Code Litec 2012, p. 430
La question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation le 23 novembre 2011 (Cass. civ. 1, 23 nov. 2011, req. n° 1252) présentait des enjeux qui dépassaient le cadre des sanctions pénales du séjour irrégulier (C. étrangers, art. L. 621-1). En effet, si ce délit était remis en cause, un étranger soupçonné de séjour irrégulier et contrôlé sur la voie publique ne pouvait plus être placé en garde-à-vue dans la mesure où, depuis la réforme du 14 avril 2011, la loi française conditionne ce placement à la commission d’un crime ou d’un délit puni d'une peine d'emprisonnement (CPP, art. 62-2). La procédure faisait directement écho à la décision de la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 décembre 2011 (aff. C‑329/11, Achughbabian c/ Préfet du Val-de-Marne : Droit adm. févr. 2012, p. 46, V. Tchen et égal. CJUE, 28 avr. 2011, El Dridi, aff. C‑61/11 : Dr. adm. juin 2011, V. Tchen). Saisi d’une question préjudicielle par la Cour d’appel de Paris, le juge communautaire n’avait pas estimé que ce délit était, en lui même, incompatible avec la directive « retour » n° 2008/115 du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. La Cour de justice avait notamment observé que la directive ne s’oppose pas à une législation pénale qui, comme en droit français, qualifie le séjour irrégulier de délit et prévoit des sanctions destinées à dissuader et à réprimer la commission d’une telle infraction. Dans le même temps, un étranger ne peut pas être sanctionné pénalement au seul motif qu’il est en situation irrégulière, les États devant d’abord chercher à l’éloigner par la voie administrative.
La décision du 3 février 2012 élude la question de cette incompatibilité (Cons. const., déc. n° 2011-217 QPC, 3 févr. 2012, M. Mohammed Alki B.). Il est rappelé que l’inconstitutionnalité d’une loi ne peut pas être dénoncée au regard d'engagements internationaux et européens de la France (Cf. Cons. const. déc. n° 74-54 DC, 15 janv. 1975 et confirmant la jurisprudence pour une QPC, déc. n° 2010-605 DC, 12 mai 2010). Plus particulièrement, parce que la nécessité constitutionnelle de transposer des directives ne figure pas au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit, la méconnaissance d’une directive ne peut pas être soulevée dans le cadre de la procédure ouverte par l’article 61-1 de la Constitution (Cf. Cons. const. 12 mai 2010, préc., consid. 19). Conscients de cette impossibilité, les requérants sollicitaient plutôt du Conseil constitutionnel qu’il se range aux conclusions de l’arrêt du 6 décembre 2011 de la Cour de justice qui, selon eux, aurait dénoncé la nécessité du délit de séjour irrégulier. Or, précisément, l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen conditionne l’existence d’un délit à une telle nécessité. Alors même qu’une telle interprétation de l’arrêt du 6 décembre 2011 nous paraît sur le fond très hasardeuse, les juges constitutionnels ont refusé de répondre directement à ce moyen. La crainte de devoir se ranger pour l’avenir à l’analyse de la Cour de justice de l’Union européenne n’a, sans doute, pas été totalement étrangère à ce refus. En conséquence, le Conseil constitutionnel renvoie le soin de trancher une incompatibilité du droit français avec la directive « retour » aux juridictions administratives et judiciaires. La Cour de cassation devra pour le moins rapidement établir une doctrine claire pour mettre fin à certaines incertitudes suscitées par certaines juridictions (V. ainsi dans le sens de l’illégalité d’une garde-à-vue, CA Aix, 8 déc. 2011, req. n° 11/00383).
Dans le même temps, le Conseil n’a pas estimé que le délit institué par le décret-loi du 2 mai 1938 et jamais soumis à son contrôle méconnaissait le principe de nécessité posé par l'article 8 de la Déclaration de 1789. Reconnaissant au législateur, dans ce domaine, une marge de manoeuvre pour apprécier la nécessité des peines attachées aux infractions (Cf. Cons. const. déc. n° 80-127 DC, 20 janv. 1981), il s’est borné à assurer un contrôle de la disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. Sans motiver sa décision, il en conclut que les peines encourues, un an de prison et 3 750 euros d’amende, ne sont pas manifestement disproportionnées. De fait, dans le passé, d’autres délits relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers punis par des peines de prison plus importantes n’ont pas été jugés contraires au principe de nécessité (V. ainsi déc. n° 96-377 DC, 16 juill. 1996, pour le délit d’aide au séjour irrégulier et déc. n° 2003-484 DC, 20 nov. 2003, pour le délit de fraude au mariage). Donnant une nouvelle fois la mesure des sources constitutionnelles du droit des étrangers, la décision ferme la voie à une contestation du délit de séjour irrégulier et, plus largement de la garde-à-vue des étrangers contrôlés en situation irrégulière sur la voie publique.