du Code des étrangers pour réduire de 120 à 60 jours (contre 90 sur le reste du territoire) le délai courant à compter de l’entrée sur le territoire pour déposer une demande d’asile, au-delà duquel l’Office français de protection des réfugiés et apatrides peut examiner la demande selon la procédure accélérée. Cette réforme fait écho à la forte pression migratoire en Guyane et un accroissement sans précédent de la demande d’asile (1 099 en 2014 ; 2 698 en 2015 ; 5 486 en 2016 ; 5 917 en 2017). Cette dernière a quintuplé depuis 2014, à comparer avec l’augmentation de 32 % sur le reste du territoire sur la même période. Pour l’essentiel (89 %), les demandeurs sont originaires d’Haïti (6 % pour le reste du territoire). Le taux d’accord global se limitait en 2016 à 4,7 % et en 2017 à 2,8 % (39 % pour le reste du territoire).
- Droit d’asile en outre-mer : le projet écarte pour les collectivités régies par le principe de l’identité législative (Guadeloupe, Guyane, Mayotte, Martinique, La Réunion et Saint-Pierre-et-Miquelon) les modifications intéressant la procédure « Dublin » qui n’est applicable qu’au territoire européen de la France.