Code Lexis-Nexis édition 2023, C. étrangers, Livre 3 et Droit des étrangers (Lexis-Nexis), éd. 2022, § 661
Le préfet du Var a créé du 11 novembre au 6 décembre 2022 une zone d’attente temporaire dans le port militaire de Toulon pour accueillir 234 passagers d’un navire, l’« Ocean Viking », dont l’accostage avait été refusé avec fracas par les autorités italiennes, occasionnant une crise diplomatique européenne majeure.
Pour admettre la légalité de l’arrêté, le Conseil d'État a renvoyé à ces « circonstances exceptionnelles », sans plus de précision, et aux difficultés que peut engendrer l’afflux d’un nombre inhabituel de personnes fragiles en un même lieu. La présence d’une zone d’attente dans le port maritime de Toulon a été jugée « sans incidence », alors que ce point interroge fortement : le principe des zones d'attente temporaire a été institué en 2011 précisément pour palier à l’absence d’une zone d'attente à proximité du point d’entrée en France. Le mystère de ce choix n’a pas été levé, le juge du référé ayant rejeté le moyen tiré d’un détournement de pouvoir en renvoyant implicitement, par un raisonnement circulaire, aux « circonstances exceptionnelles ». L’ordonnance a par ailleurs écarté l’incidence d’une irrégularité dans la délimitation de la zone. Pour le juge du référé, pareille irrégularité n’affecte « par elle-même » les droits des personnes maintenues. Qu’il soit pourtant permis d’en douter si cette irrégularité complique l’accès à la zone d’avocats, de médecins ou de traducteurs. Les conditions d’hébergement n’ont enfin pas été jugées constitutives d’une atteinte à des libertés fondamentales qui n’ont pas été identifiées par l’ordonnance. Certes, il a été concédé que la création d’une zone d’attente temporaire au sein d’une base militaire entraîne des restrictions et des limitations propres à ce type d’installation. Toutefois, l’ordonnance relève que 189 des 234 passagers ont été accueillies dans un village de vacances dans les douze heures qui ont suivi l’accostage. À la suite des entretiens menés par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, 66 d’entre eux ont été admis à entrer en France pour présenter une demande d’asile. Le juge des libertés et de la détention s’est pour sa part prononcé sur le maintien en zone d’attente au-delà de quatre jours des autres passagers, refusant la prolongation du maintien dans la très grande majorité des cas. Au 19 novembre 2022, seules 16 personnes étaient toujours maintenues en zone d’attente (CE, réf., 19 nov. 2022, n° 468917, ANAFE et autres).
Le Conseil d'État était invité à se prononcer sur la légalité de la privation de liberté de demandeurs d'asile, le dispositif de placement des demandeurs d’asile en zone d'attente ayant été contesté à la lumière de l’article 5 § 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des articles 3, 8 § 3 et 9 § 3 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013, de l’article 43 de la directive 2013/32/UE et des articles 3 § 1 et 28 du règlement 604/2013/UE au motif que le droit français prévoirait un placement systématique en zone d’attente des personnes qui sollicitent l’asile à la frontière, ne définirait pas le risque non négligeable de fuite et ne garantirait pas un recours juridictionnel rapide pour statuer sur la privation initiale de liberté. Pour écarter ce grief, le Conseil d'État a observé que les atteintes au droit d’asile susceptibles de résulter d’un placement en zone d'attente découlent non pas directement de l’acte créant la zone mais des décisions de placement et de maintien dans cette zone. En tout état de cause, un moyen tiré de l’incompatibilité de dispositions législatives avec les règles du droit de l’Union européenne ne peut être retenu par le juge du référé liberté, eu égard à son office, qu’en cas de « méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit de l’Union ». Sur ce point, l’ordonnance relève que les dispositions de l’article L. 351-1 du code n’ont pas été déclarées dans le passé incompatibles avec les règles du droit de l’Union européenne et ne portent pas une atteinte manifeste aux normes européennes. Ce point n’ayant jamais été tranché à notre connaissance (V. toutefois CE, 20 oct. 2016, n° 398105, Gisti et autres), il faudra donc attendre une décision sur le fond pour trancher cette question. Le Conseil d'État s’est par ailleurs assuré que les avocats pouvaient intervenir dans la zone d’attente et que des mesures avaient été progressivement mises en œuvre pour répondre aux carences constatées dans les premiers jours de mise en place de la zone d’attente (mise à disposition de locaux dédiés, renforcement de l’accessibilité aux réseaux téléphoniques et à Internet grâce à un camion satellitaire). Pour cet ensemble de raisons, les difficultés soulevées par les requérants ne caractérisent pas une atteinte suffisamment grave et manifestement illégale au droit au recours effectif. Il a enfin relevé que tous les entretiens avec les agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides avaient été conduits (CE, réf., 19 nov. 2022, n° 468917, ANAFE et autres).