Code Lexis-Nexis édition 2024, CESEDA, Livre 5 (à paraître en juin) et Droit des étrangers (Lexis-Nexis), partie 5, éd. 2024 (à paraître en mai)
La grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne a estimé le 16 janvier 2024 que, en fonction des conditions prévalant dans le pays d’origine, des groupes de femmes partageant une caractéristique commune mais plus largement les femmes dans leur ensemble peuvent se prévaloir d’une persécution infligée en raison de leur appartenance à « un certain groupe social » au sens de la Convention de Genève de 1951 (CJUE, Gde chambre, 16 janvier 2024, aff. C‑621/21, WS c/ Darzhavna agentsia za bezhantsite). Pour parvenir à cette conclusion inédite, la Cour s’est fondée sur la notion de genre biologique ou social qui est au cœur de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes signée dans le cadre des Nations unies le 18 décembre 1979 (ratifiée par tous les États membres- et de la convention d’Istanbul conclue le 11 mai 2011 dans le cadre du conseil de l’Europe (signée par l’Union européenne mais non par l’État mis en cause, la Bulgarie) dont l’article 60 invite les États à prendre toute mesure « pour que la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution ».
La Cour de justice devait trancher si les femmes pouvaient être considérées dans leur ensemble comme appartenant à « un certain groupe social » ou, comme cela était jusqu’alors traditionnellement admis, devaient partager une caractéristique commune supplémentaire pour appartenir à un tel groupe. Littéralement, l’article 10, § 1 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 subordonne l’existence d’« certain groupe social » à deux conditions cumulatives : le partage d’un trait d’identification (une « caractéristique innée », une « histoire commune qui ne peut être modifiée » ou une « caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce ») ; l’existence d’une « identité propre » du groupe « perçu comme étant différent par la société environnante ». La Cour a estimé que le premier critère était satisfait dans le cadre des femmes au motif que « le fait d’être de sexe féminin constitue une caractéristique innée et suffit, partant, à satisfaire » à la condition d’un trait d’identification commun (pt 49). Simultanément, des femmes peuvent partager un trait commun supplémentaire. En particulier, le fait pour des femmes de s’être soustraites à un mariage forcé ou, pour des femmes mariées, d’avoir quitté leurs foyers, peut être considéré comme une « histoire commune qui ne peut être modifiée » (pt 51). La seconde condition d’identification (« l’identité propre ») est également remplie car « les femmes peuvent être perçues d’une manière différente par la société environnante et se voir reconnaître une identité propre dans cette société, en raison notamment de normes sociales, morales ou juridiques ayant cours dans leur pays d’origine » (pt 52). Il en est de même lorsque ces normes ont pour conséquence que ces femmes, en raison de cette caractéristique commune, sont perçues comme « différentes » soit par l’ensemble de la population, soit sur une partie du territoire (pt 54).
La Cour de justice en tire la conséquence que les femmes relèvent dans leur ensemble d’« certain groupe social » lorsqu’elles sont exposées à des violences physiques ou mentales en raison de leur sexe (pt 57). Même si ce point était déjà acquis, il en est de même pour les femmes qui refusent un mariage forcé ou enfreignent une norme sociale en mettant fin à ce mariage si elles sont pour cette raison stigmatisées et exposées à la réprobation de la société environnante par une exclusion sociale ou des actes de violence. Le raisonnement a été étendu aux femmes exposées à un risque de torture ou de traitements inhumains et dégradants ou à un risque de mort émanant d’un membre de leur famille ou de leur communauté pour avoir transgressé des normes culturelles, religieuses ou traditionnelles. Elles peuvent dans ce cas se prévaloir de la protection subsidiaire (pt 80).
Les acteurs investis d’un pouvoir étatique doivent avoir non seulement la capacité de protéger les femmes concernées en disposant notamment d’un système judiciaire effectif mais également manifester la volonté d’agir efficacement et de manière non temporaire (pt 64).