Panorama de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
La complexité et la lourdeur du nouveau dispositif applicable au plus tard avant le 1er mars 2019 rendent plus que jamais nécessaire la recodification du Code des étrangers qui interviendra par voie d’ordonnance avant le 10 septembre 2020 pour, vaste programme, « en clarifier la rédaction ». Car après plusieurs mois de pause législative, le droit des étrangers est confronté aux démons réformateurs qui le rongent depuis 1980. Le gouvernement n’a pas échappé pas à cette tentation dénoncée par le Conseil d'État dans son avis n° 394.206 du 15 février 2018 qui avait noté que l’emballement législatif « à d'aussi brefs intervalles rend la tâche des services chargés de leur exécution plus difficile, diminue sensiblement la lisibilité du dispositif et risque d’entraîner à son tour d’autres modifications législatives pour corriger l’impact de mesures qui, faute de temps, n’a pu être sérieusement évalué. » On ne saurait mieux dire. Alors que certains points de la réforme du 7 mars 2016 n’avaient pas connu une année pleine d’application, le ministre de l’Intérieur présentait son projet de loi le 21 février 2018 en affichant des ambitions finalement banales. Ce conformisme s’étend aux moyens juridiques mobilisés, sans que l’on parvienne toujours à isoler les initiatives portées par le gouvernement et celles suscitées par une administration en demande permanente d’adaptations.
Le chantier législatif a été ouvert dans l’urgence le 20 mars 2018 pour définir le « risque non négligeable de fuite » du candidat à l’asile en instance de transfert vers l’État européen compétent et permettre à cette fin un placement en rétention conforme aux exigences de l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 (sur ce point, CJUE, 15 mars 2017, Al Chodor, aff. C-528/15, Cass. civ. 1re, 27 sept. 2017, n° 17.15160 et CE, 5 mars 2018, n° 405474). Six mois plus tard, les 72 volumineux articles de la loi du 10 septembre 2018 (le projet n’en comportait que 41) impactent dans une toute autre mesure le droit des étrangers. Dans ce contexte, la présentation synthétique de la réforme constitue un exercice intenable au sens où le législateur n’a épargné que le livre 4 relatif au regroupement familial. En se concentrant sur les grandes lignes de la loi, on présentera les dispositions destinées à promouvoir, selon les vœux du gouvernement, une « immigration maîtrisée » (I), un « droit d'asile effectif » (II) et une « intégration réussie » (III). On signalera au préalable que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, s’est borné à invalider des dispositions de portée mineure pour des raisons de procédure.
I. Une « immigration maîtrisée » par des procédés éprouvés
Les déboires des gouvernements passés en matière de lutte contre l’immigration irrégulière auraient pu inciter les porteurs du projet à une certaine prudence. Loin de là, le texte affiche une volonté d’« immigration maîtrisée » censée reposer sur le renforcement du dispositif existant. Une nouvelle fois, le législateur s’est épargné une réflexion sur les véritables raisons qui fondent dans ce domaine l’impuissance publique.
A. Un premier axe de réforme, passage obligé de tous les gouvernements depuis 1980, concerne le dispositif d’obligation de quitter le territoire qui apparaît plus que jamais inintelligible. Trois points peuvent être isolés. Désormais, en cas de rejet d’une demande d’asile et de titre de séjour déposé sur un autre fondement, l’intéressé fera l’objet d’une obligation de quitter le territoire sur le fondement de l’article L. 511-1, I, 6° du Code des étrangers pour éviter un double recours. Les motifs de refus d’accorder un délai de départ volontaire ont par ailleurs été élargis pour préciser les contours du refus de collaboration avec l’administration et viser l'étranger qui manifeste son intention de ne pas se conformer à une obligation de quitter le territoire (C. étrangers, art. L. 511-1, II, 3°). Autre innovation, la durée de validité de l’interdiction de retour sera appréciée à compter de l’exécution de l’obligation de quitter le territoire et non plus de sa notification (C. étrangers, art. L. 511-1, III). Dans un registre voisin, le législateur a modifié le dispositif de réadmission vers un État européen (C. étrangers, art. L. 531-1). Le préfet pourra assortir sa mesure d’une interdiction de circulation d’une durée maximale de trois ans. Pour les détenteurs d'une carte « résident de longue durée-UE » ou d’une « carte bleue européenne » accordée par un autre État membre et les bénéficiaires d'un transfert temporaire intragroupe, il sera nécessaire d’établir un abus de droit ou « une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ».
On signalera encore que le cadre de la retenue pour vérification du droit de séjour, élément central du dispositif d’obligation de quitter le territoire qui permet d’établir l’irrégularité du séjour après un contrôle d’identité, a été substantiellement modifié pour notamment retenir une personne pendant 24 heures contre 16 jusqu’alors (C. étrangers, art. L. 611-1-1). Plus que jamais, le dispositif présente les allures d’une garde-à-vue pourtant chassée avec fracas du paysage du droit des étrangers en 2012.
B. Un second axe de réforme concerne le contentieux de l’obligation de quitter le territoire. Le dispositif né de la réforme du 7 mars 2016 avait fait apparaître des difficultés pointées par l’avis n° 394.206 rendu le 15 février 2018 par la section de l’Intérieur du Conseil d'État sur le projet de loi. La loi du 10 septembre 2018 apporte quelques réponses. Elle interdit à l’étranger concerné de s’opposer à une audience délocalisée et, en cas de rétention, allonge de 72 heures à 96 heures le délai imparti au juge pour statuer (le dépassement de ce délai restant sans conséquence). Dans le même temps, loin de simplifier l’état du droit, le législateur n’a pas remis en cause la démultiplication invraisemblable des voies de recours (C. étrangers, art. L. 512-1). Plus encore, il ouvre une nouvelle voie d’action devant le juge administratif pour permettre au candidat à l’asile de solliciter l’effet suspensif de la mesure de départ forcé dans l’attente de la décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) (C. étrangers, art. L. 743-3 et L. 743-4 et égal. L. 571-4). Cette initiative avait été dénoncée par l’avis précité du Conseil d'État, estimant que le tribunal empiéterait sur l’office de la Cour. On observera enfin que le délai de recours contre la décision de transfert d’un candidat à l’asile placé en rétention ou assigné à résidence a été porté de 7 à 15 jours et celui ouvert au juge pour statuer de 72 à 96 heures (C. étrangers, art. L. 742-4). Ce point avait été réformé… le 20 mars 2018 !
De manière spécifique, le législateur a modifié le régime contentieux applicable aux détenus pour tenir compte de la question prioritaire de constitutionnalité jugée le 1er juin 2018. La loi maintient un délai de recours de 48 heures en cas d’obligation de quitter le territoire sans délai et prévoit que si l’intéressé est susceptible d'être libéré en cours d'instance avant que le juge statue, le préfet en informe le juge qui statue alors dans les huit jours. Le Conseil constitutionnel a validé ce régime au motif qu’il évitait à l’intéressé d’être placé en rétention à l'issue de sa détention.
Les modalités d’exécution des obligations de quitter le territoire ont été redéfinies. C’est ainsi que le préfet pourra contraindre les étrangers qui bénéficient d’un délai de départ spontané à résider dans un lieu désigné suivant des modalités proches de celles d’une assignation à résidence (C. étrangers, art. L. 513-4). Pour inciter encore les étrangers à se soumettre à une mesure de départ forcé, le législateur a renforcé le dispositif pénal. Il a été prévu qu’un étranger qui se soustrait à l'exécution d'un refus d'entrée, d'une interdiction administrative du territoire, d'une d'expulsion ou d'une obligation de quitter le territoire s’exposera à trois ans de prison (C. étrangers, art. L. 624-1-1). Cette peine sera applicable à l'étranger qui refuse de se soumettre aux modalités de transport ou qui, visé par l’une de ces mesures, pénètre de nouveau sans autorisation en France.
C. Élément central de la réforme, les conditions de placement en rétention administrative ont, en troisième lieu, été modifiées. Sur le fond, le législateur a opté pour un certain statu quo. Alors que des voix s’étaient élevées pour mettre fin à la rétention des mineurs, le texte final confirme ainsi qu’un mineur « ne peut faire l'objet d'une décision de placement en rétention ». Mais, comme cela était déjà le cas, il peut toujours être retenu s'il accompagne un étranger placé en rétention (C. étrangers, art. L. 551-1, III bis). Ce dernier point avait été contesté par les sénateurs dans leur mémoire devant le Conseil constitutionnel au regard de… l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le Conseil a sobrement rappelé son refus de contrôler la constitutionnalité des lois et a pris acte que la rétention du mineur est justifiée par la volonté quelque peu cynique de ne pas le séparer de l'étranger majeur qu'il accompagne. Le Conseil impose simplement de veiller à « l’intérêt supérieur de l'enfant » sans autre précision sur les aspects pratiques de cette exigence… et le fondement constitutionnel d’une notion consacrée par la convention de New-York du 20 novembre 1989. On pourra par ailleurs s’étonner que le législateur, plutôt que d’interdire la rétention d’une personne handicapée, ait simplement imposé de prendre en compte « le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d'accompagnement de l'étranger […] pour déterminer les conditions de son placement en rétention.»
Sur un plan procédural, la réforme du 10 septembre 2018 permet au juge des libertés et de la détention de se prononcer dans les 48 heures (contre 24 heures jusqu’alors) pour prévenir le risque que la mesure de rétention soit levée en l’absence de décision dans les délais. Surtout, elle bouleverse une nouvelle fois le séquençage de la rétention dans un sens inédit (C. étrangers, art. L. 552-7) : 48 heures (placement initial par le préfet) + 28 jours (inexécution de la mesure d’éloignement en raison du défaut de délivrance des documents de voyage ou de l'absence de moyens de transport) + 15 jours + 15 jours + 30 jours (obstruction à l'exécution de la mesure d'éloignement ; demande d’asile dilatoire ; délivrance des documents de voyage « à bref délai »). Ces durées ne sont certes pas incompatibles avec la directive « retour » du 16 décembre 2008 dont l’article 15 autorise une durée maximale de six mois (et même 18 mois, sous certaines réserves). Pour sa part, le Conseil constitutionnel s’est borné à observer que « l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient ». L’opportunité du délai de 90 jours soulève en revanche de sérieuses réserves. En 2016, la durée moyenne de rétention était de 12 jours. Il est notoirement acquis que, passé un certain délai en rétention (inférieur à deux semaines), l’exécution de la mesure de départ est vouée à l’échec en raison d’obstacles quasiment insurmontables (identification de la personne, délivrance du laissez-passer consulaire, détermination d’un pays tiers pour certains étrangers). La limitation de la durée de rétention est donc loin d’expliquer à elle seule le faible taux d’exécution des mesures de départ forcé des étrangers placés en rétention (moins de 40 % en 2016). Dans son avis précité, le Conseil d'État avait plus particulièrement pointé le risque d’atteinte au droit d’asile en observant qu’il « paraît difficile de présumer de façon irréfragable que toute demande d’asile ou de protection présentée tardivement est nécessairement dilatoire » (§ 51).
Le texte porte par ailleurs à 10 heures le délai de maintien à disposition de la justice d’un étranger dont l’assignation à résidence ou la rétention a été refusée par le juge des libertés et de la détention (C. étrangers, art. L. 552-6 et L. 552-10). Après deux allongements de ce délai en 2011 et 2016, la privation de liberté qui vise une personne dont le maintien en rétention a été refusé par le juge des libertés et de la détention interroge. Ni le Conseil d'État dans son avis sur le projet, ni le Conseil constitutionnel n’ont pourtant dénoncé cet état du droit.
Pour conclure ce panorama, on signalera que le législateur a dû tirer les conséquences de la question prioritaire de constitutionnalité jugée le 6 juillet 2018 qui a élevé la fraternité au rang de « principe à valeur constitutionnelle » pour garantir « la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. » Par cette formule audacieuse et inattendue, le Conseil constitutionnel n’avait pas ruiné le principe d’une législation réprimant l’aide aux étrangers en situation irrégulière, contestant simplement (si l’on peut dire) la répression de l’aide apportée sans contrepartie à un étranger dans le cadre de son séjour en France. L’article L. 622-4 du Code des étrangers a été modifié en ce sens de manière minimaliste. Il avait été fait grief au législateur de ne pas avoir étendu les exemptions pénales aux personnes poursuivies pour une aide humanitaire à l'entrée en France. Pour justifier ce refus, le Conseil constitutionnel a rappelé que cette aide a pour conséquence de faire naître une situation illicite, à la différence de celle apportée pour la circulation ou le séjour en France.
II. À la recherche du « droit d’asile effectif »
Sous couvert d’un « droit d’asile effectif », expression pour le moins ambiguë, la loi entend lutter contre des démarches jugées inopportunes qui s’inscrivent dans un contexte d’inflation des demandes de protection (100 412 en 2017, en hausse de 17,1 %). Ce faisant, le gouvernement a éludé une question centrale : comment déterminer le caractère abusif d’une demande d’asile sans l’examiner préalablement dans un certain détail ? En multipliant les présomptions de fraude, le gouvernement a surtout pris le risque de porter atteinte au droit d’asile et de dissuader des candidats réellement persécutés, même si la loi commentée ne saurait se réduire à des dispositions restrictives. On songe à la protection des mineurs exposés à un risque de mutilation sexuelle (C. étrangers, art. L. 723-5) ou au droit de séjour des protégés subsidiaires et apatrides qui pourront prétendre à une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans et seront donc épargnés d’un renouvellement annuel (C. étrangers, art. L. 313-25). On mentionnera encore la possibilité inédite d’organiser des missions dans des pays tiers pour rapatrier des personnes en situation de vulnérabilité (C. étrangers, art. L. 714-1). Il demeure que le gouvernement a très clairement manifesté sa volonté d’encadrer l’accès au guichet de l’asile et de faciliter le traitement contentieux des demandes réputées abusives.
A. Sur le premier point, le texte réforme les procédures d’examen des demandes d’asile. Il réduit de 120 à 90 jours le délai courant à compter de l’entrée sur le territoire au-delà duquel le dépôt d’une demande entraîne un examen en procédure accélérée. Dans un incroyable jeu de piste qui impose de se reporter à six articles du Code des étrangers, le législateur a ajouté trois hypothèses de rejet automatique aux six déjà existantes (C. étrangers, art. L. 743-2). Ces modifications n’ont pas été contestées par le Conseil constitutionnel au motif que la procédure accélérée ne dispense pas l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de procéder à un examen individuel et d’auditionner l'intéressé et ne lui interdit pas de recourir à la procédure normale (au même titre que la CNDA).
La loi autorise par ailleurs une répartition des demandeurs d'asile sur l'ensemble du territoire en déterminant la part de chaque région dans leur accueil et en les orientant vers une région où ils seront tenus de résider pour bénéficier d’un hébergement et de l’allocation (C. étrangers, art. L. 744-2). Le texte vise par là même à éviter une concentration des demandeurs dans les métropoles.
B. Le contentieux de l’asile a pour sa part fait l’objet de modifications substantielles, trois ans après avoir été réformé presque intégralement. Pour obtenir rapidement une décision finale et mettre fin au droit de séjour, la loi pose que le droit au maintien sur le territoire et le bénéfice des conditions matérielles d'accueil cessent dès la lecture de l’arrêt de la CNDA en audience publique et non plus à sa notification, comme l’exigeait le Conseil d'État (C. étrangers, art. L. 744-9-1). Elle aménage par ailleurs le régime juridictionnel applicable à certaines décisions de rejet en procédure accélérée pour harmoniser les interventions du juge de l’asile et de l’éloignement lorsque la procédure vise des ressortissants de pays d’origine « sûrs », des demandes de réexamen rejetées et des demandeurs représentant une menace grave pour l’ordre public (C. étrangers, art. L. 743-2). De même, l'exigence de consentement du requérant pour recourir à des moyens de communication audiovisuelle a été supprimée (C. étrangers, art. L. 733-1). Confirmant sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur contribuait « à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics» et avait prévu des garanties suffisantes.
Sur un plan processuel, la loi ajoute un nouveau motif de renvoi devant l’OFPRA. Il en sera ainsi lorsque la Cour estimera que le requérant a été dans l’impossibilité de se faire comprendre lors de l’entretien faute d’avoir pu bénéficier d’un interprète, si cette situation est imputable à l’OFPRA (C. étrangers, art. L. 733-5).
De manière plus large, la loi a modifié l'article 9-4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 pour imposer aux requérants de solliciter l'aide juridictionnelle dans les quinze jours suivant la notification de rejet de la demande d’asile. Lorsqu'une demande est adressée au bureau de la Cour, le délai de recours est suspendu et un nouveau délai court, pour la durée restante, à compter de la décision d’admission à l'aide. Sur ce point, le bureau de la Cour « s'efforce » de notifier sa décision dans les quinze jours suivant l'enregistrement de la demande.
Plusieurs dispositions visent enfin à faciliter l’exécution d’une obligation de quitter le territoire d’un candidat à l’asile, notamment celui débouté pour des motifs tirés de l’irrecevabilité manifeste. Le préfet pourra l’assigner à résidence pendant 45 jours (renouvelable une fois) ou le placer en rétention pour prévenir un risque de fuite ou si l'ordre public l'exige (C. étrangers, art. L. 744-9-1). On doute que ce régime soit parfaitement compatible avec la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 juillet 2018 visant les Pays-Bas (aff. n° C269/18) qui prohibe le placement en rétention d’un candidat à l’asile dont le refus de séjour est contesté. On l’a déjà signalé, le juge administratif pourra par ailleurs suspendre l’exécution de l’obligation de quitter le territoire et mettre fin aux mesures de surveillance, sauf si l’OFPRA a pris une décision de rejet ou si l'intéressé constitue une menace grave pour l’ordre public.
C. Cet état du droit déjà très restrictif a été durci en Guyane pour tenter de faire face à une situation inédite : 5 917 demandeurs d’asile en 2017 (avec un taux d’accord global de 2,8 % en 2017, contre 39 % pour le reste du territoire) contre 1 099 en 2014. Les intéressés devront saisir la préfecture dans les 60 jours suivant leur arrivée (contre 90 sur le reste du territoire). Au-delà de ce terme, l’OFPRA pourra recourir à la procédure accélérée. Cette restriction s’articule avec celles du décret n° 2018-385 du 23 mai 2018 qui, sans attendre le vote de la réforme du 10 septembre 2018, a engagé une « expérimentation » en Guyane pour garantir « un traitement plus rapide des demandes d'asile ». Selon ce décret, après remise d’une autorisation provisoire de séjour, les candidats à l’asile disposent de sept jours (contre 21 en métropole) pour présenter une demande en français et par écrit à l’OFPRA ou à son antenne de Cayenne créée à cet effet pour 18 mois. Le décret supprime par ailleurs le délai de distance d’un mois pour saisir la CNDA qui statue dans les quinze jours (un mois en métropole), sans préjudice de motifs justifiant « un examen approprié de la demande».
III. Les instruments minimalistes d’une « intégration réussie »
L’ambition d’une « immigration réussie » aurait mérité des explications approfondies pour ne pas entretenir l’illusion d’une refonte des politiques migratoires ou, pour le moins, du cadre du séjour des étrangers en situation régulière. Le rapport remis par le député Aurélien Taché au Premier ministre en février 2018 faisant état de 72 propositions pour une « politique ambitieuse d’intégration des étrangers en France » aurait pu servir d’élément d’ancrage. Il a été tout simplement ignoré. Loin de ces objectifs, la loi se concentre sur la réforme des conditions d’accueil des talents étrangers et une modeste simplification du droit de séjour de certains étrangers.
A. Plusieurs dispositions sont dédiées à « l’attractivité et [… à] l'accueil des talents et des compétences», selon l’expression d’un chapitre de la loi. La réforme aménage notamment le dispositif de « passeport talent » créé en 2016 (C. étrangers, art. L. 313-20). Elle étend son bénéfice au salarié d’une « entreprise innovante ». Le « passeport talent » pourra être délivré si les fonctions exercées s’inscrivent dans le cadre d’un projet de développement économique (et non plus seulement d’un projet de recherche et de développement). Il en sera de même pour les chercheurs relevant de la directive (UE) 2016/801 du 11 mai 2016 et à toute personne susceptible de « participer de façon significative et durable au rayonnement de la France ou à son développement ». Le législateur a par ailleurs transposé les éléments de cette directive relatifs au séjour à des fins de recherche (C. étrangers, art. L. 313-20). Sur ce fondement, un étranger admis dans un État membre conformément à la directive pourra séjourner en France après notification de sa mobilité pour mener une partie de ses travaux sur la base de la convention d'accueil conclue dans le premier État membre. Pour tenir compte de la directive, la loi a également réformé le dispositif d’accueil des chercheurs et des étudiants européens (C. étrangers, art. L. 313-7). Elle crée à cet effet deux cartes de séjour temporaire et pluriannuelle « étudiant - programme de mobilité » et transforme en carte de séjour l’autorisation provisoire de séjour délivrée au titulaire d’un master qui complète sa formation par une première expérience professionnelle ou justifie d’un projet de création d’entreprise (C. étrangers, art. L. 311-11, L. 313-8 et L. 313-27). Ce titre non renouvelable sera aussi délivré au titulaire du passeport talent « chercheur » remplissant les mêmes conditions et à l’étranger qui, à la suite de l’obtention de son diplôme en France, a quitté le territoire moins de quatre ans auparavant.
La loi transpose encore les dispositions de la directive du 11 mai 2016 relatives aux jeunes au pair pour offrir un cadre d’accueil aux 6 000 personnes qui séjournent annuellement sur le territoire sur ce fondement. Elle institue une carte de séjour destinée aux personnes âgées de 18 à 30 ans venant en France pour améliorer leurs capacités linguistiques et hébergées en contrepartie de la garde d’enfants et de « petits travaux ménagers » (C. étrangers, art. L. 313-9).
B. Dans une logique auto-proclamée de simplification des démarches, la loi a réformé le titre remis aux mineurs étrangers en fusionnant le document de circulation et le titre d’identité républicain (C. étrangers, art. L. 321-3 et suiv.). Pour lutter contre la fraude documentaire, le document délivré à Mayotte ne permettra la réadmission de son titulaire qu’à Mayotte (C. étrangers, art. L. 832-2).
On observera que la situation migratoire à Mayotte a fait naître une particularité d’une toute autre portée. Le législateur a en effet adapté l'application des articles 21-7 et 21-11 du Code civil. Selon le nouvel état du droit qui n’apparaissait pas dans le projet initial, ces dispositions ne seront applicables à un enfant né localement que si, à la date de sa naissance, l'un de ses parents résidait de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois (C. civ., art. 2493). Cet aménagement au droit du sol et l’atteinte aux principes d'indivisibilité de la République et d'égalité devant la loi ont été validés par le Conseil constitutionnel au motif que la population de Mayotte comporte « une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu'un nombre élevé et croissant d'enfants nés de parents étrangers ». Pour le Conseil, ces circonstances constituent des « caractéristiques et contraintes particulières » prévues par l’article 73 de la Constitution justifiant une adaptation des règles relatives à l'entrée et au séjour des étrangers et à l'acquisition de la nationalité française.
C. La loi du 10 septembre 2018 a enfin réformé les modalités de délivrance de plusieurs titres de séjour. Tel est notamment le cas des conditions de la carte de séjour « visiteur » (C. étrangers, art. L. 313-6). Désormais, son bénéficiaire devra apporter la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources dont le montant doit être au moins égal au salaire minimum de croissance, indépendamment des aides sociales. Il devra en outre justifier de la possession d’une assurance maladie couvrant la durée de son séjour et s’engager à n’exercer aucune activité professionnelle.
La réforme entend par ailleurs lutter contre les reconnaissances frauduleuses du lien de filiation des ressortissants français. Pour l’année 2015, selon l’étude d’impact qui accompagnait le projet (p. 222), sur les 2 234 tentatives d’obtention frauduleuse de titres de séjour, les préfectures ont recensé 400 reconnaissances frauduleuses de paternité produites à l’appui d’une demande de titre de séjour et 577 en 2016. Dans ce contexte, le législateur a conditionné la délivrance d’un titre au parent d’enfant français à la justification de sa contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (C. étrangers, art. L. 313-11, 6°). Elle a aussi modifié la procédure d’enregistrement des reconnaissances du lien de filiation régie par l’article 316 du Code civil pour conditionner l’établissement d’un acte de reconnaissance à la production de justificatifs d’identité et de domicile. La loi crée sur ce point un dispositif d’alerte du procureur de la République par l’officier d’état civil pouvant aboutir à une opposition à l’établissement d’un acte de reconnaissance (C. civ., art. 316-1 et suiv.). Le tribunal de grande instance devra se prononcer dans les dix jours.