Code Lexis-Nexis édition 2017, C. étrangers, Livre 5 et Annexe 3
En 2012, se fondant sur l'article 5 § 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale »), la cour administrative d'appel de Bordeaux avait dénoncé l'absence d'effet suspensif attaché au recours dirigé contre l'arrêté de placement en rétention (CAA Bordeaux, 20 mars 2012, no 11BX02932). Selon ce raisonnement, un étranger placé en rétention ne pouvait pas être éloigné avant que le juge statue sur le recours introduit contre ce placement. Le Conseil d'État avait au contraire estimé que juge administratif pouvait statuer rapidement sur la légalité des mesures relatives à l'éloignement lorsqu’une personne est retenue ou assignée à résidence (Cf. C. étrangers, art. L. 512-3) sans pour autant garantir un effet suspensif au recours exercé contre un placement en rétention (CE, 4 mars 2013, no 359428, A : Dr. adm. 2013, V. Tchen). Il en est de même de l'article 15 § 2 de la directive « retour » no 2008/115 du 16 décembre 2008 qui garantit « un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention (…) le plus rapidement possible à compter du début de la rétention », sans toutefois mentionner que le recours formé contre le placement en rétention ait un caractère suspensif.
La Cour européenne des droits de l'homme s’est rangée à une toute autre analyse (CEDH, 12 juill. 2016, A.M. c/ France, n° 53324/13). Certes, elle rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention n’exige pas que les recours aient un effet suspensif à l’égard de privations de liberté relevant de l’article 5 § 1 f. Dans la mesure où l’étranger demeure privé de sa liberté dans l’attente de la décision du juge administratif, une telle exigence aboutirait à prolonger la situation qu’il souhaite faire cesser en contestant le placement en rétention. Elle conduirait en outre à retarder l’exécution d’une décision définitive d’éloignement dont la légalité peut avoir été déjà vérifiée. De même, l’article 5 § 4 n’impose pas une forme particulière de recours et ménage donc une marge de manœuvre aux autorités nationales qui peuvent donc, à l’instar du droit français, organiser une procédure faisant intervenir plusieurs ordres de juridiction. De même encore, l’article 5 § 4 ne garantit pas un contrôle juridictionnel qui habiliterait le tribunal à substituer son appréciation à celle de l’autorité, y compris sur des points de pure opportunité. Son contrôle doit cependant atteindre un certain niveau d’effectivité. Pour la Cour européenne des droits de l'homme, l’état du droit français antérieur à la réforme du 7 mars 2016 ne satisfaisait pas à cette exigence. En effet, le juge administratif saisi d’un recours contre un arrêté de placement en rétention ne pouvait vérifier que la compétence de l’auteur de cette décision, sa motivation et sa nécessité. Il ne pouvait donc pas contrôler la régularité des actes préalables (contrôle d’identité, garde-à-vue, etc.) qui conduisent à un placement en rétention. Selon la Cour, un tel contrôle est trop limité au regard des exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.
En première analyse, la décision de la Cour européenne des droits de l'homme donne un fondement conventionnel à la compétence du juge judiciaire pour apprécier la légalité des arrêtés de placement en rétention lorsque la réforme du 7 mars 2016 entrera en application. Car si l’article 5 § 4 de la Convention confère une marge de manœuvre aux autorités nationales pour organiser le contentieux de la rétention, il impose un certain niveau d’effectivité. En interdisant au juge administratif saisi d’un recours contre un arrêté de placement en rétention de contrôler la régularité des actes préalables à ce placement, pour le moins les conditions d’interpellation de l’étranger placé par la suite en rétention, le dispositif français antérieur à la réforme du 7 mars 2016 ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Dans le temps, le plein contrôle du juge des libertés et de la détention risque de se heurter à une impasse de même nature. Comment ce juge civil pourra t-il apprécier et interpréter la légalité de décisions administratives liées à l’arrêté de placement en rétention et assurer ainsi un contrôle effectif ?