Code Lexis-Nexis édition 2019, C. étrangers, Livre 2 et Annexe 2
La Cour de cassation avait saisi le 12 octobre 2018 la Cour européenne des droits de l’homme d’une demande d’avis consultatif sur le fondement de l’article 1er du Protocole n° 16 à la Convention pour statuer sur la conventionnalité d’un refus de désigner la mère d’intention sur les registres de l’état civil français d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui (Cf. CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11 et 65941/11, Labassee et Mennesson c/ France, § 99 : le droit français soulève « une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants »). Dans son avis, la Cour a mis en relief le poids particulier de l’intérêt supérieur de l’enfant pour mesurer l’atteinte à la vie privée (CEDH, gde chbre, 10 avr. 2019, avis consultatif, n° P16-2018-001). En effet, l’absence de reconnaissance d’un lien de filiation entre la mère d’intention et l’enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger peut engendrer des conséquences négatives sur plusieurs aspects de la vie privée : incertitude juridique quant à l’identité dans la société, risque de refus de nationalité de la mère d’intention, fragilisation des droits successoraux en cas de séparation des parents d’intention ou de décès du père d’intention. L’intérêt supérieur de l’enfant ne se résume toutefois pas à ces aspects du droit à la vie privée pour inclure d’autres éléments fondamentaux tels que la protection contre les risques d’abus que comporte la gestation pour autrui.
Pour toutes ces raisons, la Cour estime que l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 42). Cette impossibilité a également été envisagée sous l’angle de la marge d’appréciation reconnue aux États dans ce domaine. Certes, il n’existe pas de consensus : la gestation pour autrui est autorisée dans 9 des 44 États signataires de la Convention, tolérée dans 10 et interdite dans 25 ; dans 32 États, le père d’intention, père biologique, peut établir sa paternité, alors que cette possibilité n’est ouverte à la mère d’intention que dans 19 États. Toutefois, lorsqu’un aspect important de l’identité d’un individu s’étend à d’autres aspects essentiels de sa vie privée, comme dans le cas présent, la marge laissée aux États est atténuée.
Prenant acte des exigences de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la réduction de la marge d’appréciation, la Cour en a conclu que le droit au respect de la vie privée d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui requiert une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation avec la mère d’intention lorsque celle-ci désignée dans l’acte de naissance établi à l’étranger comme la mère légale. L’intérêt de l’enfant commande que la durée de reconnaissance de filiation soit aussi brève que possible. Les États ne sont cependant pas tenus d’opter pour une transcription des actes de naissance établis à l’étranger, faute de consensus européen sur cette question. L’adoption de l’enfant par la mère d’intention peut être privilégiée si les procédures satisfont aux exigences d’effectivité et de célérité.