Code Litec 2010, p. 385
Le régime de la garde à vue a été contesté en profondeur par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme. Il doit faire l'objet d'une réforme qui a été présentée en conseil des ministres le 13 octobre 2010.
Saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel n’a pas souhaité examiner la constitutionnalité des dispositions relatives à la criminalité organisée et au terrorisme, s’estimant lié par ses décisions antérieures (Cons. const., déc. n° 2010-14/22 QPC, 30 juill. 2010, M. Daniel W. et autres. – confirmant ce refus pour l'article 706-88 du code de procédure pénale, Cons. const., déc. n° 2010-31 QPC, 22 sept. 2010, M. Bulent A. et autres). En revanche, il s’est saisi des dispositions relatives à la réforme du 24 août 1993 qui, le 11 août 1993, avaient été déclarées conformes à la Constitution. Il a toutefois été observé que, par la suite, l’introduction de nouvelles règles de procédure pénale et modalités de mise en œuvre de la garde à vue ont conduit à un recours de plus en plus fréquent à cette mesure, modifiant l'équilibre des pouvoirs et des droits reconnues aux personnes concernées. C’est ainsi que la proportion des procédures soumises à l'instruction préparatoire n'a cessé de diminuer. Dans le même temps, la pratique du traitement « en temps réel » des procédures pénales a été généralisée, conduisant à ce que la décision du ministère public soit prise sur le rapport de l'officier de police judiciaire avant la fin de la garde à vue. Même dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une personne est ainsi le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur ses aveux. Au final, la garde à vue est devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement. De même encore, plusieurs modifications de la loi ont conduit à une réduction des exigences conditionnant l'attribution de la qualité d'officier de police judiciaire (53 000 OPJ en 2009 contre 25 000 en 1993). Ces bouleversements ont contribué à banaliser la garde à vue qui a été prononcée à plus de 790 000 reprises en 2009. Ces modifications des circonstances de droit et de fait justifiaient le réexamen de la constitutionnalité du cadre législatif de la garde à vue. De manière générale, le dispositif n’a pas été jugé contraire au principe de dignité de la personne humaine (Préambule 1946, al. 1), aux articles 7 à 9 de la Déclaration de 1789 et à l'article 66 de la Constitution (Cons. const. 30 juill. 2010. – V. égal. confirmant la constitutionnalité des alinéas 7 à 10 de l'article 706-88 du code de procédure pénale autorisant une garde à vue de à six jours en matière de terrorisme, Cons. const., déc. n° 2010-31 QPC, 22 sept. 2010, M. Bulent A. et autres). Il a été brièvement observé que la garde à vue demeure une « mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire » qui est mise en œuvre dans le respect des droits de la défense (Cons. const. 30 juill. 2010, consid. 25 et 26). Le Conseil s’est en revanche arrêté sur les dispositions des articles 62 et 63 du code de procédure pénale qui autorisent l'interrogatoire d'un gardé à vue sans que ce dernier bénéficie de l'assistance effective d'un avocat. Cette restriction aux droits de la défense peut être imposée pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes (Cons. const. 30 juill. 2010, consid.
29). Plus particulièrement, il a été noté que l’intéressé ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence, cette information ayant été supprimée par la réforme du 18 mars 2003. Dans ces conditions, les articles 62, 63, 63 1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de procédure pénale n'instituent pas les garanties appropriées exigées par les évolutions constatées depuis 1993. La conciliation entre la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et l'exercice des libertés constitutionnellement garanties n’étant plus équilibrée, il a été conclu que la loi méconnaissait les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 (Cons. const. 30 juill. 2010, consid. 29). Refusant d'indiquer les modifications des règles de procédure pénale à faire prévaloir pour l’avenir et renvoyant, pour cette raison, au pouvoir d’appréciation du législateur, le Conseil constitutionnel a estimé que leur abrogation immédiate méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives. Il a donc reporté au 1er juillet 2011 la date de l’abrogation afin de permettre au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité. Jusqu’à cette date, les gardes à vue ne pourront pas être contestées sur le fondement de la décision rendue le 30 juillet 2010.
La Cour européenne des droits de l’homme a pour sa part dénoncé une violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette stipulation implique le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence qui sont au « cœur du procès équitable » pour protéger l’accusé contre une « coercition abusive de la part des autorités » (CEDH, 14 oct. 2010, req. nº 1466/07, Brusco c/ France, § 44). Il doit en découler un droit de garder le silence. Ces garanties doivent éviter que l’accusation cherche à fonder son argumentation par des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou de pression. Pour cette raison, l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue et pendant les interrogatoires est essentielle.
Prenant acte de la réponse à la question prioritaire de constitutionnalité du 6 août 2010 et faisant écho à cet arrêt, la Cour de cassation a estimé que plusieurs dispositions relatives à la garde à vue ne satisfont pas à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Cass. crim. plén., 19 oct. 2010, req. nº 10-82902, 10-82306 et 10-82051). Cette stipulation implique que la restriction au droit d’être assisté par un avocat dès le placement en garde à vue doit, dans le cadre du régime spécial applicable à certaines infractions, répondre à l’exigence d’une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l’infraction (CPP, art. 706-88). Par ailleurs, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d'un avocat. Enfin, les conditions d’assistance d’un avocat doivent mettre l’intéressé à même d’organiser sa défense et de préparer avec son conseil ses interrogatoires auxquels l’avocat doit participer. L’application de ces règles nouvelles prendra effet lors de l’entrée en vigueur de la loi devant modifier le régime de la garde à vue, en tout état de cause au plus tard le 1er juillet 2011. Ce différemment a été justifié pour ne pas « porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ».