Code Litec 2010, p. 514
Depuis la réforme législative du 10 décembre 2003, le préfet peut refuser d’admettre au séjour des personnes originaires d'un pays où elles sont réputées n’être exposées à aucun risque de persécution (C. étrangers, art. L. 741-4, 2º). Une brève indication statistique éclaire les enjeux de cette présomption de non-persécution dont le périmètre a été examinée le 23 juillet 2010 par le Conseil d’État (CE, 23 juill. 2010, req. nº 336034, Amnesty international section française). En 2008, 3 239 demandes de protection émanaient de ressortissants en provenance des pays d'origine « sûrs » (9,5 % de la demande globale contre 5 % en 2007). Plusieurs critiques ont accompagné la mise en place de cette clause. L’une d’entre-elles renvoie à la régulation des flux de demandes de protection qu’elle induit, au risque d’entraîner une pré-sélection des candidats sur le seul critère de leur nationalité. Pour éviter cette dérive, le législateur a simplement posé une présomption simple de non-persécution qui contraint le préfet, avant de refuser une autorisation provisoire de séjour, à procéder à une appréciation individuelle de chaque situation (CE, 2 mai 2006, req. nº 292910, Mme Amiraleva). Une autre critique vise la procédure applicable dans une telle hypothèse qui ne remplit pas toutes les garanties reconnues aux ressortissants d’un pays qui n’est pas réputé « sûr ». C’est ainsi que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) doit statuer en urgence selon une procédure simplifiée qui s’accompagne, en pratique, rarement d’un entretien individuel (C. étrangers, art. L. 723-1). Ultime trait singulier, le recours introduit devant la Cour nationale du droit d'asile n'est pas suspensif. Sans doute, l’Office, qui doit procéder lui aussi à un examen de chaque dossier, n’est pas lié par une liste de pays « sûrs ». Dans le même temps, ce dernier est lui même chargé d'établir cette liste…
On comprendra dès lors les enjeux d’une telle liste que l’OFPRA s’est résolu à rédiger le 30 juin 2005 (JO nº 153, 2 juill. 2005. - C. étrangers, art. L. 722-1). Cette liste a ultérieurement été complétée par deux décisions des 16 mai 2006 et 20 novembre 2009. La liste comprenait alors 17 États (Arménie, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Croatie, Ghana, Inde, Madagascar, Mali, Macédoine, Maurice, Mongolie, Sénégal, Serbie, Tanzanie, Turquie, Ukraine). À ces pays, s’ajoutent l’ensemble des États de l’Union européenne (CE, 30 déc. 2009, req. nº 305226, Office français de protection des réfugiés et apatrides). En 2008, le Conseil d'État a accepté de contrôler la légalité interne de la liste. Il avait estimé qu’« en dépit des progrès accomplis », l'Albanie et le Niger ne présentaient pas, « eu égard notamment à l'instabilité du contexte politique et social propre à chacun de ces pays », les caractéristiques justifiant leur inscription sur la liste (CE, 13 févr. 2008, req. nº 295443, Assoc. Forum des réfugiés). Dans le même temps, le principe d’une telle liste avait été jugé conforme à l'article 3 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 qui impose aux États d'appliquer la Convention « sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine ».
Une nouvelle modification de la liste est intervenue le 20 novembre 2009. Se prononçant sur sa légalité le 23 juillet 2010, le Conseil d’État a porté un nouveau regard sur le choix d’exclure ou de sélectionner certains pays (sur le refus d’en suspendre l’exécution, CE réf., 26 févr. 2010, req. nº 336035, Amnesty international et autres). Le Conseil d’État a tout d’abord validé le maintien sur la liste de huit États dont la capacité à assurer une protection à leurs ressortissants avait été contestée de manière circonstanciée par plusieurs associations humanitaires. Elles avaient notamment pointé une contradiction à inscrire la Bosnie-Herzégovine et le Sénégal alors que, dans le même temps, l’OFPRA et la CNDA accordent à des ressortissants de ces deux pays le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Selon le rapport annuel de l’Office diffusé en 2010 (p. 59), 108 Sénégalais et 30 Bosniaques ont ainsi bénéficié d’une protection en 2009. Le Conseil d’État a réfuté la pertinence de cet indicateur statistique jugé non pertinent pour apprécier, à lui seul, le niveau de sécurité dans un pays. Comment pourtant un pays pourrait-il être réputé « sûr » alors que, dans le même temps, des situations de persécution sont reconnues par l’OFPRA lui même ? Un autre argument ne manquait pas de pertinence. Il reposait sur le constat que le Bénin, le Ghana, l'Inde, la Mongolie et la Tanzanie où la peine de mort n’a pas été abolie étaient mentionnés dans la liste. Or, le risque d’être exposé dans son pays à la peine capitale constitue précisément un motif de protection subsidiaire (C. étrangers, art. L. 712-1). Ce point a été éludé par le Conseil d’État au même titre que l’argument tiré du nombre d'affaires visant la Bosnie-Herzégovine devant la Cour européenne des droits de l'homme n’a pas été analysé. Il est vrai que ce pays n’a été condamné qu’à trois reprises en 2008… contre 34 pour la France. L’existence d’un rapport très critique du comité des droits de l'homme du Conseil de l'Europe n’a pas non plus été jugé pertinent pour dénoncer l’inclusion de la Macédoine dans la liste des pays d’origine sûr.
La décision du 20 novembre 2009 n’a pas intégralement été validée, le Conseil d’État ayant contesté l’ajout de quatre pays à la liste de 2005. En premier lieu, il s’est appuyé sur la fréquence des pratiques d'excision pour annuler l’inscription du Mali (sur le constat que la pratique de l’excision n’est pas réprimée par le code pénal malien, CNDA, sect. réunies, 12 mars 2009, req. nº 639908, Mlle K). L’exclusion du Mali ne concernera pas les demandes présentées par des ressortissants masculins de ce pays. Le Conseil d’État a par ailleurs dénoncé l’inscription de Madagascar dans la liste compte tenu de la grande instabilité qui règne localement depuis 2009 et des violences et persécutions dont sont victimes les opposants au pouvoir. Le choix de l’OFPRA de conférer à Madagascar le label de pays « sûr » était particulièrement déroutant. L’ajout dans la liste de l’Arménie et de la Turquie a enfin été contesté en raison des violences infligées respectivement aux opposants au pouvoir arménien et aux ressortissants turcs d'origine kurde. Les limitations à la liberté d'expression en vigueur en Turquie ont également été pointées dans un contexte de condamnations de ce pays par la Cour européenne des droits de l’homme sur ce fondement (V. en dernier lieu Cour EDH, 14 sept. 2010, Dink c/ Turquie, req. nº 2668/07).