Code Litec 2012, p.430
La grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne était invitée à constater que la peine d’emprisonnement prévue à l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile était incompatible avec la directive « retour » n° 2008/115 du 16 décembre 2008 (CJUE gr. ch., 6 déc. 2011, aff. C‑329/11, Achughbabian c/ Préfet du Val-de-Marne). Une telle incompatibilité se serait opposée à la possibilité de prononcer la garde-à-vue d’un étranger soupçonnée d’un délit de séjour irrégulier dès lors que ce placement n’était plus justifié par la perspective de sanctionner pénalement le délit de séjour irrégulier. L’arrêt était d’autant plus attendu qu’il prolongeait l’arrêt El Dridi intervenu alors que la directive « retour » n’avait pas encore été transposée (CJUE, 28 avr. 2011, El Dridi, aff. C‑61/11).
Une première lecture de l’arrêt relativise les effets de cette directive. Il est rappelé que celle-ci se borne à définir un cadre d’exécution des mesures de départ forcé des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et n’ambitionne pas d’harmoniser dans leur intégralité les règles nationales relatives au séjour des étrangers (§ 28). Pour cette raison, elle ne s’oppose pas à une législation pénale qui qualifie le séjour irrégulier de délit et prévoit des sanctions pour dissuader et réprimer la commission d’une telle infraction. La directive ne s’oppose pas non plus à une « arrestation initiale » en vue de la détermination du caractère régulier ou non du séjour. La vérification d’identité de quatre heures et la garde-à-vue entrent dans ce périmètre (§ 30). Il serait même porté atteinte à l’objectif de la directive qui vise à assurer l’éloignement de personnes en séjour irrégulier si les États ne pouvaient pas éviter qu’une personne soupçonnée de séjour irrégulier s’enfuie avant même que sa situation n’ait pu être clarifiée (§ 29). Certes, un étranger ne peut pas être sanctionné pénalement au seul motif qu’il est en situation irrégulière, les États devant d’abord chercher à l’éloigner par la voie administrative. Mais une sanction pénale reste possible en cas de récidive. De même, la commission de plusieurs infractions peut justifier des poursuites pour un séjour irrégulier, l’intéressé n’entrant alors pas dans le champ d’application de la directive « retour ». En contrôlant sur la voie publique un étranger qui n’est pas en mesure d’établir la régularité de son séjour, les autorités sont fondées à le placer en garde-à-vue pour établir si l’article L. 621-1 du code peut être mis en oeuvre pour l’une de ces raisons. On concèdera la fragilité d’une telle conclusion qui offre à l’administration, dans le même temps, la possibilité de préparer le placement en rétention. Cette perspective constitue, on le sait, l’issue statistiquement inéluctable. En 2009, 297 sanctions pénales pour séjour irrégulier ont été prononcées. Dans le même temps, les 77 413 contrôles d’identité d’étrangers en situation irrégulière ont constitué le prélude à 30 270 placements en rétention administrative… Pareille interprétation valide une pratique française qui fait de la garde-à-vue la pierre angulaire de l’obligation de quitter le territoire. Nullement partagée par des observateurs du droit des étrangers mais également des juridictions (V. ainsi CA Aix, 8 déc. 2011, req. n° 11/00383 : « le simple séjour irrégulier en l’absence d’épuisement des mesures coercitives de la directive retour n’étant pas (pénalement) punissable, le placement de l’intéressé en garde-à-vue sur le seul fondement de cette infraction est irrégulier par application de l’article 62-2 du code de procédure pénale qui ne saurait permettre que la garde-à-vue soit simplement destinée à organiser une mesure administrative d’éloignement »), il serait salutaire que des précisions soient apportées par la Cour de cassation, par le Conseil constitutionnel (qui a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point) et, mieux encore, par le législateur qui pourrait définir un cadre de garde-à-vue adapté au droit des étrangers.
Car, dans le même temps, la Cour de justice fragilise l’état du droit français en confirmant l’analyse développée, quelques mois plus tôt, dans l’arrêt El Dridi. Certes, par principe, la législation pénale sanctionnant le séjour irrégulier des étrangers relève de la compétence des États. Toutefois, ces derniers ne sauraient appliquer une réglementation pénale susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par le droit dérivé (§ 33 et CJUE, 28 avr. 2011, préc., § 53 à 55). Or, « à l’évidence », une peine de prison ne contribue guère à la réalisation effective de l’éloignement. Pour cette raison, l’article L. 621 du code peut faire échec aux normes et procédures établies par la directive, retarder le retour d’un étranger en situation irrégulière et, au final, porter atteinte à l’objectif de la directive (§ 39). Sur ce point, le gouvernement n’était pas fondé à mettre en avant le fait que les peines de prison sont le plus souvent réservées à des étrangers qui commettent d’autres délits ou sont en état de récidive (§ 40). Confirmant l’interprétation exposée dans l’arrêt El Dridi (§ 52 et 60), la Cour en conclut que la directive « retour » s’oppose à une réglementation réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales et permettant l’emprisonnement d’un ressortissant qui, tout en séjournant irrégulièrement et n’étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n’a pas d’abord été soumis aux mesures coercitives visées par la directive. Ce point de l’arrêt ne condamne pas en tant que tel les sanctions pénales du séjour irrégulier (C. étrangers, art. L. 621-1 et L. 624-1) et encore moins les pratiques françaises en l’absence de poursuites systématiques. Mais il impose, pour le moins, de corriger la rédaction de ce dispositif pour mettre en conformité ces délits avec les exigences de la directive « retour » telles qu’elles ont été définies par le juge communautaire.