Code Litec 2012, p. 534, 572 et 997
La Cour européenne des droits de l’homme dénonce le recours systématique à la procédure prioritaire lorsqu’une demande d’asile est postérieure à une obligation de quitter le territoire (CEDH, 2 févr. 2012, req. n° 9152/09, I.M. C/ France, § 127). En pratique, cette seule circonstance suffit à considérer que la demande d’asile repose, par présomption, sur une « fraude délibérée » ou constitue un « recours abusif à l’asile » au sens de l’article L. 741-4, 4° du code des étrangers. Cette qualification pour un motif simplement procédural est pourtant sans relation avec les circonstances de l’espèce, la teneur de la demande ou son fondement. Il n’est pas non plus tenu compte que la personne expose une première demande de protection ou sollicite un réexamen. Pareille pratique revient à préférer une voie expéditive au mépris de l’effectivité de garanties procédurales. Ce classement systématique en procédure prioritaire est pourtant loin d’être anodin puisqu’il aboutit à un « traitement extrêmement rapide, voire sommaire de (la) demande par l’OFPRA » (§ 148). Ce dernier doit en effet statuer dans un délai de quinze jours et même 96 heures si, comme dans le cas du requérant, le demandeur est placé en rétention (C. étrangers, art. R. 723-3). Ces délais ne sont guère compatibles avec les exigences d’un examen minutieux. De fait, alors que la quasi-totalité des candidats à l’asile bénéficie d’un entretien, les taux de convocation des personnes classées en procédure prioritaire étaient en 2010 de 12 % pour les demandes de réexamen et de 60 % pour les premières demandes. Dans le cas présent, l’examen en procédure prioritaire de la demande aurait pourtant constitué le seul examen sur le fond si la Cour n’avait pas enjoint à la France de suspendre à titre provisoire l’éloignement forcé du requérant vers le Soudan. La Cour européenne s’est surtout émue que les personnes concernées saisissaient la CNDA sans garantie de pouvoir se maintenir en France le temps de l’examen de leur recours, au contraire des candidats à l’asile soumis au droit commun (C. étrangers, art. L. 742-6). Nullement hypothétique, ce risque est d’autant plus préoccupant que le recours à la procédure prioritaire est loin d’être exceptionnel (24 % de la demande globale !). Or, en 2010, seuls 4,4 % des personnes concernées ont finalement été admises comme réfugiée ou protégée subsidiaire (8,7 % pour les premières demandes, 0,7 % pour les réexamens) alors que le taux global d’admission était, toute demande confondue, de 28 %… Cet ensemble de contraintes procédurales imposées à un candidat à l’asile qui est le plus souvent privé de liberté affecte au final sa capacité à faire valoir le bien-fondé de griefs tirés de l’article 3 de la Convention. Dans l’affaire jugée par la Cour, plusieurs procès-verbaux attestent que l’OFPRA a clairement procédé à un examen très superficiel des risques de persécution, ne laissant guère le loisir au requérant d’exposer sa situation personnelle. Plusieurs erreurs matérielles assez affligeantes pour un organe censé assurer la protection des personnes persécutées en attestent.
En retenant à l’unanimité une violation de l’article 13 combiné avec l’article 3, la Cour a moins dénoncé l’état du droit français qu’une pratique, fut-elle facilitée par une loi qui pose une présomption de non-persécution et autorise un traitement accéléré des demandes. Pour cette raison, le cadre général de la procédure prioritaire pourrait fort bien survivre à l’arrêt du 2 février 2012. En revanche, deux points du droit français posent problème. Le premier concerne le classement systématique de certaines demandes d’asile. On peut douter que la mise en conformité avec l’arrêt de la Cour passe simplement par une simple obligation de motivation des décisions de classement en procédure prioritaire qui permettrait d’évaluer le bien-fondé des arguments du candidat à l’asile. Dans l’affaire jugée par la Cour, le caractère dilatoire et infondé de la demande de protection avait été établi par l’Office qui avait motivé de manière détaillée sa position… avant que la CNDA démente cette analyse rapide. Le second point litigieux vise l’absence d’effet suspensif attaché au recours devant la CNDA, sans que cette dernière ait la possibilité de prolonger le droit de séjour à titre provisoire après le rejet de la demande d’asile par l’OFPRA. Une voie de recours en urgence pourrait être créée sur le modèle de celle reconnue aux candidats à l’asile qui formulent leur demande en zone d’attente. Cette voie avait précisément instituée à la suite d’une condamnation de la France par la Cour dans un domaine, le droit à la protection des personnes persécutées, que la Convention ignore pourtant superbement (CEDH, 26 avr. 2007, req. no 25389/05, Gebremedhin c/ France. - C. étrangers, art. L. 213-9).