Code Lexis-Nexis édition 2020, C. étrangers, Livre L3
Le dispositif de sanction administrative mise à la charge des transporteurs aériens a été contesté dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité au motif qu’il autoriserait des poursuites à l’encontre d’une entreprise qui débarque sur le territoire français un étranger démuni de documents de voyage ou de visa, même lorsqu'elle a procédé au contrôle de ces documents à l'embarquement et que l'irrégularité qui les affecte n'a pas été détectée par les services compétents de l'État lors de leur délivrance (C. étrangers, art. L 625-1 suiv.). La loi déléguerait par là même au transporteur des contrôles incombant aux seules autorités publiques en violation de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Un argument sérieux compromettait le contrôle : la loi résulterait des dispositions inconditionnelles et précises de la directive 2001/51/CE du 28 juin 2001. Pour cette raison, hors le cas d’une atteinte à l'identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel ne serait pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive ou d'un règlement européens. Dans le cas présent, le dispositif trouve en réalité son origine dans l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990 transposé par la loi du 26 février 1992. Le principe a par la suite été confirmé et complété par la directive du 28 juin 2001. Pour cette raison, les articles L. 625-1 et suivants du Code des étrangers ne se bornent pas à tirer les conséquences de la directive du 28 juin 2001.
Sur le fond, le Conseil a tranché une question déjà abordée dans le passé (Cons. const., 25 févr. 1992, déc. n° 92-307 DC) : l'interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative (qualifiées, à tort, de « générale ») inhérentes à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits au sens de l'article 12 de la Déclaration de 1789. Répercutant implicitement une jurisprudence administrative implacable, il a été rappelé que les irrégularités manifestes que le transporteur doit déceler au moment de l'embarquement doivent apparaître à l'occasion d'un « examen normalement attentif » par un agent du transporteur (C. étrangers, art. L. 625-5). En instaurant cette obligation, le législateur n’aurait donc pas associé les transporteurs aériens au contrôle de la régularité des documents effectués par les agents de l'État en vue de leur délivrance et lors de l'entrée de l'étranger sur le territoire national. En dépit du caractère assez réversible de cet argument (érigé en premier rempart, le transporteur constitue factuellement un supplétif de l’administration), le grief tiré de la méconnaissance de l'article 12 de la Déclaration de 1789 a été écarté. Plus particulièrement, il a été observé que la possibilité de sanctionner un transporteur pour une irrégularité manifeste non détectée par les autorités publiques compétentes pour délivrer ce document ne rendait pas en lui-même le transporteur responsable du manquement imputable. Pour cette raison, le grief tiré de la méconnaissance du principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait a été écarté (Cons. const., déc. 25 oct. 2019, n° 2019-810 QPC, Société Air France).