Code Litec 2010, p. 391 et 433
Saisie d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a apporté, le 28 avril dernier, un éclairage essentiel sur les modalités de mise en œuvre des mesures de départ forcé visant les ressortissants de pays tiers (CJUE, 28 avr. 2011, aff. C-61/11, Hassen el Dridi). La Cour devait examiner une réglementation italienne prévoyant, à l’instar du droit français, la possibilité d’infliger une peine de prison à un étranger séjournant illégalement. Le recours à cette voie d’action a été jugé dans le cas d’espèce contraire à la directive « retour » du 16 décembre 2008 car l’emprisonnement avait été prononcé au seul motif que l’intéressé n’avait pas respecté une obligation de quitter le territoire. Dans ce cas de figure, les autorités auraient préalablement dû recourir à son éloignement administratif en se conformant à la procédure prévue par la directive.
1. Un premier enseignement général de la décision du 28 avril 2011 se rapporte à l’effet direct de la directive « retour ». En autorisant un particulier à invoquer des dispositions inconditionnelles et précises pour contester le droit national, cet effet permet de surmonter la négligence des États qui n’ont pas respecté le délai de transposition ici fixé au 24 décembre 2010. Au jour de l’arrêt, l’Italie, la France et dix autres pays de l’Union européenne étaient concernés. Dans sa décision, la Cour reconnaît un effet direct aux articles 15 et 16 de la directive (point 46). Ces dispositions portent sur les modalités d’exécution des mesures de départ forcé et, plus particulièrement, sur les motifs de placement en rétention.
L’administration française ne découvre pas avec cet arrêt l’effet direct de la directive « retour ». Ces dernières semaines, plusieurs recours ont conduit des justiciables à dénoncer des mesures de départ forcé en invoquant le bénéfice de ce texte qui avait été initialement présenté, paradoxe de la communautarisation du droit des étrangers, comme l’expression d’une « Europe forteresse » et un pilier de la toute puissance étatique. Dans un avis du 21 mars 2011, le Conseil d’État a admis le bien-fondé de ce raisonnement (CE, avis, 21 mars 2011, req. n° 345978 et 346612, MM. J. et T. – V. sur ce point, S. Slama, JCP A 2011, n° 18, n° 2173). Faisant application de la jurisprudence « Perreux », l’avis pointe deux dispositions jugées suffisamment précises et inconditionnelles (Cf. CE ass., 30 oct. 2009, req. n° 298348). La première se rapporte à la nécessité d’indiquer dans la décision de retour le délai de départ volontaire d’un étranger en instance de reconduite (art. 7). La seconde impose à l’autorité publique de prendre « toutes mesures nécessaires » pour mettre à exécution une décision d’éloignement sans délai ou dont le délai de retour spontané est expiré (art. 8). Au jour de l’avis, ces contraintes étaient méconnues par l’article L. 511-1, II du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui ne prévoyait pas qu’une mesure de reconduite à la frontière puisse être assortie d’un « délai approprié » d’exécution spontanée d’au moins sept jours. Le texte adopté par le Parlement en mai 2011 corrige cette lacune avec un retard coupable si l’on veut bien se souvenir que le Gouvernement avait dévoilé son projet de loi… en février 2010.
2. Tirant les conséquences de l’effet direct des articles 15 et 16 de la directive, la Cour de justice de l’Union européenne a délimité de manière spectaculaire le champ d’application des sanctions pénales qui accompagnent la plupart des dispositifs nationaux de départ forcé.
Sans doute, elle ne condamne pas dans son ensemble le recours à de telles mesures. Cette concession se déduit de la lecture même de la directive qui définit un cheminement procédural entre l’édiction de la décision de départ forcé et sa mise à exécution effective sans imposer aux États de s’en remettre à une technique juridique précise (V. points 34 et 41). Son article 8 habilite notamment les autorités à prendre « toutes les mesures nécessaires pour exécuter » une obligation de quitter le territoire sans délai. La Cour prend acte de cette autonomie institutionnelle pour conclure que « les États membres restent libres d’adopter des mesures, même de caractère pénal, permettant notamment de dissuader ces ressortissants de demeurer illégalement sur le territoire de ces États. » (points 52). Plus particulièrement, les autorités peuvent recourir à des sanctions pénales si « les mesures coercitives n’ont pas permis de parvenir à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers qui séjourne sur leur territoire de façon irrégulière. » (point 60)
Pour cette dernière raison, le dispositif pénal qui sanctionne en tant que tel le séjour irrégulier des étrangers n’est pas, par principe, remis en cause. L’autorité ne doit toutefois y recourir qu’après avoir d’abord cherché à éloigner un étranger dans le respect de la procédure prévue par la directive. Dans l’affaire jugée par la Cour de justice, le comportement des autorités italiennes a précisément été dénoncé au motif que la sanction pénale avait été prononcée sans qu’une procédure d’éloignement ait été auparavant engagée. En condamnant ainsi un étranger à une peine de prison au seul motif qu’il s’était déjà abstenu d’exécuter une précédente obligation de quitter le territoire, ces autorités ont usé d’un moyen jugé disproportionné au regard de l’objectif de la directive. Celle-ci vise en effet non à sanctionner les étrangers en situation irrégulière mais à instaurer une « politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier » (point 59).
3. En transposant cette analyse au droit français, deux cas de figure doivent être distingués pour entrevoir les conséquences de l’arrêt de la Cour.
Le premier concerne l’article L. 624-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que le projet de loi adopté en mai 2011 confirme en se bornant à corriger sa rédaction. À l’instar de la réglementation italienne condamnée par la Cour de justice, cette disposition prévoit que l’étranger qui se soustrait à une mesure de départ forcé ou qui ne présente pas les documents de voyage ou d’identité adéquats s’expose à une peine de trois ans de prison. Il nous semble que pareilles poursuites peuvent continuer d’être engagées si les autorités établissent avoir cherché à exécuter la mesure de départ forcé, en toute logique plusieurs fois, et que l’échec est exclusivement imputable à l’étranger concerné (obstruction volontaire, destruction des documents d’identité…). On ne peut guère évaluer la pratique pénale actuelle car le rapport annuel sur l’immigration ne livre plus d’indications chiffrées depuis 2003. Les dernières orientations précisaient d’ailleurs non le nombre de condamnations effectives mais celui des poursuites engagées au titre de l’article L. 624-1 du code (1 769 en 2002).
Un autre pan des sanctions pénales est plus problématique. Il concerne la pénalisation du séjour irrégulier qui expose un étranger à un an de prison (C. étrangers, art. L. 621-1). En engageant des poursuites immédiatement à l’encontre d’une personne qu’elle sait en situation irrégulière, les autorités françaises contreviendraient à l’arrêt de la Cour de justice puisqu’elles s’abstiendraient d’assurer son éloignement par la voie administrative. Si elle se confirme, une telle conclusion fragiliserait grandement les pratiques de l’administration française qui sollicite presque systématiquement un placement en garde à vue après le contrôle d’identité d’un étranger en situation irrégulière, prélude à un placement en rétention. Or, faut-il le rappeler, la garde à vue n’est rendue possible que par l’existence du délit de séjour irrégulier.
Il reste que ces poursuites sont assez rarement engagées au sens où le recours à l’obligation de quitter le territoire sans délai est privilégié et où les parquets se limitent pour l’essentiel aux hypothèses de récidive. Pour le formuler autrement, l’action pénale est ainsi détournée de son objet pour être mise au service de la voie administrative. Pour cette raison, le Gouvernement pourrait fort bien décider de maintenir le délit de séjour irrégulier en estimant que les poursuites ne sont, de fait, engagées qu’à l’encontre de personnes ayant clairement montré leur refus de se soumettre à une mesure de départ forcé.
Dans son interprétation de la directive, la Cour de justice a délimité en ce sens le champ des mesures pénales qui ne doivent, on l’a souligné, que « dissuader (les étrangers) de demeurer illégalement sur le territoire » mais en aucun cas se substituer à l’action administrative. Ce raisonnement renvoie au présupposé général de la directive qui pose deux grands principes. L’un, général, habilite les États à assurer le départ forcé des étrangers en situation irrégulière. Le second porte sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer cette finalité. Sur ce point, les États ont souhaité recourir aux « mesures les moins coercitives possibles » (point 39 et Direct., 16ème consid. et art. 15 § 1). Privilégiant le retour spontané, la directive autorise au plus un placement en rétention dans des cas strictement délimités (risque de fuite, obstruction) et impose aux autorités d’établir une telle nécessité (Direct., art. 15). Pour autant, cette privation de liberté ne vise pas à sanctionner un comportement. Elle ne constitue qu’un moyen destiné à assurer un éloignement effectif.