Code Lexis-Nexis édition 2023, C. étrangers, Livres 1 à 8 et Droit des étrangers (Lexis-Nexis), éd. 2022
Après plusieurs mois de consultation, le gouvernement avait transmis pour avis au Conseil d'État le 20 décembre 2022 un projet de loi « pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » présenté en conseil des ministres le 1er février 2023 après que l’assemblée générale du Conseil d'État ait adopté son avis le 26 janvier 2023 (CE, avis, 26 janv. 2023, n° 406543). Dans le sillage des troubles occasionnés par l'adoption de la réforme des retraites, le projet avait été suspendu le 22 mars 2023. Finalement, le 9 mai 2023, la première ministre a chargé le ministre de l'Intérieur de préparer un nouveau texte en capacité d'être adopté ! Il serait débattu à l'automne.
Le projet transmis au Sénat le 1er février 2023 réforme de manière substantielle le contentieux de l'obligation de quitter le territoire, le paysage administratif et contentieux de l'asile et, dans une moindre mesure, le droit applicable aux travailleurs étrangers, un volet qui est à l'origine du report du projet initial.
A. Réforme de l’emploi des travailleurs étrangers
1. Création d’un titre de séjour « métiers en tension » : le projet de loi crée une carte de séjour temporaire « travail dans des métiers en tension » d’un an (CESEDA, art. L. 421-4-1). Ce nouveau titre est soumis à deux conditions : activité salariée d’au moins huit mois, consécutifs ou non, au cours des 24 derniers mois dans un métier ou une zone géographique en tension (cf. CESEDA, art. L. 414-13) ; résidence ininterrompue d’au moins trois ans. Ce titre évitera aux intéressés de solliciter la procédure d’admission exceptionnelle au séjour qui doit être initiée par l’employeur et qui implique d’établir « des considérations humanitaires » ou « des motifs exceptionnels » (CESEDA, art. L. 435-1 et C. trav., art. R. 5221-11). La réforme s’applique aux étrangers en situation irrégulière ou régulière qui, dans les deux cas, bénéficieront de l’autorisation de travail, quel que soit l’employeur et le lieu d’emploi. Le projet prévoit un cadre d’application jusqu’au 31 décembre 2026, date à laquelle le dispositif fera l’objet d’une évaluation.
Dans son avis n° 406543 du 26 janvier 2023, le Conseil d'État a recommandé de ne pas introduire cette mention dans le Code des étrangers, « un code ne devant comporter que des dispositions à caractère permanent ». Sur un plan rédactionnel, l’avis a vainement proposé d’écarter la mention « délivrance de plein droit », sans effet juridique (la rédaction finale retient que l’étranger qui remplit les conditions légales « se voit délivrer de plein droit » le titre). Sur le fond, l’avis déplore la création d’une nouvelle catégorie de titres et s’interroge sur le sort qui sera réservé à l’entreprise désignée par l’étranger comme l’ayant irrégulièrement employé. L’engagement de poursuites pour emploi de travailleurs sans titre pourrait compromettre le nouveau dispositif et conduire des entreprises sanctionnées à en faire subir les conséquences sur le salarié ou à le dissuader d’entreprendre des démarches.
2. Accès des demandeurs d’asile au marché du travail : le projet de loi souhaite faciliter l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile dont la demande d’asile qui, en l’état du droit, n’est reconnue que dans l’hypothèse où l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides n’a pas statué dans les six mois. Le projet autorise un accès aux ressortissants de pays pour lesquels le taux de protection internationale accordé en France est supérieur à un taux qui sera fixé par voie réglementaire (CESEDA, art. L. 554-1-1). L’étude d’impact a indiqué un taux de 50 % sur la dernière année civile échue et estimé que ce dispositif aurait pu bénéficier à 14 500 demandeurs en 2022.
3. Encadrement de la création d’une entreprise individuelle : le projet de loi conditionne la création d’une entreprise individuelle à la détention d’un titre de séjour autorisant l’exercice de cette activité professionnelle (C. com., art. L. 526-22). Le projet ambitionne d’encadrer le recours à des travailleurs étrangers en situation irrégulière qui créent une entreprise individuelle pour contourner l’obligation de les salarier. Le secteur de la livraison est directement ciblé par le projet. Dans son avis n° 406543 du 26 janvier 2023, le Conseil d'État a vainement contesté ce point de la réforme en rappelant que l’exigence de la détention d’un titre de séjour pour exercer une activité professionnelle figure déjà dans le Code des étrangers (CESEDA, art. L. 414-10) qui dresse une liste des titres de séjour autorisant les étrangers à créer une entreprise en France et à exercer leur activité dans ce cadre (CESEDA, art. L. 421-5).
4. Création d’un titre « Talent – professions médicales et de la pharmacie » : les articles L. 4111-2 et L. 4221-12 du Code de la santé publique organisent l’activité d’un praticien diplômé en dehors de l’Union européenne en qualité de médecin, de sage-femme, de chirurgien-dentiste ou de pharmacien en quatre étapes successives : réussite aux épreuves de vérification des connaissances ; affectation par le ministre chargé de la santé sur un poste en qualité de praticien associé ; validation pendant cette affectation d’un parcours de consolidation des connaissances ; délivrance d’une autorisation de plein exercice.
Pour remédier aux difficultés liées au taux d’échec élevé aux épreuves de vérification des connaissances et au niveau insuffisant de rémunération pour prétendre à un passeport « Talent », le projet de loi crée une carte de séjour pluriannuelle « Talent » à destination des praticiens qui n’ont pas encore validé les épreuves de vérification des connaissances (CSP, art. L. 4111-2-1 et L. 4221-12-1). Le titre serait délivré pour une durée maximale de 13 mois (CESEDA, art. L. 421-13-1, al. 1). Dans son avis, le Conseil d'État a pointé la complexité de la procédure, une articulation délicate avec les mécanismes existants et le risque de maintien en France des praticiens qui échoueront aux épreuves de vérification des connaissances. On y ajoutera des conséquences redoutables pour le système de santé des pays des praticiens qui exerceront en France. Le projet de loi reconnaît par ailleurs le bénéfice d’une carte de séjour pluriannuelle « Talent » d’une durée maximale de 4 ans aux titulaires d’une autorisation d’exercer dans un établissement public ou privé à but non lucratif de santé, social ou médico-social et justifiant du respect d’un seuil de rémunération (CESEDA, art. L. 421-13-1, al. 2).
5. Renforcement des sanctions du travail irrégulier : le projet de loi crée une amende administrative en cas d’infraction à l’interdiction d’employer un étranger qui n’est pas autorisé à travailler en France.
Dans son avis n° 406543 du 26 janvier 2023, le Conseil d'État a estimé que cette amende réprime la même infraction énoncée au premier alinéa de l’article L. 8251-1 du Code du travail (C. trav., art. L. 8256-2 et L. 8256-3). Elle sanctionne donc les mêmes faits qualifiés de manière identique aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux que les sanctions pénales. Or, le principe de nécessité des délits et des peines interdit qu’une même personne fasse « l'objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux. » (Cons. const. 28 janv. 2022, n° 2021-965 QPC, consid. 14). Des faits peuvent toutefois être passibles d’une sanction administrative sous la forme d’une amende et d’une sanction pénale sous la forme d’une peine d’emprisonnement, d’une peine d’amende et de peines complémentaires (Cons. const. 29 sept. 2016, n° 2016-570 QPC, consid. 7). Ce cumul trouve sa limite lorsque l’amende atteint un montant d’une particulière gravité (Cons. const. 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC, consid. 19 à 28).
Dans le cas présent, l’article L. 8256-2 du Code du travail prévoit que la méconnaissance de l’interdiction d’employer un étranger sans titre est puni de cinq ans de prison, d'une amende de 15 000 euros et de peines complémentaires. La nouvelle amende administrative constituant une sanction de nature différente, son instauration ne méconnaît pas le principe de nécessité des délits et des peines.
B. Réforme du séjour des étrangers
1. Maîtrise de la langue française : la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle est notamment conditionnée à la justification à l’assiduité aux formations prévues par contrat d’intégration républicaine qui inclut une formation en langue française si la personne n’atteint pas le niveau élémentaire A1 (CESEDA, art. L. 433-4). Près d’un quart des étrangers qui suivent cette formation n’atteint pas ce seuil à l’issue du parcours d’intégration républicaine. Le projet de loi tire les conséquences de cette situation en conditionnant la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à un niveau minium de connaissance de la langue française (CESEDA, art. L. 413-5). Ce niveau sera défini par un décret en Conseil d'État. Le projet n’impose pas un contrôle de la maîtrise du français aux étrangers qui sont dispensés du contrat d’intégration républicaine.
2. Respect des principes de la République : le projet de loi prévoit que tout étranger qui sollicite un document de séjour s’engage à respecter les principes de la République (CESEDA, art. L. 412-7). Prenant acte que cette obligation figure déjà dans le code (CESEDA, art. L. 413-2, L. 413-7 et R. 413-15), l’avis du Conseil d'État n° 406543 du 26 janvier 2023 invite le Gouvernement à abroger les doublons dans un objectif de simplification.
Pour garantir notamment la liberté de conscience et d’opinion de l’étranger, il propose par ailleurs une rédaction différente du projet finalement retenu par le gouvernement (« L’étranger qui sollicite un document de séjour s’engage à respecter la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers. »).
Le projet prévoit enfin les conditions dans lesquelles les documents de séjour sont refusés, ne sont pas renouvelés ou sont retirés lorsque l’étranger ne respecte pas les principes de la République. Le Conseil d'État n’en a pas contesté le principe, le législateur pouvant conditionner le séjour en France au respect de principes essentiels de la société française. Mais il doit assurer le respect des libertés et droits fondamentaux et déterminer avec suffisamment de précision les comportements justifiant le refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour (sur cette exigence, Cons. const., 13 août 2021, n° 2021 823 DC, consid. 53 et 54).
Lutte contre l’habitat indigne : le projet de loi renforce la sévérité des peines sanctionnant la location des logements dangereux ou insalubres lorsque les victimes vulnérables, comme dans le cas des étrangers en situation irrégulière (CCH, art. L. 511-22 et L. 521-4). Dans son avis, le Conseil d'État a estimé que ces peines respectent le principe de nécessité et de proportionnalité des peines. Il a par ailleurs pointé les difficultés d’application de ce régime qui figure déjà dans la loi.
C. Réforme du droit de l’asile
1. Création de pôles territoriaux « France Asile » : le projet de loi crée des pôles territoriaux « France asile » regroupant au sein d’un nouveau guichet unique les services de la préfecture responsables de l’enregistrement de la demande d’asile, ceux de l’Office français de l’immigration et de l’intégration chargés d’accorder les conditions matérielles d’accueil et, désormais, des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides chargés de l’introduction de la demande d’asile (CESEDA, art. L. 121-17). Des dispositions réglementaire préciseront les compétences respectives des services déconcentrés de l’État et des établissements publics responsables de la prise en charge des différentes étapes de la demande d’asile.
2. Réforme de la Cour nationale du droit d’asile : le projet de loi « pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » présenté en conseil des ministres le 1er février 2023 réforme en profondeur l’organisation et le fonctionnement de la Cour nationale du droit d'asile en créant des chambres territoriales, en autorisant la spécialisation de ces chambres, en modifiant la désignation de certains membres des formations de jugement et en généralisant le recours au juge unique.
- Le projet de loi met fin à l’existence d’une juridiction unique compétente sur un même pôle. Cette organisation prévalait depuis 1952, même si la Cour pouvait tenir des audiences foraines. Le projet ne revient pas sur cette faculté mais il autorise la création de chambres territoriales dont le siège et le ressort seront fixés par décret en Conseil d'État (CESEDA, art. L. 131-3). Dans son avis, le Conseil d'État a estimé que cette déconcentration inédite pour une juridiction spécialisée rapprocherait le justiciable de son juge et répondrait par là même à l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice. Les chambres territoriales pourront être spécialisées selon l’origine et la langue des demandeurs, une pratique déjà en vigueur. Elles seront soumises aux mêmes règles que celles qui prévalent au siège de la Cour à Montreuil (composition, organisation et office). De manière générale, le Conseil d'État a mis en avant le « bénéfice réel qui peut être attendu de cette nouvelle organisation » : réduction des reports d’audience souvent imputés à l’éloignement géographique des demandeurs ou de leurs conseils et des coûts pour les requérants ; rapidité de traitement des demandes qui dépendra toutefois des choix procéduraux et des moyens matériels alloués. Procédant d’un aménagement de l’organisation d’un ordre de juridiction existant au sens de l’article de la Constitution qui ne met pas en cause ses « règles constitutives », la création des chambres territoriales présente un caractère réglementaire qui n’avait pas à figurer dans le projet de loi. Ce dernier se borne toutefois à viser des modalités générales, tout en renvoyant à un décret.
- Le projet prévoit que le représentant du haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés sera désormais formellement nommée par le vice-président du Conseil d'État sur proposition du représentant français du haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. L’avis n° 406543 du 26 janvier 2023 rappelle que le mode de désignation des membres d'une juridiction constitue une « règle constitutive » qui relève de la compétence du législateur. L’avis observe que cette disposition qui conforte l’état du droit préexistant ne modifie « en rien » les garanties de qualification et d’indépendance des personnes nommées.
- Jusqu’à présent, la Cour nationale du droit d'asile statuait en formation collégiale dans les cinq mois suivant sa saisine (34 % des affaires ont été jugées en 2021), sauf motif justifiant le recours à la procédure accélérée ou décision d'irrecevabilité. Un juge unique est alors appelé à statuer dans les cinq semaines (CESEDA, art. L. 532-6). Le projet de loi inverse cette répartition et fait du juge unique la formation compétente par principe, le renvoi en formation collégiale étant réservée aux affaires qui présentent des difficultés sérieuses (CESEDA, art. L. 131-7). Cette modification des règles constitutives de la Cour n’est pas contraire à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 (qui s’en remet à un strict principe d’autonomie institutionnelle) et aux directives européennes 2013/32 et 2013/33 du 26 juin 2013 qui ne consacrent pas une exigence de collégialité. Il en est de même de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour sa part, le Conseil constitutionnel a admis que le recours à un juge unique en matière d’asile ne portait pas, « par lui-même, atteinte aux droits de la défense » (Cons. const., 6 sept. 2018, n° 2018-770 DC). Dans ce contexte normatif, l’avis recommande simplement de laisser à la Cour la plus grande latitude pour inscrire l’affaire au rôle d’une formation collégiale sur la base d’un critère. Sur ce point, il a été proposé de remplacer le critère de la « difficulté sérieuse », qui figurait dans le projet transmis au Conseil d'État, par celui plus large de la « question qui justifie » un renvoi qui a été retenu dans le projet transmis au Sénat le 1er février 2023 (CESEDA, art. L. 131-7).
D. Réforme des mesures d’éloignement
1. Protection des étrangers visés par une expulsion. Les articles L. 631-2 et L. 631-3 du Code des étrangers exigent un seuil de menace à l’ordre public plus élevé pour expulser les étrangers faisant l’objet d’une protection, tout en fixant des limites à cette protection (polygamie ou condamnation à une peine de prison d’au moins cinq ans pour les étrangers relevant de l’article L. 631-2 ; polygamie ou violences familiales pour les étrangers relevant de l’article L. 631-3).
Le projet de loi étend le champ de ces restrictions pour permettre l’expulsion pour menace grave pour l’ordre public d’un étranger dont le comportement constitue toujours une menace grave pour l’ordre public après une condamnation pour des crimes ou des délits punis de cinq ans de prison (CESEDA, art. L. 631-2) ou après une condamnation pour des crimes ou délits punis de dix ans de prison (CESEDA, art. L. 631-3). L’avis du Conseil d'État n’a pas contesté ces exceptions de protection. Selon l’interprétation du Conseil d'État, l’administration pourra apprécier la menace grave et actuelle pour l’ordre public en tenant compte des faits à l’origine de la condamnation pour lesquels la peine encourue atteignait le seuil requis et devra apporter d’autres éléments d’appréciation établissant que la personne continue de présenter une menace grave pour l’ordre public. Il a par ailleurs proposé de ne pas mentionner que les décisions d’expulsion « prennent en compte de manière proportionnée au regard de la menace représentée par l’étranger, les circonstances relatives à sa vie privée et familiale ». Ces éléments, que visaient le projet transmis en décembre pour avis, constituent en effet des contraintes qui s’imposent en tout état de cause à l’administration.
2. Renforcement du dispositif d’interdiction judiciaire du territoire. Le projet de loi modifie l’article 131-30-1 du Code pénal qui prévoit qu’en matière correctionnelle le tribunal doit motiver l'interdiction du territoire français par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction et de la situation personnelle et familiale de l'étranger qui fait l’objet d’une protection légale. Le projet supprime cette obligation de motivation lorsque l’étranger a commis un crime ou un délit à l’encontre de son conjoint ou d’un enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale.
Dans son avis , le Conseil d'État a jugé que cette dérogation était incompatible avec les exigences du contrôle de proportionnalité réalisé au titre de la vie privée et familiale. Le Conseil d'État a en revanche estimé que la suppression de la protection reconnue par l’article 131-30-2 du Code pénal à cinq catégories de ressortissants étrangers en cas de délits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou de crimes ou délits punis d’au moins dix ans de prison ne se heurtait à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel.
3. Effet d’une menace grave à l’ordre public sur le titre de séjour. Le projet de loi autorise le préfet à retirer ou à ne pas renouveler la carte de résident en cas de « menace grave à l’ordre public » (CESEDA, art. L. 432-3). Cette faculté existe déjà en cas de « menace à l’ordre public » (CESEDA, art. L. 432-2 et L. 432-4, L. 432-10, L. 432-11, L. 412-6 et L. 631-1).
L’avis du 26 janvier 2023 a rappelé que dans sa décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, le Conseil constitutionnel a jugé qu’« une simple menace pour l'ordre public ne saurait suffire à fonder un refus de renouvellement de ce titre de séjour sans atteintes excessives au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale et privée ». Toutefois, la préservation de l'ordre public autorise le préfet à expulser cet étranger en cas de « menace grave pour l’ordre public ». Suivant cette logique, une « menace grave à l'ordre public » peut donc justifier le retrait ou le refus de renouvellement de la carte de résident. L’avis questionne toutefois l’utilité de retirer le titre à un étranger dont l’éloignement ne peut pas être mis en œuvre. Le Conseil d'État a décelé une vertu dans cette réforme : la personne concernée bénéficiera d’un droit de séjour moins favorable qui pourrait l’inciter à adopter un comportement plus respectueux de la loi ou de la sécurité des personnes et des biens.
4. Protection reconnue aux étrangers visés par une obligation de quitter le territoire. Le projet initial appliquait le dispositif d’expulsion aux étrangers en situation régulière menaçant gravement l’ordre public (art. L. 631-1 à L. 631-3) et le régime d’obligation de quitter le territoire aux étrangers en situation irrégulière (art. L. 611-1 et L. 611-3). Selon l’avis n° 406543 du 26 janvier 2023, l’existence de deux régimes distincts, jamais envisagés dans le passé, ne se heurtait « en soi à aucune objection d’ordre constitutionnel ». La cohérence et l’intelligibilité d’un tel choix questionnaient toutefois. Comment notamment justifier l’exclusion d’un recours suspensif pour les étrangers en situation régulière et maintenir cette garantie à ceux qui résident irrégulièrement ?
Si ce n’était déjà la cohérence de ce régime et son utilité pour l’ordre public, une atteinte au principe d’égalité paraissait acquise sur ce point. Plus largement, l’avis critiquait un dispositif « particulièrement complexe et peu lisible », appelant à une reconfiguration générale des deux régimes d’éloignement. Le projet présenté en conseil des ministres le 1er février 2023 n’a finalement pas retenu ce dispositif. Son article 10 supprime toutefois la protection reconnue à huit catégories de personnes par l’article L. 611-3 du Code des étrangers contre une obligation de quitter le territoire si leur présence représente une « menace grave pour l’ordre public ».
5. Sanction de l’entrée et du séjour d’étrangers en situation irrégulière. Dans sa volonté de dissuader les traversées par voie maritime, le gouvernement a souhaité renforcer la répression de l’aide à l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France. Le projet ne modifie pas le régime d’exemptions de l’article L. 823-9 du Code des étrangers. Il renforce en revanche les infractions commises en bande organisée ou « dans des circonstances qui exposent directement les étrangers à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente » (CESEDA, art. L. 823-9). Le projet aggrave les peines de prison (portée de 10 ans à 15 ans de réclusion criminelle) et les amendes (portées de 750 000 euros à 1 000 000 euros d’amende). Le projet prévoit une peine de 20 ans de réclusion criminelle et 1 500 000 euros d’amende pour les dirigeants et organisateurs de réseaux, des peines déjà prévues par les articles 225-4-1 et suivants du Code pénal en matière de traite des êtres humains.
6. Retour en France des étrangers ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire. Le projet impose de refuser un visa à l’étranger qui a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire depuis moins de cinq ans s’il n’est pas en mesure d’apporter la preuve qu’il a quitté le territoire français dans le délai imparti (CESEDA, art. L. 312-1-1). Dans son avis, le Conseil d'État proposait de ne pas retenir cette disposition dans la mesure où l’autorité consulaire peut, en l’état du droit et des pratiques, rejeter la demande de visa pour cette raison. Il avait également observé qu’un motif de refus de visa non prévu par l’article 32 du règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 (code communautaire des visas) fragilisait le pouvoir discrétionnaire de l’autorité consulaire reconnu dans cette matière. L’avis envisageait par ailleurs un risque contentieux lié à ce refus automatique. En dépit de ces réserves, le gouvernement a maintenu son initiative.
7. Contrôle des véhicules. Le projet de loi permet aux officiers de police judiciaire de la police et de la gendarmerie nationales dans la zone frontalière de 20 kilomètres d’inspecter visuellement les véhicules particuliers en dehors des véhicules circulant sur la voie publique (CESEDA, art. L. 812-3).
8. Refus de se soumettre à un relevé d’empreintes. Le projet autorise l’officier de police judiciaire, après information du procureur de la République, à procéder à un relevé d’empreintes digitales et à une prise de photographie sans le consentement de l’intéressé (CESEDA, art. L. 813-10). Ce dernier, qui s’expose en outre aux sanctions prévues par les articles L. 822-1 et L. 824-2 du Code des étrangers, doit avoir été au préalable informé des conséquences de son refus. Le recours à la contrainte doit être strictement proportionné et tenir compte de la vulnérabilité de la personne.
E. Réforme du contentieux de l’éloignement
1. Réforme du contentieux de l'obligation de quitter le territoire
Le projet de loi réforme en profondeur les procédures de contestation des décisions relatives à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers en retenant l’essentiel des recommandations de l’étude du Conseil d'État rendue publique en octobre 2020 (« Vingt propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, Étude à la demande du Premier ministre »). Dans sa volonté de clarifier les procédures dans un cadre juridique dédié, le gouvernement ajoute un 9ème livre au Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile relatif aux « procédures contentieuses devant le juge administratif ». La simplification du droit se traduit par la suppression de douze procédures remplacées par quatre dispositifs. Applicable à l’obligation de quitter le territoire avec délai d’exécution spontanée, la première comporte un délai de recours d’un mois et un délai de jugement de 6 mois ; elle repose sur des règles proches du droit commun (formation collégiale ; audition d’un rapporteur public). Les trois autres procédures sont prises en charge par un juge unique sans rapporteur public et comportent trois délais de recours et de jugement distincts : 72 heures/6 semaines (obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire) ; 7 jours/15 jours (obligation de quitter le territoire avec assignation à résidence) ; 48 heures/96 heures (obligation de quitter le territoire avec placement en rétention).
Ces choix ont été salués par le Conseil d'État (sans surprise dès lors qu’ils font largement écho à ses propositions) qui a loué dans son avis n° 406543 du 26 janvier 2023 « un progrès important » en termes de lisibilité, d’efficacité et de rationalité. Si elle confirme l’habilitation du juge unique à statuer sur la mesure d’éloignement et le refus de séjour, la réforme ne résoudra pas tous les maux « dès lors que le projet ne simplifie pas, en amont, les dispositifs administratifs applicables en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers ». Le projet les complique même. Dans ce contexte, le Conseil d'État regrette que le projet ne reprenne pas l’une des recommandations de la mission présidée par M. Stahl consistant à imposer à l’administration saisie d’une demande de séjour d’examiner la situation de l’intéressé au regard de l’ensemble des cas d’attribution d’un titre de séjour (et non, comme c’est la règle, au regard du fondement invoqué) pour purger la question du refus de séjour en amont. L’avis déplore par ailleurs des incohérences dans la définition des procédures à juge unique (qui ne sont pas toutes guidées par une situation d’urgence) et de leurs champs d’application (qui sont loin d’être limpides). Sur ce point, le projet n’a pas retenu la recommandation de l’étude de 2020 qui ne suggérait que deux procédures à juge unique, l’une avec un délai de recours de 48 heures et un délai de jugement de 96 heures (rétention), l’autre avec un délai de recours de 7 jours et un délai de jugement de 15 jours (assignation à résidence). Le gouvernement a opté pour une troisième procédure à juge unique avec un délai de recours de 72 heures et un délai de jugement de 6 semaines lorsque le recours est dirigé contre une obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire et sans placement rétention ou assignation à résidence. L’avis n° 406543 du 26 janvier 2023 ne décèle dans ce cas de figure aucune urgence justifiant une dérogation. L’application du régime 7 jours/15 jours au recours contre une obligation de quitter le territoire (avec ou sans délai de départ volontaire) visant un demandeur d’asile débouté interroge également.
Obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire. Une obligation de quitter le territoire est normalement assortie d’un délai de départ volontaire de 30 jours (CESEDA, art. L. 612-1), sauf si le préfet refuser d’accorder un tel délai pour des raisons tenant notamment au risque de maintien sur le territoire (CESEDA, art. L. 612-2). Si tel est le cas, l’intéressé peut être placé en rétention administrative ou assigné à résidence (CESEDA, art. L. 722 3). La pratique n’est pas conforme à l’esprit de la loi au sens où le délai de départ volontaire est en pratique supprimé (pour autant que cette suppression est légalement possible), même si une exécution forcée et effective est illusoire. Pour cette raison (qui explique le faible taux d’exécution des mesures), les obligations de quitter le territoire sans délai de départ volontaire représentent plus de la moitié des arrêtés. Pour nombre d’entre eux, le préfet ne prononce aucune mesure de contrainte.
Sur ce point, l’étude d’impact (pas plus que les rapports annuels !) ne mentionne aucune donnée relative au taux d’exécution des arrêtés selon qu’un délai de départ volontaire a ou non été accordé et selon qu’une mesure de contrainte a ou non été prise. Elle relève simplement que moins de 8 000 des 124 000 arrêtés prononcés en 2021 (70 000 sans délai de départ volontaire) ont été exécutées. Le projet ne modifiera qu’à la marge ces pratiques, d’autant qu’il crée une procédure d’urgence applicable aux arrêtés sans mesure de contrainte, une option jugée par le Conseil d'État « guère cohérente avec la logique de rationalisation sur laquelle repose la réforme ». Ce choix entraîne en effet des moyens important en vue d’un jugement rapide qui continueront d’être mobilisés « dans des situations où, faute de perspective d’exécution forcée, l’urgence n’est en réalité pas constituée (…) si l’administration maintient la pratique consistant à supprimer le délai de départ volontaire dans tous les cas où la loi le permet, au lieu de limiter cette suppression au cas où une mesure de contrainte est prise en même temps que l’obligation de quitter le territoire ou envisagée à bref délai ».
Départ des demandeurs d’asile déboutés. Le projet prévoit que la contestation des obligations de quitter le territoire avec ou sans délai de départ volontaire visant des demandeurs d’asile déboutés relève de la procédure avec délai de recours de 7 jours et délai de jugement de 15 jours. Si un placement en rétention administrative est prononcé, la procédure avec délai de recours de 48 heures et délai de jugement de 96 heures s’applique. L’avis du Conseil d'État a estimé que si l’application d’un délai de recours de 7 jours n’est pas contraire à la Constitution (Cons. const., 15 mars 2018, n° 2018 762 DC), le choix d’une procédure d’urgence en l’absence de contrainte et donc de perspective d’exécution forcée à brève échéance questionne. Il complique par ailleurs la volonté de simplification en dérogeant à la fois au cadre général de contestation de l’obligation de quitter le territoire avec délai de départ volontaire (qui, sauf mesure de contrainte, relève de la procédure collégiale avec délai de recours d’un mois et délai de jugement de 6 mois) et au cadre dérogatoire de contestation de l’obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire (qui, sauf mesure de contrainte, relève de la procédure avec délai de recours de 72 heures et délai de jugement de 6 semaines).
Départ des étrangers détenus. Le projet ne soumet pas la contestation de l’obligation de quitter le territoire visant un détenu étranger à un régime dérogatoire. En l’état du droit, la seule dérogation concerne le cas du détenu susceptible d’être libéré avant que le juge statue ; le délai de jugement est alors réduit à huit jours à compter de l’information du tribunal par l’administration. En pratique, la grande majorité des obligations de quitter le territoire visant les étrangers détenus ne sont pas assorties d’un délai de départ volontaire. Suivant la réforme, la procédure d’urgence avec délai de recours de 72 heures et délai de jugement de six semaines s’appliquera donc le plus souvent.
Sur ce point, le Conseil d’Etat regrette que sa recommandation d’appliquer la procédure (jugée « plus appropriée ») avec délai de recours de 7 jours et délai de jugement de 15 jours n’ait pas été retenue. Son avis du 26 janvier 2023 relève que le dispositif de jugement accéléré en cas de libération imminente implique une information du tribunal administratif par l’administration qui n’est pas toujours communiquée en temps utile. Ce décalage entraîne un placement en rétention de nombreux détenus dont le recours n’est pas encore jugé au moment de leur libération, entraînant de l’« incompréhension pour les intéressés, (un) encombrement inutile des centres de rétention administrative et, parfois, de(s) tensions avec les autres catégories de personnes retenues ». Un délai de jugement de 15 jours assurerait au contraire un traitement accéléré de ce contentieux « sans que cette accélération repose sur les diligences de l’administration ». Pour sa part, le délai de 72 heures serait plus approprié aux contraintes carcérales et à la sur-occupation des établissements pénitentiaires qui compliquent les échanges avec un avocat dans un délai aussi court.
2. Réforme de la vidéo-audience. Le projet de loi « pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » présenté en conseil des ministres le 1er février 2023 prévoit que lorsque l’étranger est placé ou maintenu en rétention ou en zone d’attente, l’audience se tient par principe dans une salle d’audience spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention ou de la zone d’attente. Comme le résume le Conseil d'État dans son avis n° 406543 du 26 janvier 2023, le texte « inverse ainsi le principe et l’exception jusqu’ici applicables ». À regret compte tenu des inconvénients en termes de solennité de l’audience et de fluidité des débats, le Conseil d'État prend acte que la tenue d’une audience dans une salle « spécialement aménagée » à proximité immédiate du lieu de rétention ou de la zone d’attente et le recours élargi à la vidéo-audience ne « paraissent » pas se heurter à un obstacle juridique. À demi-mot, l’avis déplore la position du Conseil constitutionnel (Cons. const., 20 nov. 2003, n° 2003 484 DC et 6 sept. 2018, n° 2018 770 DC).
L’avis rappelle sur ce point les arguments inlassablement répétés depuis 2003 : bonne administration de la justice par la réduction des délais d’audience ; dignité des demandeurs par l’absence de déplacement sous escorte ; réduction des coûts pour l’administration. Sur ce point, le Conseil d’Etat suggère simplement d’ajouter trois garanties supplémentaires pour la vidéo-audience en s’inspirant des règles applicables devant la Cour nationale du droit d'asile : existence d’une liaison audiovisuelle garantissant la qualité de la transmission ; présence de l’interprète auprès de l’intéressé, sauf difficulté particulière ; établissement d’un procès-verbal des opérations effectuées dans chacune des salles d’audience. Il proposait également de rappeler la possibilité pour le conseil de l’étranger d’assister à l’audience dans l’une ou l’autre salle et, dans tous les cas, de s’entretenir avec son client de manière confidentielle. Ces recommandations ont été retenues par le projet final.
Sur recommandation du Conseil d'État, ces garanties ont été étendues à la vidéo-audience devant le juge des libertés et de la détention lorsque celui-ci statue sur les requêtes aux fins de maintien en zone d’attente, aux requêtes aux fins de contestation du placement en rétention ou de remise en liberté hors des audiences de prolongation et aux requêtes formées par le préfet aux fins de prolongation de la rétention.
3. Contrôle du maintien en zone d’attente. Le juge des libertés et de la détention dispose de 24 heures pour juger la requête aux fins de maintien en zone d’attente au-delà de quatre jours. Ce délai peut être porté à 48 heures lorsque les nécessités de l’instruction l’imposent (CESEDA, art. L. 342 5). Le projet de loi ajoute un second motif tenant au placement simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers au regard des contraintes du service juridictionnel. L’avis du 26 janvier 2023 a estimé que cette extension était nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis. Le projet prévoit par ailleurs que le juge des libertés et de la détention peut tenir compte des circonstances particulières liées également au placement simultané d’un nombre important d’étrangers pour l’appréciation des délais relatifs à la notification de la décision, à l’information sur les droits et à leur prise d’effet. Cette faculté existe déjà en matière de rétention (CESEDA, art. L. 743 9).
4. Rétention des mineurs. L’article 12 du projet limite pour l’avenir le placement en centre de rétention administrative des mineurs aux étrangers de plus de 16 ans... à partir du 1er janvier 2025 !