1. Constitutionnalité de la réforme
Le Conseil constitutionnel a invalidé 32 articles sur 86 de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration et, sur le fond 3, partiellement ou totalement. Les 32 articles ont été invalidés sur le fondement du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution qui subordonne depuis 2008 la recevabilité d’un amendement en première lecture à un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. L’invalidation concernait notamment la réforme du regroupement familial, le droit de séjour des étrangers gravement malades, les conditions de séjour des étudiants étrangers, l’exclusion des étrangers en situation irrégulière du bénéfice de la réduction tarifaire accordée en Île‑de‑France pour certains titres de transport, la peine d’amende délictuelle le séjour irrégulier d’un étranger majeur, l’exigence d’une condition de résidence en France d’au moins cinq ans ou d’affiliation au titre d’une activité professionnelle pour le bénéfice du droit au logement, de l’aide personnelle au logement, de l’allocation personnalisée d’autonomie et des prestations familiales et la réforme du droit de la nationalité. La fixation par le Parlement de quotas d’étrangers autorisés à s’installer en France et la tenue obligatoire d’un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration ont par ailleurs été invalidées au motif que le législateur ne peut pas faire obstacle aux prérogatives que le Gouvernement ou chacune des assemblées tiennent de la Constitution pour la fixation de l’ordre du jour. Le Conseil constitutionnel a également contesté les modalités de relevé des empreintes digitales et de prise de photographie d’un étranger sans son consentement qui n’étaient pas soumises à l’autorisation du procureur de la République et subordonnées à la démonstration d’une nécessité et qui ne prévoyaient pas la présence d’un avocat.
2. Réforme des conditions d’entrée
Motif de refus de visa : le Conseil constitutionnel a validé les deux nouveaux articles L. 312‑1‑1 et L. 312‑3‑1 du code des étrangers introduits par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024. Ces articles prévoient la possibilité de refuser le visa de long séjour et certains visas de court séjour aux ressortissants d’un État coopérant insuffisamment en matière de réadmission de ses ressortissants en situation irrégulière ou ne respectant pas un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires. Introduites en première lecture, ces dispositions étaient en lien avec l’article 13 du projet de loi initial qui introduisait pour la délivrance ou le retrait de certains documents de séjour de nouveaux critères tenant à l’engagement de l’étranger de respecter les principes de la République, l’établissement de sa résidence effective et habituelle en France ou l’absence de menace grave à l’ordre public (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 179 à 182).
Contrôle dans la zone frontalière : Dans sa rédaction tirée de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, l’article L. 812‑3 du code des étrangers autorise des contrôles dans des voitures particulières. Il prévoit par ailleurs des contrôles dans la zone comprise entre le littoral et une ligne tracée à vingt kilomètres en-deçà « en raison de la pression migratoire particulière qui s’y exerce » et dans un rayon maximal de dix kilomètres autour des ports et aéroports constituant des points de passage frontaliers « en raison de l'importance de leur fréquentation et de leur vulnérabilité ». La loi du 26 janvier 2024 a par ailleurs introduit un article L. 812‑5 dans le code des étrangers pour contrôle les navires en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des pièces ou documents de séjour ou de rechercher et constater les infractions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France. Suivant ce cadre, les officiers de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale peuvent procéder à la visite sommaire de tout navire ou engin flottant dans les eaux intérieures, la mer territoriale et la zone contigüe. Il ne peut toutefois être procédé à une visite qu’avec l’accord du capitaine du navire ou de son représentant ou, à défaut, sur instructions du procureur de la République (CESEDA, art. L. L. 812‑6). Dans l’attente des instructions du procureur de la République, le navire peut alors être immobilisé s’il est situé dans les limites administratives des ports maritimes pour quatre heures. À défaut ou lorsque l’accès à bord est matériellement impossible, le navire peut être dérouté vers une position ou un port approprié. En toute hypothèse, la visite est limitée au temps strictement nécessaire et se déroule en présence du capitaine du navire ou de son représentant. Lorsque la visite concerne des locaux affectés à un usage privé, la visite est effectuée en présence de l’occupant des lieux ou du capitaine du navire ou de son représentant. La visite donne lieu à l’établissement d’un procès-verbal.
Placement en zone d'attente : l’article 77 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a réécrit l’article L. 342-5 du Code des étrangers pour prévoir que le délai de jugement sur une requête aux fins de maintien en zone d’attente peut être porté à quarante-huit heures en cas de placement simultané d’un nombre important d’étrangers. Le Conseil constitutionnel a acté que le délai imparti au juge des libertés et de la détention pour statuer pouvait conduire à priver de liberté la personne pendant une durée supplémentaire de quarante-huit heures sans que la privation de liberté en résultant, jusqu’au prononcé de l’ordonnance, ne puisse toutefois excéder une durée totale de six jours. Il a par ailleurs observé que le délai de jugement ne pouvait être allongé que sur décision motivé du premier président au regard des contraintes liées au nombre important d’étrangers en zone d’attente. Compte tenu de ces garanties, les dispositions contestées n’ont pas été jugées contraires à l’article 66 de la Constitution (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 257 à 265). Le législateur a par ailleurs inséré au sein du code des étrangers un nouvel article L. 922-3 afin de prévoir les conditions dans lesquelles se déroule l’audience devant le président du tribunal administratif en matière de placement ou de maintien en rétention administrative ou en zone d’attente d’un étranger. L’article 76 réécrit également les articles L. 342-6 et L. 743-7 afin de prévoir les conditions dans lesquelles se déroule l’audience devant le juge des libertés et de la détention. Selon le nouveau dispositif, l’audience se tient dans la salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate de la zone d’attente ou du lieu de rétention. De même, selon l’article L. 922-3, lorsque l’étranger placé en zone d’attente exerce un recours devant la juridiction administrative, l’audience se tient dans cette même salle. La loi prévoit toutefois que le magistrat peut siéger dans les locaux du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe la zone d’attente. Les deux salles d’audience sont alors reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle. Le Conseil constitutionnel a décelé dans cette extension des délocalisations et télé-audiences une contribution à la bonne administration de la justice (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 252).
3. Réforme des conditions de séjour
Travailleurs exerçant dans un métier en tension : en 2022, le gouvernement avait affiché sa volonté d’apporter une solution à une situation intenable pour les étrangers concernés mais également pour des entreprises qui ne parviennent pas à recruter durablement : la présence de travailleurs étrangers en situation irrégulière dans des domaines dits « en tension » car caractérisés par un déficit de la demande d’emploi. Très tôt, l’initiative a recueilli une violente opposition au sein de la droite parlementaire non gouvernementale qui est à l’origine de l’enlisement de la procédure d’adoption de la loi « pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » entre mars et octobre 2023. Pour faire adopter le texte, le gouvernement a dû céder et accepter le principe d’un compromis provisoire (il s’achèvera le 31 décembre 2026) qui aurait pu figurer dans une simple circulaire. Introduit par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, l’article L. 435‑4 du Code des étrangers prévoit en effet que, à titre exceptionnel et sans que les conditions soient opposables au préfet, l’étranger qui a exercé une activité salariée figurant dans la liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement durant au moins douze mois au cours des vingt-quatre derniers mois et occupant un emploi relevant de ces métiers et zones et qui justifie d’une période de résidence ininterrompue d’au moins trois ans en France peut prétendre à une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié » d’un an. Les périodes de séjour et l’activité exercée en qualité de saisonnier, d’étudiant ou de demandeur d’asile ne sont pas prises en compte. Dans l’exercice de sa faculté d’appréciation, le préfet prend en compte la réalité et la nature des activités professionnelles exercées, l’insertion sociale et familiale, le respect de l’ordre public, l’intégration à la société française et l’adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle‑ci et aux principes de la République. L’étranger ne peut se voir délivrer un titre s’il a fait l’objet d’une condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire. La circulaire n° IOMV2402701 du 5 février 2024 des ministres de l’Intérieur, du Travail et de la Santé a détaillé ces modalités.
Sanction de l’emploi d’un travailleur sans titre : l’article L. 8253-1 du Code du travail sanctionnait l’employeur d’un étranger non autorisé à exercer une activité salariée d’une « contribution spéciale » versée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration. La personne qui s’abstient de vérifier, lors de la conclusion d’un contrat portant sur une obligation d’au moins 5 000 € en vue de l’exécution d’un travail, d’une prestation de services ou d’un acte de commerce, que son cocontractant n’emploie pas un étranger sans autorisation de travail, était également concernée. Ce dispositif a été réformé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 qui a cependant confirmé les grandes lignes du droit existant. L’« amende administrative » qui lui succède est en effet prononcée par le ministre de l’Intérieur en conséquence de l’emploi irrégulier d’un étranger sans titre au mépris des articles L. 8251-1 et L. 8251-2 du Code du travail. Pour prononcer cette sanction, le ministre prend en compte les capacités financières de l’auteur du manquement, le degré d’intentionnalité et le degré de gravité de la négligence commise. Comme dans le passé, son montant est au plus égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti (20 500 euros) et peut être majoré en cas de réitération (61 500 euros). L’amende est appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers. Le législateur a également confirmé que, lorsque cette amende est prononcée en même temps qu’une sanction pénale, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé des sanctions encourues. La réforme du 26 janvier 2024 a par ailleurs supprimé le dispositif de « contribution forfaitaire » pour compenser les frais d’éloignement forcé qui était inscrit dans le Code des étrangers.
Séjour des étrangers hébergés dans des conditions indignes : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a inséré dans le code des étrangers un article L. 425‑11 qui reconnaît un droit de séjour au bénéfice de l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre des faits constitutifs de l’infraction de soumission à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine. Le bénéfice d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » d’un an lui est accordé de plein droit. La carte est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale.
Carte de séjour pluriannuelle « talent » : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a modifié le nom de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » qui est remplacée par celle moins ambigüe de « talent ». Le législateur a par ailleurs abrogé les articles L. 421‑10 et L. 421‑13 du code des étrangers. Désormais, sous réserve d’un seuil de rémunération, le code prévoit la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle « talent‑salarié qualifié » pour une durée maximale de quatre ans si la personne concernée exerce une activité salariée sous le couvert d’un diplôme au moins équivalent au master dans une université française, a été recrutée dans une jeune entreprise innovante réalisant des projets de recherche et de développement ou pour exercer des fonctions en lien avec son développement économique, social, international et environnemental ou assure une mission entre établissements d’une même entreprise ou entre entreprises d’un même groupe. La réforme introduit par ailleurs une carte de séjour pluriannuelle « talent‑porteur de projet » d’une durée maximale de quatre ans qui est accordée dans trois hypothèses : étranger diplômé d’un master ou établissant une expérience professionnelle d’au moins cinq ans d’un niveau comparable pour conduire un projet économique « réel et sérieux » ; projet économique innovant reconnu par un organisme public ; investissement économique direct en France.
Contrat d’engagement au respect des principes de la République : l’article 46 de la loi n° 2024-42 insère un nouvel article L. 412-7 dans le code des étrangers afin de prévoir la souscription d’un contrat d’engagement au respect des principes de la République par l’étranger qui sollicite un document de séjour. Le Conseil constitutionnel a estimé que ni la notion de contrat ni les obligations que ce contrat emporte pour l’étranger n’étaient inintelligibles. Sur le fond, il a jugé que le législateur pouvait prévoir qu’un étranger qui sollicite la délivrance d’un document de séjour devait s’engager à respecter des principes, parmi lesquels figure la liberté d’expression et de conscience, qui s’imposent à toute personne, sans condition de nationalité, qui résident en France. Le Conseil n’a pas décelé une rupture d’égalité qui résultait, selon des parlementaires, de la souscription d’un « contrat » d’engagement à respecter plusieurs principes constitutionnels et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 166 à 178).
Modalités d’examen des demandes de titre de séjour : l’article 14 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 prévoit, à titre expérimental, que, lorsque le préfet envisage de refuser de délivrer ou de renouveler un titre de séjour demandé par un étranger, il examine tous les motifs susceptibles de fonder la délivrance d’autres titres. À l’issue de la procédure d’examen, le préfet peut délivrer à l’étranger, sous réserve de son accord, un titre de séjour différent de celui initialement demandé. En cas de refus de séjour, toute nouvelle demande présentée dans l’année qui suit est irrecevable, sauf éléments de fait ou de droit nouveaux. Ce dispositif inédit vise à la fois à faciliter l’admission au séjour d’un étranger dont la situation justifie l’octroi d’un titre différent de celui faisant l’objet de sa demande initiale et éviter au préfet d’avoir à examiner des demandes successives de titres émanant d’une même personne. Le Conseil constitutionnel n’a pas contesté ce dispositif. Une réserve d’interprétation impose toutefois au préfet d’informer l’étranger qu’il doit transmettre l’ensemble des éléments justificatifs permettant d’apprécier sa situation. Par ailleurs, il a estimé que la loi ne pouvait pas restreindre la faculté pour l’étranger débouté de se prévaloir dans l’année qui suit d’éléments de fait ou de droit nouveaux uniquement de permettre la délivrance d’un titre de plein droit (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 56 à 72). Ces nouvelles modalités d’instruction seront conduites à titre expérimental dans au moins cinq départements et au plus dix départements pour une durée maximale de trois ans. Le préfet qui envisage de refuser de délivrer ou de renouveler un titre de séjour devra au préalable examiner tous les motifs susceptibles de fonder la délivrance du titre. À cette occasion, le demandeur transmettra l’ensemble des éléments justificatifs. À l’issue de la procédure d’examen, le préfet pourra délivrer à l’intéressé, sous réserve de son accord, un titre de séjour différent de celui qui faisait l’objet de sa demande initiale. Si le préfet a opposé moins d’un an auparavant un refus d’admission au séjour examiné selon ces modalités, il déclarera irrecevable toute nouvelle demande. Le caractère abusif ou dilatoire de cette nouvelle demande sera présumé, justifiant un refus de d’enregistrement. Dans ces conditions, l’étranger devra attester d’éléments de fait ou de droit nouveaux susceptibles de permettre la délivrance d’un titre de séjour de plein droit. L’élément est réputé nouveau si son apparition est postérieure à la décision de refus ou s’il est avéré que l’étranger n’a pu en avoir connaissance qu’après cette décision.
4. Réforme du départ forcé
Éloignement des demandeurs d’asile déboutés : dans sa rédaction tirée de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, l’article L. 542‑4 du Code des étrangers prévoit que, sous réserve des cas où le préfet envisage d’admettre l’étranger au séjour pour un autre motif, une obligation de quitter le territoire est délivrée sur le fondement et dans les conditions prévues au 4° de l’article L. 611‑1 du code. Jusqu’alors, le préfet n’était pas formellement tenu de prononcer une obligation de quitter le territoire.
Interdiction administrative de retour : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 réforme à la marge le dispositif d’interdiction administrative de retour qui est désormais prononcée pour une durée maximale de cinq ans (contre deux ou trois ans selon les cas) et dix ans en cas de menace grave pour l’ordre public (CESEDA, art. L. 612‑6 à L. 612‑8). La loi prévoit par ailleurs que motifs de l’interdiction de retour sur le territoire français donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans (CESEDA, art. L. 613-9). Le préfet tient à cette occasion compte de l’évolution de la menace pour l’ordre public que constitue la présence de l’intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu’il présente, en vue de prononcer éventuellement l’abrogation de cette décision.
Protection des étrangers visés par une obligation de quitter le territoire : la réforme du 26 janvier 2024 a supprimé les protections reconnues aux étrangers majeurs contre une obligation de quitter le territoire au titre de leur situation personnelle, privée ou familiale. Cette suppression trouve son fondement dans la volonté d’individualiser la prise en compte des situations personnelles pouvant conduire les préfets à ne pas prononcer une mesure d’éloignement. Comme l’a résumé la circulaire n° IOMV24027123 du ministre de l’Intérieur du 5 février 2024, l’application automatique in abstracto de la protection est désormais remplacée « par une évaluation au cas par cas in concreto des situations individuelles, dans le cadre d’un examen de proportionnalité. » Le législateur a également pris acte que les situations de protection légale permettaient la délivrance d’un titre de séjour de plein droit dans la plupart des cas (conjoint de Français, étranger arrivé en France avant l’âge de 13 ans, étranger gravement malade, etc.). Dans le passé, le Conseil constitutionnel n’a jamais contesté une modification des catégories d’étrangers protégés au motif que « les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux », le législateur peut porter atteinte à leur liberté d’aller et venir et concilier leurs droits fondamentaux « avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle » (Cons. const., 13 août 1993, n° 93-325 DC. Cons. const., 13 mars 2003, n° 2003-467 DC, consid. 35 et 110). Suivant cette analyse, les catégories d’étrangers protégés peuvent être remises en cause par le législateur pour des motifs tirés de la protection de l’ordre public. Plus largement, une mesure de départ forcé ne peut pas être contestée au motif qu’elle méconnaîtrait un droit de séjour reconnu à des étrangers par la Constitution. Cette jurisprudence a été confirmée. Sur le fond, le Conseil constitutionnel a observé que le législateur avait entendu permettre qu’une obligation de quitter le territoire puisse être prononcée y compris à l’encontre d’étrangers qui bénéficiaient jusqu’alors d’un régime de protection. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public, tout maintenant la protection dont bénéficiait les mineurs. La réforme n’a donc pas été contesté sur le fond. Tout au plus, il a rappelé qu’une obligation de quitter le territoire était édictée après vérification du droit au séjour au regard notamment de la durée de présence sur le territoire, de la nature et de l’ancienneté des liens avec la France et des considérations humanitaires pouvant justifier un tel droit (CESEDA, art. L. 613-1). Par ailleurs, comme c’est la règle depuis 1990, l’éloignement ne peut intervenir avant l’expiration du délai de recours ou avant que la décision du juge s’il a été saisi (CESEDA, art. L. 722-7). Pour ces raisons, le Conseil a estimé que le législateur pouvait supprimer le principe d’une liste d’étrangers protégés sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, consid. 127 à 134).
Contentieux de l’obligation de quitter le territoire : depuis la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, le Code des étrangers prévoyait trois régimes fondés sur des délais de recours variables en fonction des motifs de l’obligation de quitter le territoire et des mesures de surveillance : trente jours, quinze jours ou quarante-huit heures. Formellement, la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a confirmé ce modèle qui reste applicable aux ressortissants de l’Union européenne, tout en réformant les délais de recours (un mois, sept jours, quarante-huit heures) et les délais de jugements (entre six mois et 96 heures selon les cas). La simplification résulte des dispositifs de jugement, au nombre de douze au lendemain de la réforme du 7 mars 2016, qui ont été réduit (quatre ou sept, selon le mode de calcul).
Obligation de quitter le territoire visant un détenu : le régime d’obligation de quitter le territoire applicable aux détenus a de nouveau été modifié par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 qui prévoit un délai de recours de sept jours et un délai de jugement de quinze jours (CESEDA, art. L. 614-3 et L. 921-1). Si l’étranger est placé en rétention après sa libération, le délai de recours est fixé à quarante-huit heures, avec un délai de jugement de 96 heures (CESEDA, art. L. 614-2 et L. 921-1). En toute hypothèse, l'étranger détenu doit être informé dans une langue qu'il comprend, dès la notification de la décision portant obligation de quitter le territoire, qu'il peut demander au président du tribunal administratif l'assistance d'un interprète et d'un conseil avant même l'introduction de sa requête (CESEDA, art. L. 613-5-1).
Expulsion pour nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État : les articles L. 631-2 et L. 631-3 du Code des étrangers exigent un seuil de menace à l’ordre public plus élevé pour expulser les étrangers faisant l’objet d’une protection, tout en fixant des limites à cette protection. La réforme du 26 janvier 2024 a étendu le périmètre de cette réserve d’ordre public qui permet d’expulser des étrangers normalement protégés sur le fondement de la « menace grave à l’ordre public » visée à l’article L. 631-1 : condamnation à une peine de prison ferme supérieure à trois ans, contre cinq ans jusqu’alors (depuis 2024, la levée de protection intervient au regard de la peine encourue et non du quantum de la peine prononcée) ; polygamie (ce motif figurait dans le code depuis la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021) ; faits à l’origine de l’expulsion commis à l’encontre de son conjoint, d’un ascendant ou de ses enfants ou d’un enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale (le périmètre a été élargi en 2024) ; faits à l’origine de l’expulsion visant une personne protégée au titre de ses fonctions (titulaires d'un mandat électif public et les personnes mentionnées aux 4° et 4° bis des articles 222-12 et 222-14-5 du Code pénal) ; étranger en situation irrégulière. Sur ce dernier point, les protections reconnues par l’article L. 631-2 du code sont levées si l'étranger séjourne irrégulièrement, sauf si l’irrégularité résulte d’un retrait de titre de séjour pour un motif de menace à l'ordre public (CESEDA, art. L. 432-4) ou d'un refus de renouvellement (CESEDA, art. L. 412-5 et L. 432-3, 1°). En introduisant ces réserves d’apparence curieuse, le législateur a souhaité interdire un détournement de procédure par l’administration consistant à placer en situation irrégulière un étranger par le retrait de son titre aux seules fins de l'expulser.
Expulsion pour atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, activités à caractère terroriste et provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence : par effet miroir avec la modification de l’article L. 631-2, le législateur a modifié le périmètre de la réserve d’ordre public qui autorise l’expulsion pour une « menace grave à l’ordre public » d’un étranger normalement protégé. Peuvent être désormais invoqués des cas de violences à l’encontre du conjoint, d’un ascendant ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale par un étranger normalement protégé ; une condamnation pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus de prison ou trois ans en réitération de crimes ou délits punis de la même peine ; des faits à l’origine de l’expulsion visant le titulaire d’un mandat électif public ou d’une personne protégée dans l’exercice ou en raison de sa fonction ; un séjour irrégulier, sauf si l’irrégularité résulte d’un retrait de titre de séjour visant un étranger dont la présence menace l’ordre public ou en situation de polygamie. Le législateur a par ailleurs confirmé les dispositions de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 qui avait généralisé la réserve de polygamie à l’ensemble des catégories d’étrangers protégés visés par une mesure d’expulsion fondée sur les motifs définis à l’article L. 521-3 du Code des étrangers.
Interdiction judiciaire du territoire français : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a réformé le dispositif d’interdiction judiciaire du territoire français qui peut désormais viser tout étranger coupable d’un crime, d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à trois ans ou d’un délit pour lequel la peine d’interdiction du territoire français est prévue par la loi. Elle n’est donc plus conditionnée à l’existence d’un crime ou délit prévoyant le principe d’une interdiction judiciaire du territoire français (Code pénal, art. 131‑30). En second lieu, la loi a mis fin à l’obligation de motivation spéciale pour certains étrangers qui existait depuis 2003 (Code pénal, ancien art. 131‑30‑1). Corrélativement, la juridiction doit tenir compte de la durée de la présence de l’étranger sur le territoire, de la nature, de l’ancienneté et de l’intensité de ses liens avec la France. Enfin, la loi prévoit désormais que la peine cesse ses effets à l’expiration de la durée fixée par la décision de condamnation. Cette durée court à compter de la date à laquelle le condamné a quitté le territoire français.
Durée d’assignation à résidence : l’article 42 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a modifié les articles L. 732-4 et L. 732-5 du code des étrangers pour porter à un an, renouvelable deux fois, la durée de l’assignation à résidence de l’étranger visé par une obligation de quitter le territoire français pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n’a pas été accordé, qui doit être éloigné en exécution d’une interdiction de retour ou de circulation sur le territoire français ou d’une réadmission.
Assignation à résidence des demandeurs d’asile : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a inséré dans le code des étrangers un nouveau dispositif d’assignation à résidence ou si besoin rétention du demandeur d’asile dont le comportement constitue une menace à l’ordre public ou qui est en situation irrégulière « afin de déterminer les éléments sur lesquels se fonde sa demande d’asile » et s’il « présente un risque de fuite » (CESEDA, art. L. 523-1). La loi définit une présomption de risque de fuite, « sauf circonstance particulière » : entrée irrégulière ou séjour irrégulier sans présenter une demande d’asile dans les 90 jours suivant l’entrée en France ; déjà débouté d’une demande d’asile en France ou dans un État de l’Union européenne ou a renoncé à sa demande sans motif légitime ; intention de ne pas se conformer à la procédure d’éloignement en cas de rejet de sa demande d’asile ou s’est déjà soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ; a déjà fait l’objet d’une procédure d’éloignement forcé dans un pays de l’Union européenne ; ne se présente pas aux convocations de l’autorité administrative, ne répond pas aux demandes d’information et ne se rend pas aux entretiens prévus. Le maintien en rétention au-delà de 48 heures peut être autorisé pour 28 jours par le juge des libertés et de la détention. La demande d’asile est dans ce cas examinée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides selon la procédure accélérée.
Visite domiciliaire : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a modifié la durée de validité de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention qui autorise les visites au domicile d’un étranger visé par une procédure d’éloignement forcé (CESEDA, art. L. 733‑10). Cette durée passe de 96 heures à 144 heures. Elle a par ailleurs prévu la possibilité de rechercher à cette occasion et retenir tout document attestant de la nationalité de la personne concernée (CESEDA, art. L. 733-11).
Motifs de placement en rétention : le placement en rétention est justifié par un risque de soustraction à la mesure d’éloignement forcé. Ce risque fait l’objet d’une définition légale (CESEDA, art. L. 612-3). Depuis la réforme du 26 janvier 2024, le préfet peut prendre en compte l'ordre public pour justifier un placement en rétention (CESEDA, art. L. 741-1, in fine). Ce motif ne constitue pas un critère autonome de placement en rétention, sauf si l'étranger concerné adopte un comportement menaçant l'ordre public qui établit un risque de soustraction à l'exécution de la mesure d'éloignement. La « menace à l'ordre public » constitue également un motif de demande de prolongation de la rétention au 30ème jour (CESEDA, art. L. 742-4), le législateur ayant supprimé l’exigence d’une « menace d’une particulière gravité » à l’ordre public. Il est de même pour les prolongations au 45ème et 60ème jour (CESEDA, art. L. 742-5).
Délais de rétention administrative : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a ramené de sept jours à 48 heures le délai minimum entre deux mesures consécutives de placement en rétention administrative lorsqu’il existe des circonstances nouvelles de fait ou de droit motivant la nouvelle décision de placement en rétention (CESEDA, art. L. 741‑7). Elle a par ailleurs ajouté comme motif de rétention l’existence d’une « menace pour l’ordre public que l’étranger représente » (CESEDA, art. L. 741‑7). Les délais de rétention sont également modifiés : le premier placement en rétention passe de 48 heures à quatre jours et le deuxième placement de 28 à 26 jours (CESEDA, art. L. et L. 742‑3). La durée totale de rétention reste toutefois fixée à 90 jours.
Rétention des mineurs : la réforme du 26 janvier 2024 prohibe le placement en rétention des mineurs accompagnant, tout en rappelant la possibilité de les soumettre à une assignation à résidence (CESEDA, art. L. 741-5 et L. 730-1). Cette interdiction ne s'appliquera toutefois à Mayotte (où sont enregistrés près de la moitié des placements en rétention en France) qu’à compter du 1er janvier 2027 !
Audience de maintien en rétention : l’article 76 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a réécrit les articles L. 342-6 et L. 743-7 afin de prévoir les conditions dans lesquelles se déroule l’audience devant le juge des libertés et de la détention. Selon le nouveau dispositif, l’audience se tient dans la salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate de la zone d’attente ou du lieu de rétention. De même, selon l’article L. 922-3, lorsque l’étranger placé ou maintenu en rétention exerce un recours devant la juridiction administrative, l’audience se tient dans cette même salle. La loi prévoit toutefois que le magistrat peut siéger dans les locaux du tribunal administratif ou au tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention. Les deux salles d’audience sont alors reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle. Le Conseil constitutionnel a décelé dans cette extension des délocalisations et télé-audiences une contribution à la bonne administration de la justice (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 252). À ce titre, il a détaillé les garanties processuelles (cons. 253) et techniques (cons. 254).
Appel contre l’ordonnance de libération du centre de rétention : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour prévoit que le délai de carence avant la libération du centre de rétention ordonnée par le juge des libertés et de la détention passe de dix heures à 24 heures (CESEDA, art. L. 743‑19). Ce délai correspond au délai appel, conférant au recours engagé par le procureur de la République un effet suspensif automatique) ! La loi confère par ailleurs un caractère suspensif de l’appel interjeté contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention mettant fin à la rétention lorsque le motif de la mesure est lié à des faits de terrorisme (CESEDA, art. L. 743‑19).
5. Réforme de l’asile
Création de pôles territoriaux : la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 prévoit la création de pôles territoriaux (« France Asile ») qui seront progressivement déployés sur l’ensemble du territoire français après la mise en place de trois sites pilotes (CESEDA, art. L. 121-17). Sans se prononcer sur le fond, le Conseil constitutionnel a estimé que ces dispositions présentaient un lien avec le projet de loi initial qui avait pour objet de créer des pôles territoriaux « France asile » en vue d’effectuer l’introduction de la demande d’asile auprès de l’Office (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 204 à 207). Ces pôles effectueront l’enregistrement de la demande d’asile par le préfet, assureront l’octroi des conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile et l’évaluation de sa vulnérabilité et de ses besoins particuliers par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, transmettront la demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, procèderont à un entretien personnel. Le demandeur d’asile pourra compléter sa demande jusqu’à l’entretien personnel qui ne pourra intervenir avant un délai de 21 jours suivant l’introduction de la demande d’asile, hormis les cas où l’office prend une décision d’irrecevabilité ou statue dans le cadre des procédures accélérées.
Refus des conditions matérielles d’accueil : l’article 66 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a modifié le premier alinéa des articles L. 551-15 et L. 551-16 du code des étrangers afin de prévoir que, dans certains cas, l’Office français de l’immigration et de l’intégration refuse les conditions matérielles d’accueil auxquelles peut prétendre un demandeur d’asile ou y met fin.
Statut des juges non professionnels : suivant l’article L. 131-4 du code des étrangers introduit par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, les membres des formations de jugement sont astreints à participer à plus de douze journées d’audience par an. Or, lorsqu’elle siège en formation collégiale, la formation de jugement peut comprendre, outre son président et une personnalité qualifiée, un magistrat non permanent. Ainsi, en prévoyant qu’un magistrat non permanent doit avoir au moins six mois d’expérience en formation collégiale pour pouvoir statuer à juge unique, l’article L. 131-5 implique nécessairement que ce magistrat n’ait pris part qu’à des audiences en formation collégiale au cours de cette période. Ne décelant aucune imprécision, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 245 à 247).
Organisation de la Cour nationale du droit d'asile : depuis la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, la Cour nationale du droit d'asile peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres territoriales et des chambres spécialisées en fonction du pays d’origine et des langues utilisées (CESEDA, art. L. 131‑3).
Formation de jugement : en vertu de l’article 70 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, les décisions de la Cour sont rendues par le président de la formation de jugement statuant seul, sauf si le président de la Cour ou de la formation de jugement décide qu’une affaire nécessite un examen devant une formation collégiale (CESEDA, art. L. 131-5). Le Conseil constitutionnel a estimé que le principe d’un juge unique ne portait pas atteinte aux droits de la défense. Il a par ailleurs été relevé que le président de la Cour ou de la formation de jugement pouvait à son initiative ou à la demande du requérant renvoyer l’examen d’une affaire à une formation collégiale à tout moment de la procédure si une question qui le justifie. Le Conseil constitutionnel n’a vu dans ces modalités ni discrimination injustifiée ni atteinte au droit au procès équitable, aux droits de la défense et au principe d’égalité devant la justice (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 236 à 244).