Code Lexis-Nexis édition 2021, C. étrangers, livres 3, 5 et 7 et Droit des étrangers (Lexis-Nexis), parties 3 à 5
1/ Office du juge du séjour
Le contentieux du séjour relève, par sa nature et son objet, du recours pour excès de pouvoir. On concédera sans peine que ce contentieux le plus souvent répétitif se concentre pour l’essentiel sur des moyens de légalité externe, de sorte « que l’on construit une façade de légalité, où tous les acteurs, du requérant au juge, en passant par l’administration, prennent tellement de temps à vérifier si on a respecté les règles qui permettent de s’assurer que la situation de l’étranger a été examinée impartialement et complètement qu’ils en oublient de s’intéresser à la situation elle-même. » (A. Dulmet, L’office du juge en contentieux des étrangers : évolution, révolution ? Réflexions d’une magistrate désarmée : AJDA 2016, p. 894) Pour surmonter cette situation quelque peu absurde, il a été suggéré de « passer du recours pour excès de pouvoir au recours de plein contentieux subjectif […], du mode Légalité abstraite au mode Respect des droits [pour permettre au] juge administratif [d’être] saisi d’une situation et non plus d’une décision (“M. X. doit-il être admis au séjour ?” et non plus : “la décision qui refuse d’admettre M. X. au séjour est-elle illégale ?”) » (ibidem).
Le rapport a écarté cette évolution de l’office du juge au motif que certains vices de procédure continueraient de trouver une sanction juridictionnelle et que le contrôle du juge de l’excès de pouvoir « a des effets vertueux sur la qualité des décisions prises par l’administration, en particulier leur motivation et le respect des obligations procédurales qu’elle doit observer » (p. 45). Le rapport pointe par ailleurs la lourdeur d’un office d’attribution du droit au séjour et les difficultés qui s’en déduiraient pour un juge qui devrait à lui seul mesurer les incidences d’un droit de séjour sur l’ordre public ou l’état de santé d’une personne. Cette réévaluation de la place du juge pourrait enfin déresponsabiliser l’administration en consacrant un « unique processus décisionnel à deux étapes, dans lequel le pouvoir décisionnel ne pourrait qu’être déplacé de l’administration […] vers le juge » (p. 46). Le même rapport a dénoncé l’attitude du juge administratif qui consiste à annuler un refus de séjour et, arguant de l’insuffisance des éléments dont il dispose pour apprécier la situation de l’étranger à la date du jugement, à simplement enjoindre au préfet de réexaminer la demande de séjour. Or, lorsque le motif de l’annulation implique que l’étranger bénéficie d’un droit de séjour, le juge pourrait enjoindre au préfet de délivrer d’un titre de séjour sous les réserves de l’ordre public et d’un changement de circonstances. Cette injonction, si besoin sous astreinte, peut être prononcée d’office par le juge administratif depuis la réforme du 23 mars 2019.
2/ Secret médical des candidats au séjour
Si le préfet doit s’assurer de la régularité de l’avis rendu par le collège de médecins, il ne doit en revanche pas porter d’appréciation sur le respect par ce collège des orientations générales définies par l’arrêté du 5 janvier 2017. À défaut, il porterait atteinte au respect du secret médical qui interdit aux médecins de donner à l’Administration une information sur la nature des pathologies dont souffre l’étranger. S’il est saisi d’un moyen relatif à l’état de santé et que le demandeur lève le secret relatif aux informations médicales en faisant état de la pathologie qui l’affecte, le juge administratif se prononce au vu des éléments produits dans le cadre du débat contradictoire en tenant compte, le cas échéant, des orientations générales fixées par l’arrêté du 5 janvier 2017 (CE, 9 oct. 2019, n° 422974). L’étranger pouvant lever le secret médical, il peut, lorsque le préfet se réfère à l’existence d’un traitement médical dans un pays par la production d’éléments généralistes, renverser cette preuve « en produisant soit les avis médicaux favorables dont il dispose bien que silencieux sur la nature de la pathologie et/ou d’autres documents tout aussi généralistes que ceux du préfet qui indiqueraient que certaines maladies ne sont pas traitées dans le pays. » (Fr. Béroujon, Le droit de séjour des étrangers malades : Dr. adm. 2014, n° 12, étude 19).
Sur ce dernier point, le rapport du Conseil d'État a dénoncé « un débat asymétrique et souvent insuffisamment étayé pour le juge […] alors même que le requérant, en se prévalant lui‐même de son état de santé, peut être regardé comme ayant levé le secret médical à son égard ». Pour surmonter cette situation, il a été proposé de permettre à l’Office d’être appelé à présenter des observations par le juge sans être tenu par le secret médical si le requérant soutient qu’un titre de séjour doit être délivré en raison de son état de santé.
3/ Simplification du contentieux du départ forcé (obligation de quitter le territoire; réadmission)
Le rapport du Conseil d'État a proposé de substituer à la situation actuelle (une douzaine de procédures) deux procédures d’urgence et une procédure ordinaire (p. 34). Pour cette dernière, la seule spécificité résiderait dans les délais de recours (un mois non prorogeable par un recours administratif) et de jugement (six mois). Les deux procédures d’urgence ne différeraient « pour l’essentiel » que par les délais de recours et de jugement. L’une reposerait sur un régime procédural identique à celui décrit par l’article L. 512‐1, III du Code des étrangers (obligation de quitter le territoire visant un étranger placé en rétention ou assignation à résidence : juge unique, absence de rapporteur public, instruction adaptée (requête non soumise à obligation de motivation, clôture à l’audience, communication entre la juridiction et les parties par tout moyen, nomination d’un avocat commis d’office de plein droit pour faire échec à l’application des dispositions sur l’aide juridictionnelle). Cette procédure conserverait les délais en vigueur qui « constituent un plancher, en deçà duquel il n’est guère réaliste de descendre » (p. 36). La seconde procédure d’urgence serait soumise à des délais de recours (7 jours) et de jugement (15 jours) plus souples. Seule la procédure la plus urgente autoriserait le prononcé du dispositif du jugement à l’audience, comme cela est déjà le cas pour les étrangers retenus (C. étrangers, art. R. 776‐27). D’un point de vue formel, le rapport recommande de consacrer une partie du Code des étrangers au contentieux pour y définir les règles qui dérogent au droit commun du Code de justice administrative et les procédures juridictionnelles spécifiques au contentieux des étrangers (p. 37).
Le même rapport s’est interrogé sur la nécessité de statuer en urgence et dans l’affirmative, sur la procédure qui permet de concilier « au mieux l’exercice effectif du droit au recours et l’impératif de célérité du procès » (p. 38). En matière de séjour et d’éloignement, le recours à l’urgence dépend de d’une perspective à brève échéance d’exécution forcée. Sur cette base d’évidence, il a été proposé de faire relever de la procédure ordinaire qui vient d’être relatée l’ensemble des refus de titre de séjour qui sont accompagnés d’une mesure d’éloignement et l’ensemble des obligations de quitter le territoire qui ne sont pas assorties d’une mesure de contrainte. L’absence de perspective d’éloignement à brève échéance justifierait ainsi le recours à la procédure la moins dérogatoire du droit commun. Dans le même temps, la durée pendant laquelle une obligation de quitter le territoire pourrait être assortie d’une assignation à résidence ou d’un placement en rétention serait étendue. Au contraire, lorsque des mesures de contrainte auraient été prononcées, la procédure juridictionnelle doit être accélérée pour limiter dans le temps cette contrainte et articuler l’intervention du juge avec les exigences de l’action administrative. Le rapport propose de réserver la procédure la plus rapide aux cas dans lesquels l’étranger est placé en rétention et de rendre applicable la seconde procédure d’urgence en cas d’assignation à résidence. Le rapport suggère enfin d’unifier la contestation de l’obligation de quitter le territoire (et des décisions qui l’accompagnent) avec celle relative au séjour prise simultanément pour mettre fin à la séparation des contentieux de l’éloignement et du séjour lorsque l’obligation de quitter le territoire relève du juge unique statuant en urgence. Cette réorganisation concernait également les réadmissions décidées sur le fondement des articles L. 531‐1 et suivants du code.
4/ Départ forcé des étrangers en détention
Dans son rapport (p. 32), le Conseil d'État a pointé « l’insuffisante coordination entre les administrations pénitentiaire et préfectorale [qui] conduit à ce que l’adoption des mesures d’éloignement ne puisse pas être correctement anticipée ». Il en résulte des placements en rétention de longue durée qui auraient pu être évités et à faire peser sur l’administration pénitentiaire la notification de la mesure d’éloignement forcé (au risque de commettre une irrégularité). Un dispositif d’échange d’informations entre les services pénitentiaires et préfectoraux existe pourtant (CPP, art. D. 155 et C. étrangers, art. L. 541-2).
5/ Contentieux de la rétention
Le rapport a formulé plusieurs propositions pour améliorer les délais de jugement (p. 50) : recours à l’aide à la décision ; création de chambres spécialisées dans le cadre d’une « spécialisation [qui] doit demeurer limitée dans le temps et ne pas être réservée aux magistrats en début de carrière » ; outils numériques dès lors que « le droit des étrangers se prête particulièrement à des échanges et à un partage de l’actualité jurisprudentielle entre magistrats ».
6/ Éloignement du candidat à l’asile
La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 a prévu que le candidat à l’asile visé par une mesure d’expulsion, une interdiction judiciaire du territoire ou une interdiction administrative de retour pouvait être assigné à résidence ou placé en rétention le temps pendant l’examen de sa demande et, en cas de décision de rejet ou d’irrecevabilité, dans l’attente de son départ. Elle a par ailleurs introduit une nouvelle voie de recours devant le juge administratif pour en suspendre l’exécution dans l’attente de l’expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile ou pour le moins jusqu’à sa décision si celle-ci est saisie. Il est fait droit à cette demande si l’intéressé présente des « éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d’asile », la suspension de l’exécution de la mesure d’éloignement ne mettant pas fin à l’assignation à résidence ou à la rétention (C. étrangers, art. L. 571-4 et L. 743‐3).
Cette voie de recours avait été dénoncée par l’avis n° 394206 rendu le 15 février 2018 par la section de l’Intérieur du Conseil d’État sur le projet de loi, estimant que le tribunal empiéterait sur l’office de la Cour. Le rapport du Conseil d'État rendu public en octobre 2020 (p. 50) a réitéré ces réserves et d’évaluer cette procédure. Le Conseil d’État s’interroge sur « leur utilité réelle dans l’accélération de l’éloignement des personnes concernées et dans la cessation de leur prise en charge au titre de l’accueil des demandeurs d’asile, au regard de leur lourdeur et de la complexité procédurale qu’elles induisent ». A minima, le rapport suggère de recentrer la loi sur la lutte contre les demandes d’asile dilatoires ou détournées pour prévoir que lorsque le droit au maintien sur le territoire a cessé avant que le juge de l’asile ne statue et qu’une mesure d’éloignement a été édictée, le recours tendant à ce que le juge administratif de droit commun suspende l’exécution de cette mesure jusqu’à ce que la Cour nationale du droit d'asile statue relève d’une procédure contentieuse d’urgence.
7/ Contentieux de l'asile
Le rapport du Conseil d'État (p. 52) a suggéré une simplification du mode de calcul de la computation du délai de recours en cas de demande d’aide juridictionnelle. En l’état du droit, l’article 9‐4 de la loi n° 91‐647 du 10 juillet 1991 prévoit que l’aide doit être sollicitée dans les 15 jours suivant la notification de la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, le délai de recours d’un mois étant alors suspendu. Pour le Conseil d'État, la loi complique la détermination de l’échéance finale du délai final. Le rapport suggère de prévoir plutôt une règle d’interruption du délai de recours qui n’aurait pas pour conséquence d’allonger la durée globale séparant la décision de l’Office de la saisine de la Cour si la demande d’aide demeure encadrée dans un délai de 15 jours et si le délai qui recommence à courir après la décision définitive sur l’admission à l’aide juridictionnelle est identique. Plus encore, le rapport estime qu’au regard des taux de contestation des décisions de l’Office (environ 85 %) et d’attribution de l’aide, « l’affirmation d’un principe d’attribution de cette aide de plein droit […] mériterait à tout le moins d’être étudiée. »
S'agissant du contentieux du transfert des demandeurs d'asile, le rapport (p. 28) a pointé les dysfonctionnement d’un dispositif qui est source d’un contentieux de masse (14 000 affaires enregistrées en 2019 devant les tribunaux administratifs, soit 15 % du contentieux des étrangers de premier ressort) très largement privé de sens. Ce contentieux est tout d’abord entretenu par des manœuvres dilatoires qui conduisent certains étrangers à déposer une demande d’asile en France, alors qu’un autre État est responsable de leur demande. Il est alors recherché un dépassement du délai de 18 mois au terme duquel la France doit examiner leur demande. Par ailleurs, les dispositions du règlement « Dublin III» aboutissent à faire échec aux recours en appel dans la mesure où l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert interrompt le délai de transfert de six mois. Ce délai court à compter de l'acceptation du transfert par l'État requis et recommence à courir à compter de la date du jugement en première instance. L’appel n’interrompt donc pas ce nouveau délai et son expiration entraîne la responsabilité de l'État requérant pour l’examen de la demande d’asile (CE, 24 sept. 2018, Mme Kahsay et M. Teweldebrehan, n° 420708 ). En l’absence d’une nouvelle interruption du délai par l’introduction d’un appel, le rapport a observé que « les cours administratives d’appel ne [pouvaient] guère statuer en temps utile, ce qui tend à remettre en cause la pertinence de l’ouverture de la voie de l’appel » faute de décision avant l’expiration du délai de transfert. Le litige a en effet perdu son objet car le transfert ne peut plus être effectué (CE, 27 mai 2019, Min. Int. c/ M. et Mme Saïd, n° 421276). Le rapport a proposé de soumettre le contentieux de la décision de transfert à une procédure d’urgence qui imposerait de saisir le juge administratif dans les 7 jours et même 48 heures en cas de placement en rétention (p. 38 suiv.). Ce régime contentieux serait applicable aux autres mesures relatives à la mise en œuvre du règlement « Dublin III », notamment les décisions par lesquelles les préfets refusent de reconnaître la compétence de la France. Suivant la même logique, les décisions qui refusent, retirent ou limitent le bénéfice des conditions matérielles d’accueil aux demandeurs d’asile relèveraient d’un examen prioritaire pour éviter de mobiliser les procédures de référé. Enfin, l’impératif de célérité devrait conduire à ce que le délai de transfert ne puisse être interrompu qu’une seule fois par un recours devant le tribunal administratif, de sorte que le rapport suggère de supprimer la voie d’appel.
Enfin, le rapport s'est prononcé sur la compétence de la Cour nationale du droit d’asile pour juger les recours dirigés contre toutes les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides relatives aux demandes tendant à l’obtention de la qualité de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire (C. étrangers, art. L. 731-2). Cette compétence s’étend aux refus d’enregistrer une demande introduite par fraude, aux décisions mettant fin au statut de réfugié et, compétence consacrée par la réforme du 29 juillet 2015, aux décisions par lesquelles le directeur général de l’Office refuse, en application de l’article L. 551-3 du code, d’enregistrer une demande d’asile présentée tardivement par un étranger maintenu en rétention (CE, 23 déc. 2016, nos 403971, 403975 et 403976). Le rapport a proposé de revenir sur cette solution pour exclure la compétence de la Cour nationale du droit d’asile s’agissant de décisions de pure procédure et « afin que le juge de l’asile n’ait à statuer que sur les litiges supposant d’apprécier le besoin de protection internationale du demandeur » (p. 49). Suivant cette suggestion (qui relève de la seule responsabilité du Conseil d'État !), la Cour continuerait de statuer sur les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant au fond les demandes d’asile présentées en rétention.