Le projet de loi Besson a été
présenté en conseil des ministres le 31 mars 2010. Réserves faites de
dispositions relatives au droit de la nationalité, il modifie six grands
chapitres du droit des étrangers très généreusement placés sous l'influence du
droit communautaire et de la commission Mazeaud. Pour s'en tenir à de simples
perspectives juridiques, la constitutionnalité de plusieurs dispositions laisse
songeur. On aurait souhaité sur ce point connaître le sens de l'avis du Conseil
d'Etat.
1. Réforme des motifs de refus d’entrée en France pour interdire l’accès au territoire aux étrangers sous le coup
d’une interdiction de retour (projet art. L. 213-1). Cette nouvelle mesure
administrative serait prononcée à l’encontre d’un étranger visé par une OQTF ou
une reconduite (projet art. L. 511-1, III). Un refus d’entrée pourrait
également être opposé aux étrangers reconduits à la frontière dans les trois
dernières années pour avoir porté atteinte à l’ordre public ou travaillé sans
autorisation alors qu’ils séjournaient moins de trois mois.
2. Zone
d’attente
a) Zone d’attente itinérante : Le
23 janvier 2010, 123 Kurdes ont été retrouvés sur une plage corse. Ces
ressortissants ne pouvant pas être placés dans une zone d’attente située
« dans un port ou à proximité du lieu de débarquement » (L. 221-1),
ils ont été placés en rétention, placements finalement annulés. Réagissant
à ce précédent, le ministre chargé de l’immigration a souhaité créer des zones
d’attente itinérantes qui s’étendront « du lieu de découverte des
intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche où sont
effectués les contrôles. » (projet art. L. 221-2, al. 2). Si
l’administration est confrontée à la présence simultanée d'un nombre important
d'étrangers en situation irrégulière, la notification des droits s’opérera
« dans les meilleurs délais possibles » pour tenir compte des délais
d’acheminement des interprètes (projet art. L. 221-4).
b) Notification
des droits en zone d’attente :
notification « dans les meilleurs délais possibles, eu égard au temps
requis » en cas de présence simultanée d'un nombre important d'étrangers
en situation irrégulière (projet art. L. 221-4, al. 2 et 3). La notification
des droits serait subordonnée à l’arrivée du personnel et des interprètes. c) Motifs de remise en liberté. Le projet limite les
hypothèses de demande de libération aux irrégularités commises après l’audience
devant le JLD (art. L. 222-1-1). Remet en cause la jurisprudence de la Cour de
cassation (Cass. 1ère civ., 1er juill. 2009, req. nº
08-11.846, Préfet de police de Paris).
Se conformant à une logique de procédure
civile qui n’était pas partagée par des cours d’appel, elle juge qu’un
irrégularité concernant l'exercice effectif des droits peut être soulevée à
tout moment et ne constitue pas une exception de procédure au sens de l'article
74 CPC.
d) Conditions de jugement. Le projet
impose au JLD de statuer dans les 24 heures suivant sa saisine. Le projet
n’assortit pas la méconnaissance de ce délai de conséquences concrètes. Il est
par ailleurs prévu que l’existence de garanties de représentation (document
d’identité, domicile en France…) ne justifie pas une remise en liberté et, de
facto, une entrée sur le territoire national. Enfin et surtout, le projet
limite la portée de certaines irrégularités qui, dès lors qu’elles ne
préjudicient pas aux droits de l’étranger, ne justifieront plus une remise en
liberté (projet art. L. 222-3-1).
e) Cadre de l’appel. Le projet porte de quatre à six heures le délai de formation de la
demande d’appel suspensif (projet art. L. 222-6). Le projet limite par ailleurs
les motifs d’annulation en appel du placement en zone d’attente aux
irrégularités postérieures à la décision de prolongation prononcée par le JLD.
Il institue à cet effet un système de « purge » (projet art. L.
222-6-1).
3. Carte bleue européenne. Le projet
transpose la directive « carte bleue » nº 2009/50 du 25 mai 2009
établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays
tiers aux fins d'un emploi hautement qualifié. La directive invite les États à
mettre en place une procédure commune, accélérée et souple pour faciliter
l’accueil des travailleurs de pays tiers hautement qualifiés. Elle entend
également leur faciliter la mobilité intra-communautaire. Le projet modifie
l’article L. 313-10. La délivrance de ce titre sera subordonnée aux conditions
de rémunération proposées (salaire annuel au moins égal à 1,5 fois le salaire
minimum) et au niveau d’étude de l’étranger (formation d’au moins trois années
après le bac ou expérience significative). D’une durée de validité de trois
ans, ce titre se distinguera de la carte « compétences et talents »
qui est délivrée en fonction de la nature du projet d’activité (art. L. 315-1).
Tous les candidats à une activité professionnelle pourront prétendre à cette
carte, à l’exception des saisonniers, des travailleurs temporaires, des
personnes bénéficiant de la protection internationale et des étrangers pouvant
se prévaloir d’un cadre spécifique (artiste, scientifique…). Le projet permet à
un étranger de bénéficier d’une carte de résident après un séjour de cinq ans
sur le territoire d'un État de l'Union européenne sous couvert d'une carte
« bleue » dans les deux années précédant sa demande (projet art. L.
314-8-1).
4. Droit de séjour pour les mineurs isolés. Le projet créé un article L. 313-15 qui reconnaît un droit de séjour »
à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de 16 et
18 ans et qui a suivi une formation professionnelle. Ce droit reste subordonné
à « la nature de ses liens » avec sa famille dans son pays et à son
insertion dans la société française. Il s’accommode donc d’une appréciation qui
en fragilise la portée.
5. Réforme de la procédure de reconduite à la
frontière.
a) Champ : le projet de loi supprime la reconduite à la frontière dont le cadre est
intégré dans un dispositif refondu d’OQTF. Le projet définit les motifs d’OQTF
qui continuent de s’appliquer aux étrangers auxquels un titre de séjour a été
refusé ou retiré. Mais désormais, l’OQTF s’appliquera également aux étrangers
entrés irrégulièrement en France ou qui s’y sont maintenus sans autorisation.
b)
Recours : l’étranger qui n’est ni
placé en rétention ni assigné à résidence doit contester l’OQTF, la décision
fixant le pays de renvoi, la décision relative au séjour et l’interdiction de
retour dans les trente jours. Son recours sera examiné par le TA qui statue en
formation collégiale dans les trois mois. Si l’étranger est placé en rétention
ou assigné à résidence, il devra se conformer aux règles qui s’appliquaient
jusqu’alors aux ARF. Si l’OQTF a acquis un caractère définitif, il pourra
contester le placement en rétention ou l’assignation selon cette procédure.
c)
Régime d’exécution : le projet met l’accent
sur le principe d’un retour volontaire dans un délai de trente jours (article 7
de la directive retour : délai d’exécution volontaire compris entre sept à
trente jours). À titre « exceptionnel », ce délai pourra être
supérieur à trente jours. À l’inverse, le préfet pourra imposer un départ
« sans délai », le refus d’accorder un délai de départ volontaire
pouvant lui même être contesté. Six hypothèses de départ immédiat qui recoupent
celles qui prévalaient jusqu’alors pour les étrangers visés par une reconduite
à la frontière (Cf. Direct. préc., art. 7 § 4). Le projet confirme l’état du
droit en reconnaissant simplement aux préfets la possibilité d’accorder aux
étrangers un délai pour se conformer à une mesure de départ forcé.
d)
Interdiction de retour. Disposition phare du
projet et présentée comme une mesure de transposition de l’article 11 de la
directive retour, il est reconnu au préfet la possibilité d’assortir l'OQTF
d'une « interdiction de retour » qui lui interdira de séjourner en
France mais également sur le territoire de l’UE. Jusqu’à présent, seule
l’expulsion interdisait à l’étranger de revenir en France. Cette
interdiction de retour pourra être abrogée. Sauf « circonstances
particulières tenant à la situation et du comportement de l'intéressé »,
l’abrogation sera accordée de plein droit si l’étranger a quitté la France dans
les deux mois suivant l’expiration délai de départ volontaire. Sous cette
réserve, le projet prévoit que l’interdiction de retour est de deux ans
lorsqu'un délai de départ volontaire a été accordé et trois ans dans les autres
hypothèses (directive, art. 11 § 2 : possibilité d’une interdiction de
cinq ans et même plus si des motifs d’ordre public le justifiaient).
e)
Assignation à résidence : elle
pourra bénéficier à l'étranger visé par une OQTF et auquel un délai de départ
volontaire a été accordé (projet art. L. 513-4). Cette assignation est destinée
à éviter un placement en rétention, à charge pour l’intéressé de se présenter
en préfecture ou aux services de police pour, notamment, « indiquer ses
diligences dans la préparation de son départ ». Présenté comme une
transposition de l’article 115 de la directive « retour », le projet
modifie les conditions d’assignation à résidence en définissant un cadre
temporel théorique : l’assignation est prononcée jusqu’au moment où
l’impossibilité d’exécuter la mesure de départ forcé a cessé. Le nouvel article
L. 561-2 prévoit par ailleurs que l’assignation peut être prononcée à titre de
mesure alternative à la rétention pour un délai identique à la durée totale de
placement en rétention (projet art. L. 552-7). Cette assignation s’applique
seulement aux étrangers visés par une OQTF ou une interdiction de retour (Cf.
projet art. L. 511-1, III). Le placement initial pourra être prolongé pour 45
jours. Le projet ne se prononce pas sur le sort qui doit être réservé à
l’étranger qui, au terme de cette assignation à résidence de 90 jours, n’a
toujours pu être éloigné.
f) Motifs de placement en rétention : délai de placement initial est porté de 48 heures à 5 jours (art. L.
551-1). Le Gouvernement a justifié l’extension de ce délai en se référant à la
décision du n° 79-109 DC du 9 janvier 1980 qui avait invalidé la loi qui
retenait un délai de placement initial de 7 jours… en zone d’attente. Le projet
réforme par ailleurs les motifs de placement. Il n’est ainsi plus fait
référence à la démonstration d’une impossibilité de quitter immédiatement le
territoire. Le projet autorise également la rétention d’un étranger faisant
l’objet d'une interdiction de retour.
g) Conditions de notification des
droits : l’administration doit démontrer
que la personne retenue a été en mesure d’exercer ses droits avant son arrivée
dans le centre (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, req. nº 08-12337). Le
projet modifie l’article L. 551-2 du code pour prévoir pour cette information
est assurée à l’arrivée dans le centre. Par ailleurs, le projet n’impose à
l’administration, lorsqu’elle est confrontée au placement d’un nombre important
d'étrangers, qu’une notification « dans les meilleurs délais
possible » pour notamment permettre l’arrivée des interprètes dans la
circonscription concernée. Le juge pourra tenir compte des « circonstances
particulières » qui ont contribué à retarder l'information des droits et
le placement en rétention d'un nombre important d'étrangers.
h) Délais de
placement en rétention : la durée
totale de placement pourra atteindre 45 jours contre 32 jusqu’alors (5 + 15 +
15 jours. – projet art. L. 552-7). La directive « retour » autorisait
les États à retenir un délai maximal de six mois. Pour la deuxième prolongation
en rétention, les délais de prolongation étaient différents selon que la
non-exécution de la mesure de départ forcé était imputable à l’attitude de
l’étranger (art. L. 552-7) ou à des facteurs extérieurs (art. L. 552-8). La
réforme simplifie l’état du droit en prévoyant une prolongation pour une
nouvelle période d'une durée maximale de vingt jours. L’article 38 du
projet limite les hypothèses de demande de libération aux irrégularités
commises après l’audience devant le JLD (projet art. L. 552-9-1). Sur ce point,
le Gouvernement a souhaité remettre en cause la jurisprudence de la Cour de
cassation (Cass. 1ère civ., 1er juill. 2009, req. nº
08-11.846, Préfet de police de Paris).
i) Conditions de contestation du
placement en rétention. Le rapport Mazeaud avait
relevé que, « en dehors de l’irrégularité des conditions de
l’interpellation ou de la garde à vue, la plupart des décisions de libération
prononcées par les juges des libertés et de la détention se fondent sur le non
respect des formalités prévues dans le code de l’entrée et du séjour des
étrangers. » Or, il avait été regretté l’absence de règle équivalente à
celles prévues à l’article 802 CPP ou à l’article 114 CPC (« pas de
nullité sans grief »). En bref, tout manquement à une règle de procédure
entraîne une remise en liberté. Le projet entend remédier à cet état du droit
en distinguant les règles présentant un caractère substantiel et celles dont la
méconnaissance ne suffit pas à justifier une remise en liberté (art. L.
552-2-1).
j) Réforme des conditions de l’appel suspensif : porte de 4 à 6 heures le délai ouvert au ministère public pour demander
au juge d’appel de déclarer un recours suspensif (art. L. 552-10).
6.
Travail
a) Perception des sanctions : le projet
facilite la perception de la sanction administrative pour travail irrégulier en
permettant à l’OFII d’accéder au fichier des titres de séjour et d’appliquer le
régime de perception de la contribution forfaitaire (Cf. C. trav., art. L.
8253-2 suiv.). En effet, si le nombre de poursuites sur ce fondement est en
augmentation (680 procédures en 2008), le taux de recouvrement est
particulièrement faible (1 933 875 euros de mise en recouvrement et 324 717
euros, soit 17 % en 2008).
b) Transposition de la directive
« sanction » nº 2009/52 : le préfet
aura la possibilité d’ordonner la fermeture administrative d'un établissement à
titre provisoire et pour six mois au plus « eu égard à la gravité et à la
répétition des faits constatés » (C. trav., projet art. L. 8272-2). Cette
mesure peut s'accompagner de la saisie à titre conservatoire du matériel
professionnel des contrevenants. Elle est réputée n’entraîner ni rupture, ni
suspension du contrat de travail, ni aucun préjudice pécuniaire à l'encontre
des salariés concernés (C. trav., projet art. L. 8272-3). Elle sera levée en
cas de classement sans suite, de non-lieu ou de relaxe. Selon la même logique
empruntée à la directive nº 2009/52, le projet de loi permet au préfet
d’ordonner l'exclusion des marchés publics d’une entreprise soupçonnée de
travail dissimulé. Cette mesure serait prononcée pour six mois au plus
lorsqu’une infraction aura été constatée. Elle sera levée en cas de classement
sans suite, de non-lieu ou de relaxe (C. trav., projet art. L. 8272-4).