Code Lexis-Nexis édition 2022, C. étrangers, Livre 4 et Droit des étrangers (Lexis-Nexis), éd. 2022, § 812
Un arrêt (I) et un avis (II) du Conseil d'État du 3 juin 2022 apportent de nombreuses précisions sur les conditions d'accès au téléservice mis en place pour examiner les demandes de titre de séjour. Leur portée excède largement celle du droit des étrangers.
I. Le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 a généralisé à compter du 1er mai 2021 le principe d'un téléservice pour le dépôt des demandes des principaux titres de séjour (CESEDA, art. R. 431-2). Ses modalités ont été précisées par les arrêtés des 27 avril 2021 et 19 mai 2021. Exposé dès l’origine à de nombreux dysfonctionnements (saturation, absence de réponse, etc.), le dispositif a été contesté à l’aune des dispositions du Code des relations entre le public et l’administration régissant les modalités de dépôt électronique d’une demande, d’une déclaration, d’un document ou d’une information (CE, 3 juin 2022, n° 452798, Cimade et autres. – CRPA, art. L. 112-8 et suiv.).
Préalablement, le Conseil d'État a estimé que l’obligation de recours à un téléservice pour accomplir une démarche administrative auprès d’un service de l’État, notamment pour demander la délivrance d’une autorisation de séjour, ne relève pas du domaine de la loi. Cette obligation ne modifie en effet pas les conditions de délivrance de titre de séjour et ne met pas directement en cause les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Il a par ailleurs rappelé que si la loi consacre un droit de saisine électronique, elle n’impose pas aux usagers de recourir à un téléservice (sur cet état du droit, (CE, 27 nov. 2019, n° 422516, GISTI et a.). Dans le même temps, il est loisible au pouvoir réglementaire d’édicter une obligation d’accomplir des démarches administratives par la voie d’un téléservice. Pareille obligation ne contrevient pas aux principes d’égalité devant la loi, de continuité du service public, de non-discrimination et de compensation du handicap (sur ce dernier principe, CASF, art. L. 114-1-1). L’obligation de recourir à un téléservice impose toutefois à l’administration de garantir un accès normal des usagers au service public et un exercice effectif de leurs droits. À cette fin, la plateforme doit tenir compte de l’objet du service, du degré de complexité des démarches concernées, de leurs conséquences pour les intéressés et des caractéristiques de l’outil numérique mis en œuvre. Elle doit aussi s’adapter au public concerné, notamment de ses difficultés dans l’accès aux services en ligne ou dans leur maniement.
Prenant acte de la diversité et de la complexité des situations des étrangers et des conséquences de l'enregistrement de la demande qui conditionne notamment l’exercice d’une activité professionnelle, le Conseil d'État a imposé au pouvoir réglementaire de prévoir un accompagnement des personnes qui ne disposent pas d’un accès à un ordinateur ou qui rencontrent des difficultés pour accomplir des démarches administratives. Cet accompagnement est certes prévu par l’article R. 431-2 du Code des étrangers qui fait obligation au ministre de définir précisément des modalités d’accès adaptées et de les rendre effectives, y compris par un accès physique au guichet lorsqu’un accueil à distance ne suffit pas à assurer un accompagnement approprié. Mais le décret du 24 mars 2021 n’avait pas mentionné une solution de substitution au cas où, alors que l’étranger a accompli toutes les diligences qui lui incombent et a fait appel au dispositif d’accueil et d’accompagnement, est dans l’impossibilité d’utiliser le téléservice pour des raisons tenant à sa conception ou à son mode de fonctionnement.
Pour cette raison, le Conseil d'État a partiellement annulé le décret du 24 mars 2021 et l’arrêté du 27 avril 2021 et imposé que ces textes soient complétés. Dans l'attente d’une réglementation complémentaire, les étrangers pourront déposer leurs demandes sous une forme matérialisée s’ils ne sont pas en mesure de déposer sa demande par la voie du téléservice. Le dispositif n’a en revanche pas été jugé contraire à l’article 47 de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances qui prévoit que les services de communication au public en ligne des personnes publiques doivent comporter une mention visible précisant qu'il est conforme aux règles relatives à l'accessibilité et offrir un accès aisé et direct à la déclaration d'accessibilité, la méconnaissance de ces deux obligations pouvant justifier une sanction administrative. Le Conseil a estimé que l’acte qui rend obligatoire le recours à un téléservice n’était pas tenu réitérer ces exigences qui s’imposent en tout état de cause et dont le respect n’est pas une condition de la légalité d’un acte administratif. Le dispositif a par ailleurs été jugé conforme à l’article 5 de la loi du 6 janvier 1978 qui autorise la mise en œuvre d’un traitement de données personnelles sans le consentement de la personne visée lorsqu’il est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public.
II. Saisi pour avis par le tribunal administratif de Montreuil et le tribunal administratif de Versailles, le Conseil d'État a estimé que les préfets ne pouvaient pas rendre obligatoire l’emploi d’un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour avant l’entrée en vigueur du décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 qui a dématérialisé au 1er mai 2021 les modalités de dépôt des demandes des principaux titres de séjour. S’ils pouvaient autoriser le dépôt de pièces par la voie électronique, ils ne pouvaient donc pas déroger à l’obligation de présentation personnelle en préfecture. Simultanément, les étrangers ne pouvaient pas se prévaloir d’un droit de saisine électronique pour demander un rendez-vous ou déposer des pièces (CE sect. avis, 3 juin 2022, n° 461694, Cimade et autres). L’entrée en vigueur du décret a modifié le cadre d’examen des demandes de titre de séjour : les préfets peuvent autoriser le dépôt de pièces par la voie électronique pour les demandes qui ne relèvent pas du téléservice mais ils ne peuvent pas déroger à l’obligation de présentation personnelle pour effectuer une demande. Pour leur part, les étrangers disposent d’un droit de saisine électronique pour les seules demandes de titres entrant dans le champ d’application de l’article R. 431-2 du Code des étrangers.
L’avis du 3 juin 2022 apporte une autre précision sur la nature du téléservice. Au sens de l’article 1er de l’ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives, un téléservice est constitué par un système permettant à un usager de procéder par voie électronique à l’intégralité d’une démarche ou formalité administrative mais aussi par un système destiné à recevoir par voie électronique et dans le cadre d’une telle démarche ou formalité une demande de rendez-vous ou un dépôt de pièces. Tel est le cas de la plateforme mise en place qui impose à certains étrangers de saisir l’administration par voie électronique pour obtenir un rendez-vous ou déposer certaines pièces. Ce téléservice est pour cette raison régi par les dispositions générales applicables aux échanges électroniques, notamment l’arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel et le décret du 27 mai 2016 autorisant les téléservices.
L’avis rappelle par ailleurs qu’il appartient aux préfets, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité. À cet effet, ils peuvent prendre toutes dispositions relatives au dépôt des demandes qui leur sont adressées si l'intérêt du service l'exige. Le Conseil d'État fonde par là même le pouvoir réglementaire des préfets pour créer des téléservices avant l’entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021 pour déposer des pièces, à condition de respecter l’exigence de présentation personnelle. Cette possibilité a été maintenue après l’entrée en vigueur du décret pour les seules demandes de titres qui ne relèvent pas du téléservice prévu par l’article R. 431-2 du Code des étrangers.