Code Lexis-Nexis 2013, livre 6
La loi relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées a été adoptée trois mois après avoir été présentée en conseil des ministres (L. n° 2012-1560, 31 déc. 2012 et rapport Y. Galut n° 463, Ass. nat., 28 nov. 2012 et rapport n° 85, G. Gorce, Sénat, 24 oct. 2012). En l’absence de saisine du Conseil constitutionnel, il faudra attendre une hypothétique question prioritaire de constitutionnalité pour trancher le statut des nouvelles modalités des contrôles d’identité visant des étrangers et, surtout, des vérifications qui en découlent. Adoptée en urgence pour combler le vide juridique né des arrêts de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 5 juill. 2012, n° 11-30.371. – Cass. 1re civ., 5 juill. 2012, n° 11-30.530 et Cass. 1re civ., 5 juill. 2012, n° 11-19.250), la loi constitue le prélude à une prochaine réforme qui devrait être présentée au Parlement avant la fin du premier semestre 2013. Ce projet, le 32ème depuis 1980 !, devrait consacrer un nouveau titre de séjour d’une durée de trois ans, un retour à un délai de 48 heures pour l’intervention du juge des libertés et de la détention suivant le placement en rétention et un réaménagement du droit au séjour des étrangers malades dans l’impossibilité d’accéder à un traitement dans le pays de retour pour des raisons financières. S’ils sont adoptés, ces deux derniers points corrigeraient des dispositions contestées de la réforme du 16 juin 2011.
Si son ambition était limitée, la loi du 31 décembre 2012 n’en réforme pas moins trois aspects essentiels du droit des étrangers.
1. Le législateur a tout d’abord modifié le cadre des contrôles d’identité visant des étrangers (art. 1 à 7. - C. étrangers, art. L. 611-1).
La loi tire en premier lieu les conséquences de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation prohibant les contrôles systématiques aux frontières (CJUE, 22 juin 2010, aff. C-188/10 et C-189/10, Melki et Abdeli, pour la France et CJUE, 19 juill. 2012, aff. C-278/12, Adil, pour les Pays-Bas. - Cass. 1ère civ., 6 juin 2012, req. n° 10-25.233). Ces contrôles effectués dans la zone comprise entre la frontière terrestre avec les États parties à la convention de Schengen et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà ont été jugés incompatibles avec le droit de l’Union européenne au motif qu’ils sont assimilables à des contrôles frontaliers systématiques que l’entrée en vigueur de la convention d’application des accords de Schengen a prohibés (Cf. CPP, art. 78-2, al. 8).
Pour tenir compte de cette jurisprudence, l’article 78-2 du code de procédure pénale avait été modifié par l’article 69 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Depuis cette loi, les contrôles ne peuvent être effectués dans cette zone que « pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière » pour six heures au plus et ne doivent pas « consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ». Une circulaire du ministre de l’Intérieur du 6 juillet 2012 et une dépêche de la garde des Sceaux du même jour adressée aux procureurs généraux près les cours d’appel et aux procureurs de la République a pour sa part interdit de procéder à des contrôles aux frontières sur le fondement de l’article L. 611-1, premier alinéa, du code des étrangers. La loi du 31 décembre 2012 confirme cette impossibilité. Elle complète cet article pour limiter les contrôles à une durée de six heures consécutives dans un même lieu et interdire des contrôles systématiques aux frontières. Parce que la Cour de cassation visait plus largement les vérifications décidées indépendamment d’un risque d’atteinte à l’ordre public, la loi du 31 décembre 2012 impose le respect de ces prescriptions à l’ensemble des contrôles de titre de séjour, quelque soit le lieu où ils sont diligentés. Sur un plan procédural, elle intègre par ailleurs dans le code des étrangers les exigences de la jurisprudence constitutionnelle et judiciaire qui imposent aux forces de sécurité de rapporter « des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé (faisant) apparaître sa qualité d'étranger. » La loi ajoute enfin les contrôles d’identité prévus à l’article 78-2-2 du code de procédure pénale décidés à des fins de prévention du terrorisme à la liste des contrôles autorisant une vérification de titre de séjour.
2. Le législateur a, en second lieu, défini un nouveau cadre de vérification d’identité lorsqu’un étranger ne parvient pas à établir la régularité de son séjour à la suite d’un contrôle sur la voie publique (C. étrangers, art. L. 611-1-1). Ce dispositif tire les conséquences de l’arrêt « Achughbabian » de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 décembre 2011 et des arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2012. La Cour de justice avait concédé aux États la possibilité de « disposer d’un délai certes bref mais raisonnable pour identifier la personne contrôlée et pour rechercher les données permettant de déterminer si cette personne est un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier » (point 31). Mais dans le même temps, elle avait posé que la directive « retour » du 16 décembre 2008 s’opposait à une réglementation pénalisant le séjour irrégulier dans la mesure où celle-ci peut conduire à un emprisonnement au cours de la procédure de d’éloignement forcé. Une peine de prison compromet en effet l’objectif général de la directive en retardant le retour de l’étranger (points 37 et 39). Les étrangers contrôlés sur la voie publique n’étant plus exposés par principe à une sanction pénale, ils ne pouvaient plus être placés en garde à vue. En effet, depuis la réforme du 14 avril 2011, ce placement est réservé aux personnes susceptibles d’être condamnées à une peine de prison.
Prenant acte de cette situation, le gouvernement a préféré supprimer le délit de séjour irrégulier. Il a concédé que l’article L. 621-1 du code des étrangers conduisait à un nombre restreint de condamnations et servait surtout de fondement aux placements en garde à vue. De fait, en 2009, alors que 103 817 étrangers ont été mis en cause pour avoir séjourné irrégulièrement et que 80 063 d’entre eux ont été gardés à vue, 597 condamnations ont été prononcées sur le seul fondement de l’article L. 621-1 (209 emprisonnements et 23 amendes avec sursis).
Pour surmonter l’impossibilité de garder à vue des étrangers à la suite d’un contrôle d’identité, le législateur a défini une procédure inédite destinée à retenir les intéressés pendant seize heures. La vérification d’identité de quatre heures est en effet apparue trop brève pour permettre aux forces de l’ordre de contrôler la régularité du séjour et d’engager la procédure d’éloignement forcé (CPP, art. 78-3). Pour sa particulièrement, l’audition prévue à l’article 62 du code de procédure pénale révélée inopérante en l’absence de contrainte pour l’étranger contrôlé. Contesté au Sénat, le délai de seize heures a été justifié par la complexité des vérifications à effectuer dans l’hypothèse où un étranger contrôlé sur la voie publique ne parvient pas à établir la régularité de sa situation et des mesures à édicter pour organiser, si besoin, son départ forcé (contrôle de la légalité du séjour, prononcé d’une obligation de quitter le territoire, détermination d’un lieu de rétention ou d’assignation à résidence etc.).
À la suite d’un amendement adopté par la commission des lois du Sénat, il a été précisé que les mesures de contrainte exercées à cette occasion devront être « proportionnées à la nécessité des opérations de vérification ». Selon cette logique, le port de menottes a ainsi été limité aux cas de dangerosité ou de risque de fuite (Cf. CPP, art. 803). De même, la prise d’empreintes digitales ou de photographies ne sera autorisée que si l’intéressé refuse de collaborer et constitue l’unique moyen pour établir sa situation. Par ailleurs, l’étranger ne pourra pas être placé dans un local accueillant « simultanément » des personnes gardées à vue dans le cadre d’investigations pénales. Enfin, plusieurs garanties procédurales ont été reconnues : contrôle d’un officier de police judiciaire et du procureur de la République (à charge pour ce dernier, informé dès le début de la procédure, d’y mettre fin à tout moment) ; interprète ; entretien de 30 minutes avec un avocat ; aide juridictionnelle ; examen par un médecin ; droit de prévenir toute personne et notamment les autorités consulaires de son pays.
Le respect de ces différentes prescriptions est imposé à peine de nullité. Sur ce point, la loi renvoie à l’article L. 552-13 du code des étrangers qui, dans sa rédaction tirée de la réforme du 16 juin 2011, limite les cas d’annulation aux atteintes aux droits de l’étranger. Cette violation sera constatée par le juge des libertés et de la détention lorsqu’il sera saisi d’une demande de prolongation de la rétention.
La loi du 31 décembre 2012 est loin d’avoir sonné le glas de l’action pénale en droit des étrangers. Tout d’abord, elle n’a pas supprimé le délit d’entrée irrégulière en France (C. étrangers, art. L. 621-2) au motif que celui-ci est prévu par le règlement n° 562/2006 du 15 mars 2006 (code frontières Schengen) qui impose aux États d’instaurer des sanctions « en cas de franchissement non autorisé des frontières extérieures (…) effectives, proportionnées et dissuasives ». Les cas de poursuite seront limités aux situations de flagrance (C. étrangers, art. L. 621-2 in fine). En effet, en application de l’article 8 du code de procédure pénale, le délit d’entrée irrégulière peut être poursuivi pendant trois ans. Il existait donc un risque qu’un étranger en situation irrégulière pour être entré en France sans autorisation soit poursuivi. La loi du 31 décembre 2012 a par ailleurs créé un délit de maintien irrégulier sur le territoire punissable d’un an de prison, d’une amende de 3 750 euros et d’une interdiction du territoire ne pouvant pas excéder trois ans (C. étrangers, L. 624-1). Dans ses arrêts El Dridi et Achughbabian, le Cour de justice de l’Union européenne en avait admis le principe dès lors que la procédure d’éloignement administrative a été appliquée et que l’intéressé se maintient irrégulièrement sans motif justifié, notamment humanitaire (maladie grave, conflit armé dans le pays d’origine etc.).
3. Consacrée à la réforme du délit d’aide apportée à un étranger en situation irrégulière, la troisième partie de la réforme du 31 décembre 2012 n’était pas portée par des impératifs du droit de l’Union européenne ou de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (sur la conventionnalité de ce délit, CEDH, 10 nov. 2011, no 29681/08, Mallah c/ France). Le gouvernement a simplement souhaité clarifié le cadre des poursuites visant l’entourage des étrangers et les associations qui leur apportent un secours.
À cette fin, la loi modifie tout d’abord le régime des immunités familiales (C. étrangers, art. L. 622-4). Désormais, la loi couvre les membres de la famille du conjoint de l’étranger (« ascendants, descendants, frères et sœurs du conjoint de l'étranger ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui »). Elle supprime également la condition de vie commune qui était jusqu’alors exigée des conjoints pour bénéficier de l’immunité. Cette exigence contredisaient le code civil qui impose aux époux un devoir d’assistance réciproque qui s’applique jusqu’au divorce, y compris en cas de séparation de corps.
La notion d’immunité humanitaire a également été clarifiée par le législateur pour couvrir l’hypothèse de secours d’urgence ponctuels et les missions d’assistance des associations. Désormais, une personne physique ou morale qui fournit sans contrepartie directe ou indirecte des conseils juridiques ou des prestations (restauration, hébergement soins médicaux) visant à assurer des « conditions de vie dignes et décentes » ou toute autre aide visant à préserver la « dignité ou l'intégrité physique » d’un étranger ne pourra pas faire l’objet de poursuites pénales.