Code Lexis-Nexis 2016, C. étrangers, art. L. 711-1 suiv.
Les 35 articles de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 (JO du 20 juillet) réforment 96 des 104 articles du livre 7 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile consacré au droit de l’asile en totalité (84) ou en partie (12). Désormais, seuls deux articles de ce livre se présentent sous la forme qu’ils avaient lors de la promulgation du code en 2004. Ce séisme impose d’être nuancé si l’on veut bien considérer que plusieurs pans de la loi codifient des pratiques (V. ainsi C. étrangers, art. L. 721-2 : principe d’indépendance de l’OFPRA et art. L. 213-8-1 : caractère obligatoire de l’avis de l’OFPRA pour admettre un candidat à l’asile aux frontières), des jurisprudences établies (la loi a ainsi pris acte qu’un candidat peut, alors qu’il ne rapporte pas la preuve d'une persécution effective, être admis au statut de réfugié si des violences ont été infligées à des membres de sa famille) et des stipulations conventionnelles (convention du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides, C. étrangers, art. L. 812-1 suiv. - clauses d’exclusion prévues par l'article 1er, D, E et F de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, C. étrangers, art. L. 711-3).
1. Réforme du traitement administratif des demandes d’asile
a) Plusieurs garanties ont été inscrites dans la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, même si aucune d’entre elles ne paraît totalement inédite. C’est le cas du principe de confidentialité des éléments d'information relatifs à une persécution. Élevé au rang de garantie substantielle du droit d’asile (V. not. CE, 5 nov. 2014, no 369658, M. B. A.), la loi du 29 juillet 2015 confirme l'interdiction jusque là formulée par voie réglementaire de divulguer aux auteurs présumés de persécutions l’existence d’une demande d’asile ou d’informations la concernant (C. étrangers, art. L. 723-10).
Le législateur a par ailleurs renforcé le droit à être entendu en balisant les conditions de l’audition (l’OFPRA ne peut s’en dispenser que s’il s’apprête à accorder une protection ou si des raisons médicales s’y opposent), spécialement celle d’un mineur qui aurait subi des persécutions dont sa famille n'auraient pas connaissance ou d’une personne exposée à des violences sexuelles (C. étrangers, art. L. 723-6). Garantie inédite qui confrontera l’administration à de sérieuses difficultés d’ordre matériel, le demandeur pourra être accompagné d'un avocat ou d'un représentant d'une association humanitaire qui pourront formuler des observations. L’entretien fera l'objet d'une transcription versée au dossier et pourra être utilisé pour les besoins d'un recours (C. étrangers, art. L. 723-7).
On relèvera qu’au titre des garanties reconnues au candidat à l’asile, la réforme ne propose pour l’essentiel que des garanties procédurales. Il est vrai que sur le fond, les standards de la Convention de Genève, pour critiquables qu’ils soient, autorisaient peu d’initiatives. Quatre dispositions peuvent malgré tout être isolées.
1) La première permet de prendre désormais en compte des persécutions émanant « de partis qui contrôlent l'État ou une partie importante du territoire » mais aussi, simultanément, de refuser une protection si un tel parti est en mesure d’assurer la protection de la population (C. étrangers, art. L. 713-2).
2) Le législateur a par ailleurs habilité l’OFPRA à soumettre une mineure protégée au titre du risque d’excision à un examen médical pour s’assurer qu’elle n’a pas été exposée à une mutilation par la suite (C. étrangers, art. L. 752-3). Un constat de mutilation n’autorisera pas l’Office à mettre fin à la protection pour ce seul motif.
3) La loi a encore clarifié les droits du candidat à l’asile en instance de réadmission vers l’État européen compétent. Pour l’avenir, il pourra se prévaloir d’un droit de séjour provisoire jusqu’à son transfert (C. étrangers, art. L. 742-1) et des droits sociaux garantis à tous les candidats à l’asile… ainsi que l’avait imposé le juge européen (CJUE, 27 sept. 2012, aff. C-179/11, CIMADE et GISTI c/ min. Int. et CE, 30 déc. 2013, no 350193, CIMADE), avant que le législateur en prenne acte le 8 août 2014 (L. n° 2014-891).
4) On pointera enfin la réforme du critère du « pays d’origine sûr » qui peut être opposé à un candidat à l’asile depuis 2003. Désormais, l’inscription d’un État sur la liste des pays réputés sûrs impliquera qu’« il n’y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle dans des situations de conflit armé international ou interne. » (C. étrangers, art. L. 722-1) Ces exigences somme toutes minimalistes n’ont rien d’inédites. La loi facilite en revanche l’actualisation de la liste pour suspendre mais aussi autoriser l’inscription d’un pays en cas d’« évolution rapide et incertaine de la situation » politique. Le conseil d’administration de l’OFPRA pourra être saisi par les présidents des commissions parlementaires compétentes ou une association humanitaire spécialisée.
b) Le cœur de la réforme est surtout animé par la refonte de la procédure administrative (9 articles du Code des étrangers sur 17 dédiés à cette procédure ont survécu). L’objectif de célérité affiché par le gouvernement pour justifier cette refonte ne doit pas abuser. Sa réalisation est commandée par deux données qui échappaient au Parlement : l’évolution des flux de demandes pour les années à venir et la mise à disposition de l’OFPRA de moyens matériels qui relèvent d’un débat budgétaire annuel. En dépit de ces incertitudes, le gouvernement a affiché d’un délai moyen de traitement d’une demande en neuf mois (en 2013, il était en moyenne de quatre mois et 12 jours devant l’OFPRA et six mois et 24 jours devant la CNDA) et même trois mois s’il est recouru à une procédure accélérée. Cet objectif a d’une certaine manière été inscrit dans la loi : le candidat à l’asile dont la demande n’aura pas été traitée dans les neuf mois pourra accéder au marché du travail (C. étrangers, art. L. 744-11).
Un nombre impressionnant de dispositifs ont directement vocation à accélérer le traitement des demandes de protection. Certains sont pour l’essentiel inédits et trouvent leur origine dans la directive n° 2013/32 :
1) Procédure d’irrecevabilité pour rejeter une demande « sans vérifier si les conditions d’octroi de l’asile sont réunies » lorsque le candidat bénéficie d’une protection dans un autre État ou présente une demande de réexamen sans élément nouveau (C. étrangers, art. L. 723-11) ;
2) Procédure de clôture du dossier en cas de dépôt tardif de la demande, de refus de fournir des informations essentielles ou d’absence d’information sur le lieu de résidence (C. étrangers, art. L. 723-13), la réouverture du dossier pouvant être sollicitée dans les neuf mois ;
3) Demande d’examen médical pour, même si la loi ne l’indique pas, vérifier la pertinence d’une persécution (C. étrangers, art. L. 723-5).
La loi a par ailleurs réformé dans un sens restrictif plusieurs points touchant à la procédure d’examen de la demande :
1) Procédure de refus d’entrée d’asile à la frontière lorsqu’une demande relève d’un autre État européen, que l’intéressé bénéficie d’une protection dans un autre État membre, que la demande de réexamen est dépourvue de pertinence ou que la demande est manifestement infondée (C. étrangers, art. L. 213-8-1). Ce dernier critère fait désormais l’objet d’une définition légale, il est vrai assez très imprécise en renvoyant à une demande « manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité ». La loi innove par ailleurs en prévoyant que l’avis favorable de l’OFPRA liera le ministre de l’Intérieur ;
2) Obligation pour le demandeur de présenter « aussi rapidement que possible » sur la base de déclarations « cohérentes et crédibles » tout élément et document dont il dispose concernant son âge, son histoire personnelle, y compris celle de sa famille, son identité, sa ou ses nationalités, ses titres de voyage, les pays ainsi que les lieux où il a résidé auparavant, ses demandes d'asile antérieures, son itinéraire et les raisons justifiant sa demande (C. étrangers, art. L. 723-4). Il doit par ailleurs « fournir des informations essentielles à l'examen » sous peine de s’exposer à une clôture de son dossier (C. étrangers, art. L. 723-13). Ces précisions n’ont rien d’inédites. Elles codifient une exigence somme toute banale : un candidat à l’asile est tenu de rapporter la preuve d’une persécution. La loi nuance d’ailleurs cette charge de la preuve en introduisant une présomption de persécution lorsque l’intéressé a déjà fait l'objet de persécutions ou d'atteintes graves ou de menaces directes pour sa vie ou sa liberté. Dans le même temps, le législateur n’a apporté aucune réponse à une critique de la Cour européenne des droits de l'homme (réitérée à cinq reprises depuis 2015) portant sur la dénaturation de preuves de persécution (voir ainsi CEDH, 9 juill. 2015, R.K. c/ France, n° 61264/11, CEDH, 15 janv. 2015, n° 18039/11 et 80086/13, A.A. et A.F. c/ France et CEDH, 19 sept. 2013, n° 10466/11, R. J. c/ France) ;
3) Mise en place d’une « procédure prioritaire » par substitution de la « procédure accélérée » (13 254 procédures en 2013, soit 25,6 % de la demande globale). Le recours à cette procédure intervient de plein droit si le demandeur provient d’un pays sûr ou a présenté une demande de réexamen qui n’est pas irrecevable ou sur décision de l’OFPRA si la demande est entachée d’une fraude, soulève « des questions sans pertinence » ou repose sur des « déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles » (C. étrangers, art. L. 723-2). Le préfet pourra en solliciter l’application si le candidat à l’asile s’oppose à un relevé d’empreinte, livre des indications erronées lors de son enregistrement en préfecture, ne dépose pas sa demande dans les 120 jours suivant son entrée en France, présente une demande pour faire échec à une mesure d’éloignement ou constitue une menace grave pour l’ordre public.
4) Possibilité de clôturer un dossier si le candidat à l’asile refuse de collaborer (C. étrangers, art. L. 723-13).
5) Révocation du droit de séjour lorsqu’un candidat à l’asile bénéficie d’une protection dans un pays, retire sa demande, ne dépose pas son dossier dans les délais légaux, ne se présente pas à un entretien, refuse de communiquer des informations « essentielles » ou une adresse, demande un réexamen pour faire échec à une mesure d’éloignement ou fait l’objet d’une procédure d’extradition ou d’un mandat d’arrêt (C. étrangers, art. L. 743-2 et L. 743-3). Le maintien sur le territoire peut exposer l’intéressé à une obligation de quitter le territoire (C. étrangers, art. L. 511-1, I, 6°).
6) Conception extensive des demandes de réexamen qui ne se réduisent pas à la démarche effectuée après un premier rejet mais s’étendent aux cas de retrait d’une demande antérieure, de décision de clôture à la suite d’une renonciation à une première demande et de départ du demandeur (C. étrangers, art. L 723-13). Les intéressés pourront prétendre à un « examen préliminaire » et produire des éléments nouveaux qui augmentent « de manière significative la probabilité (de justifier) des conditions requises pour prétendre à une protection » (C. étrangers, art. L. 723-16). À défaut, une décision d’irrecevabilité sera opposée ; si ces conditions sont respectées, la demande sera examinée de plein droit selon la procédure accélérée.
7) Encadrement des demandes de protection déposées en rétention administrative (C. étrangers, art. L. 556-1). Désormais, le préfet pourra estimer, sur la base de « critères objectifs », qu’une demande est présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement et maintenir l’intéressé en rétention pour l’éloigner du territoire si l’OFPRA rejette finalement sa demande de protection.
8) Cadre d’échange d’informations entre les préfectures, l’OFPRA, l'autorité judiciaire et la CNDA pour recueillir tout élément relatif à une procédure criminelle ou correctionnelle de nature à faire suspecter qu'un candidat à l'asile ou au statut d'apatride, un réfugié, un protégé subsidiaire ou un apatride relève d'une clause d'exclusion (C. étrangers, art. L. 713-5 et L. 713-6). L'autorité judiciaire pourra également communiquer tout élément de nature à faire suspecter le caractère frauduleux d'une demande. Simultanément, l’OFPRA peut informer l'autorité judiciaire qu’un candidat à l’asile relevait d'une clause d'exclusion pour engager des poursuites (C. étrangers, art. L. 721-4).
Ces différentes procédures sont mises au service d’une même fin : favoriser un traitement diligent des demandes pour assurer, en cas de refus, un départ du candidat débouté vers son pays ou l’État européen compétent pour traiter la demande. Le rejet d'une demande de protection mettant fin au droit de séjour provisoire, il impose à la personne concernée de quitter spontanément le territoire national. À défaut, elle s'expose à une obligation de quitter le territoire (C. étrangers, art. L. 743-4). Cette possibilité est explicitement prévue (C. étrangers, art. L. 511-1, I, 6°).
2. La réforme du contentieux de l’asile
La loi du 29 juillet 2015 bouleverse radicalement la procédure contentieuse en visant à la fois la CNDA (la totalité du titre 3 du livre 7 relatif à la Cour a été réformée) et les tribunaux administratifs. Au lendemain du décret no 2013-751 du 16 août 2013 qui avait modifié la quasi-totalité de la procédure réglementaire (sans préjudice des décrets d’application à venir), le contentieux de l’asile a ainsi été totalement redessiné.
a) Nombre de points réformés prennent la forme d’une codification de pratiques ou de principes jurisprudentiels. C'est ainsi que pour la première fois depuis la création de la CNDA (1952 !), le législateur prend acte de la nature du contentieux de l’asile et consacre symboliquement la « qualité de juge de plein contentieux sur le droit du requérant à une protection au titre de l'asile au vu des circonstances de fait dont elle a connaissance au moment où elle se prononce » (C. étrangers, art. L. 733-5.). La loi codifie à cette occasion une pratique selon laquelle le renvoi d’un dossier après une annulation n’est possible que si l’OFPRA s’est abstenu de procéder à un examen individuel de la demande, que ce dernier s’est irrégulièrement dispensé de procéder à un entretien personnel ou que la Cour n'est pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive.
D’autres pans de la réforme ne bouleverseront pas non plus le contentieux dès lors qu’ils touchent à l’organisation de la Cour nationale du droit d'asile. Présentant une nature réglementaire, ils encombrent d’ailleurs inutilement la loi. On songe au remplacement des « sections » par des « formations de jugement » regroupées en « chambres » et « sections » et aux règles de nomination des membres. Il est notamment indiqué, précision inutile espère t-on, que les personnalités qualifiées doivent être choisies pour leurs « compétences dans les domaines juridique ou géopolitique » (C. étrangers, art. L. 732-1).
La loi a enfin prévu le principe d’audiences foraines au siège d’une juridiction administrative ou judiciaire pour éviter le déplacement de requérants qui, pour 60 % d’entre eux, ne résident pas en Ile-de-France (C. étrangers, art. L. 733-1). Jusqu’alors, ces audiences étaient pratiquées en Guadeloupe. Elles prolongent la possibilité de recourir à la télé-audience qui est autorisée depuis 2011.
b) D’autres points de la réforme sont clairement mis au service d’un traitement plus diligent des requêtes. Cet objectif a été assumé par le gouvernement qui a imposé un délai de jugement de cinq mois dont la méconnaissance n’est toutefois assortie d’aucune sanction (C. étrangers, art. L. 731-2). Ce délai est ramené à cinq semaines lorsque l'OFPRA a recouru à la procédure accélérée (C. étrangers, art. L. 723-2) ou a opposé une décision d’irrecevabilité (C. étrangers, art. L. 723-11). Le recours est alors examiné par un juge unique qui pourra statuer par ordonnance (cette faculté sera précisée par voie réglementaire). Plusieurs points de la loi sont directement consacrés à cet objectif en visant les recours que la loi considère, par présomption plus ou moins feinte, dénués de chances de succès. On inclinera à penser que le législateur n’apporte ici aucune solution pérenne (existe t-elle, sauf à priver des justiciables d’une voie de recours effective ?) au sens où la réforme n’infléchira sans doute pas les flux contentieux qui font de la CNDA la première juridiction française par le nombre de recours.
Plus encore, la loi risque même de générer de nouveaux flux en explorant de nouvelles voies contentieuses:
1) Le contentieux du placement en rétention des candidats à l’asile a été adossé à celui des obligations de quitter le territoire sans délai (juge unique, audience publique, absence de rapporteur public, effet suspensif automatique). Comme cela est déjà la règle, les intéressés devront saisir dans les 48 heures un juge unique du tribunal administratif qui statuera dans un délai maximal de 72 heures. Pour sa part, la demande de protection sera examinée dans les 96 heures par l’OFPRA. Ce dispositif évoluera dans les mois à venir dans la mesure où le contentieux de la rétention est appelé à être réformé par la future loi relative au droit des étrangers.
2) La loi a clarifié le recours contre la décision de transfert d’un candidat à l’asile vers le pays européen compétent. La décision devra être déférée dans les quinze jours à un juge unique du tribunal administratif et même 48 heures si l’intéressé est retenu ou assigné à résidence (C. étrangers, art. L. 742-4). Cette action sera régie par les règles du contentieux de l’obligation de quitter le territoire sans délai. En réalité, le législateur a simplement codifié la solution dégagée par le Conseil d'État (CE réf., 4 mars 2015, n° 388180). Il a par ailleurs pris acte qu’un refus d’entrée en France assorti d’un transfert doit être contesté devant un juge unique du tribunal administratif dans les 48 heures, conformément au dispositif introduit en 2007 qui ne mentionnait pas ce cas de figure (C. étrangers, art. L. 213-9).
3) La décision de l’OFPRA de recourir à la procédure accélérée devra être contestée devant la CNDA dans le mois, à charge pour un juge unique de statuer dans un délai de cinq semaines (C. étrangers, art. L. 723-2 et L. 731-2). Ce dernier pourra renvoyer le dossier à une formation collégiale qui statuera alors selon les procédures de droit commun. La même voie de recours devra être utilisée pour contester une décision d’irrecevabilité de l’OFPRA (C. étrangers, art. L. 731-2).
3. Refonte du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile
a) L’objectif affiché d’équité et de justice s’est tout d'abord traduit par la consécration de deux garanties procédurales formulées par la directive n° 2013/32.
La première, déjà évoquée, autorise la présence d’un avocat ou d’un représentant d’une association humanitaire lors de l’entretien avec les agents de l’OFPRA. La seconde invite l’Office à prendre en compte la vulnérabilité du demandeur d’asile. La réforme en prend scrupuleusement acte sans que les critères, réserve faite des garanties reconnues aux mineurs isolés (C. étrangers, art. L. 752-2), soient suffisamment précis pour générer une obligation rigoureuse. C’est ainsi que l’OFPRA « peut définir les modalités particulières d'examen qu'il estime nécessaires pour l'exercice des droits d'un demandeur en raison de sa situation particulière ou de sa vulnérabilité » (C. étrangers, art. L. 723-3). La loi fixe ici des indices de vulnérabilité (minorité, torture, viol, « forme grave de violence psychologique, physique ou sexuelle »). Plus largement, l’OFPRA et l’Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) sont fondés à détecter dans un « délai raisonnable » des besoins particuliers en matière d'accueil (C. étrangers, art. L. 744-6).
L’objectif d’équité a par ailleurs conduit le gouvernement à unifier le statut des demandeurs d’asile qui peuvent désormais tous se prévaloir d’un droit de séjour jusqu’à la fin de la procédure. Cette consécration ne doit pas tromper : que vaut le droit de séjour d’un candidat à l’asile en instance de réadmission forcée vers l’État européen compétent, d’autant que l’intéressé peut désormais être assigné à résidence (C. étrangers, art. L. 742-2) ?
L’unification du droit a également valu pour le dispositif d’aide sociale qui faisait l’objet de sévères critiques (déficit de l’offre de logement, inflation des coûts, détournement de certaines aides, etc.). C’est ainsi que pour la première fois, son cadre juridique a été inscrit dans le Code des étrangers. Plus encore, le régime de l’offre de logement sera unifié sur la base d’un « schéma national d’accueil des demandeurs d’asile » piloté par un gestionnaire unique, l’Office français de l'immigration et de l'intégration (C. étrangers, art. L. 744-1 suiv.). La loi a également unifié le régime des aides en instituant une « allocation pour demandeur d’asile » censée être adaptée à la situation sociale et familiale du candidat à l’asile. Elle est désormais inscrite dans le Code des étrangers (art. L. 744-9 et L. 744-10). Gérée par l’OFII, elle bénéficiera aux candidats à l’asile (y compris ceux qui sont dans l’attente d’une réadmission), aux protégés temporaires (Cf. C. étrangers, art. L. 811-1) et aux victimes du proxénétisme (Cf. C. étrangers, art. L. 316-1). Son extension aux personnes en instance de réadmission avait déjà été imposée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 27 sept. 2012, aff. C-179/11, CIMADE et GISTI c/ Min. Int. et CE, 30 déc. 2013, no 350193, CIMADE) et admise par la loi n° 2014-891 du 8 août 2014.
L’unification du droit est toutefois loin d’avoir été réalisée. On pourra ainsi déplorer que les sources du dispositif d’aide sociale aient été dispersées entre le Code des étrangers et celui de l'action sociale et des familles (art. L. 348-1 et L. 348-2) et que le Code du travail continue d’organiser les missions de l’OFII (art. L. 5223-1 suiv.). On s’étonnera encore que l’allocation temporaire d’attente, qui continuera d’être versée par Pôle emploi, n’ait pas été supprimée au profit d’une allocation unique versée aux candidats à l’asile et aux personnes protégées alors que seuls les protégés subsidiaires et les apatrides continueront d’en bénéficier (les réfugiés peuvent pour leur part prétendre au RSA). Facteur aggravant, ce dernier dispositif reste régi par le Code du travail (C. trav., art. L. 5423-8).
b) En visant des conditions d’accueil « plus directives », le ministre de l’Intérieur renvoyait implicitement aux aides sociales dues aux candidats à l’asile. En apparence, la réforme est radicale : le cadre juridique est désormais inscrit dans le Code des étrangers et son cadre est unifié autour d’un schéma national et d’un gestionnaire unique, l’Office français de l'immigration et de l'intégration (C. étrangers, art. L. 744-1 suiv.). Mais dans le même temps, le régime des aides continue d’être défini par le Code de l'action sociale et des familles (art. L. 345-2, L. 348-1 et suivants et R. 348-1 et suivants)…
Le gouvernement a souhaité affirmer une position de fermeté : les étrangers qui refusent une offre de prise en charge dans un centre d'hébergement perdent le bénéfice de toute aide matérielle pour l’avenir (C. étrangers, art. L. 744-7). La légalité de cette sanction qui n’est donc pas totalement inédite avait été admise (CE, 16 juin 2008, no 300636, CIMADE). L’obligation d’accepter une offre de logement est d’autant plus stricte que, pour mettre fin à la concentration géographique des demandeurs (40 % d’entre eux résident en Île-de-France et 12 % en Rhône-Alpes), la loi permet désormais d’affecter un demandeur d’asile dans une autre région que celle où il se présente. Cette possibilité a été justifiée par la volonté de mettre fin à des effets de filières et de concentration communautaire. Par ailleurs, après appréciation de la vulnérabilité de l’intéressé, le préfet pourra limiter ou suspendre les conditions matérielles d'accueil si une personne abandonne son lieu d'hébergement, ne respecte pas l'obligation de se présenter aux autorités ou à un entretien devant l’OFPRA, ne répond pas aux demandes d'information, dissimule ses ressources financières, fournit des informations mensongères sur sa situation familiale ou sollicite le réexamen de sa demande d'asile ou ne sollicite pas l'asile dans les délais (C. étrangers, art. L. 744-8).
La réforme introduit par ailleurs une procédure d’expulsion d’une personne qui occupe indument un centre d'hébergement (en 2013, le taux d'occupation indue était de 6 %, avec des pics à plus de 20 % dans certains départements). Pour mettre fin à cette situation, la loi du 29 juillet 2015 autorise le préfet à engager une action devant le président du tribunal administratif qui statuera sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (C. étrangers, art. L. 744-5). Cette procédure est également applicable aux personnes violentes ou ayant commis des manquements graves à l’occasion de leur hébergement.
4. Droits reconnus aux réfugiés et aux protégés subsidiaires
a) Le législateur a tout d’abord clarifié le droit de séjour en rappelant que les réfugiés et les protégés subsidiaires sont admis à souscrire de plein droit une demande de carte de résident pour les premiers et de carte de séjour pour les second dont il bénéficie (C. étrangers, art. L. 314-11, 8° et L. 313-13). Dans les huit jours, ils sont mis en possession d'un récépissé de demande de titre de séjour de six mois renouvelable dans l’attente de la remise d’un titre définitif dont les délais continuent de ne pas être précisés (C. étrangers, art. L. 311-5-1 et L. 311-5-2). Les enfants mineurs, le conjoint et les ascendants directs au premier degré si le réfugié est un mineur non marié peuvent se prévaloir de ce droit de séjour. Pour satisfaire aux exigences de la directive n° 2013/33, la loi définit précisément le périmètre du droit de séjour du conjoint (mariage ou partenariat civil antérieur à l'obtention de la protection ou célébré depuis au moins un an, communauté de vie effective, liaison stable et continue).
La loi a par ailleurs redéfini les modalités de circulation du réfugié statutaire et du protégé subsidiaire en modifiant les conditions de délivrance du « document de voyage » tel qu’il est prévu par l'article 28 de la convention de Genève. Sa remise intervient de plein droit, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ou d'ordre public ne s'y opposent (C. étrangers, art. L. 753-1 et L. 753-2). Ce document l'autorise à voyager hors du territoire français, à l'exclusion du pays d’origine. Ce droit est également reconnu à l'enfant mineur du réfugié ou du protégé subsidiaire présent sur le territoire français, qui ne peut pas bénéficier de l'asile et qui est dans l'impossibilité d'obtenir un passeport auprès des autorités de son pays (C. étrangers, art. L. 753-2-1).
La loi du 29 juillet 2015 a enfin codifié les clauses de cessation visées par la Convention de Genève qui, pour ce motif, ne pouvait pas être unilatéralement modifiée par le législateur. Pour les réfugiés, ces clauses peuvent être rangées en quatre catégories : allégeance à l’égard des autorités de son pays ; demande de nationalité de son pays après en avoir été déchu ; acquisition d’une nouvelle nationalité ; retour dans le pays d’origine ; changement du climat politique « suffisamment significatif et durable pour que les craintes du réfugié d’être persécuté ne puissent plus être considérées comme fondées » (C. étrangers, art. L. 711-4, al. 1) ; exclusion pour des circonstances intervenues après la reconnaissance du statut (C. étrangers, art. L. 711-4, 1° et 3°) ; découverte d’une fraude (C. étrangers, art. L. 711-4, 2°) ; menace grave pour l’ordre public (C. étrangers, art. L. 711-6). Ces clauses sont pour l’essentiel opposables au protégé subsidiaire, C. étrangers, art. L. 712-3). Dans tous les cas, elles peuvent être appliquées sur initiative de l’OFPRA ou du préfet (C. étrangers, art. L. 711-4 et égal. L. 724-1 pour l’obligation d’information de la personne concernée). Lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié ou de protégé subsidiaire résulte d’une décision de justice, la CNDA ou le Conseil d’État pourra être saisie par l’OFPRA ou par le ministre chargé de l’asile (C. étrangers, art. L. 711-5 et L. 712-4).
b) Les garanties jurisprudentielles attachées au principe d’unité de la famille et les différences opérées par le Conseil d'État entre les réfugiés et les protégés subsidiaires ont été remises en cause par la loi du 29 juillet 2015 qui définit très largement le droit de séjour de l’entourage familial et en facilite l’accès. Dans le même temps, la réforme s’abstient d’étendre le bénéfice du statut de réfugié ou de protégé subsidiaire aux membres de la famille en se bornant à reconnaître un droit de séjour. Cette garantie était attachée au principe d’unité de la famille.
Jusqu’alors, un principe général du droit applicable aux réfugiés, le principe d’unité de la famille, exigeait que la qualité de réfugié soit reconnue à la personne de la même nationalité qui, à la date à laquelle le réfugié a demandé son admission au statut, était unie à lui par le mariage ou entretenait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille. Ce droit s’étendait aux enfants mineurs au moment de leur entrée en France (CE, ass., 2 déc. 1994, n° 112842, Agyepong). Le Conseil d'État avait censuré l’extension de cette garantie aux protégés subsidiaires (CE, 18 déc. 2008, no 282245, OFPRA). En étendant le droit à la réunification aux protégés subsidiaires, la réforme du 29 juillet 2015 renverse cette analyse (C. étrangers, art. L. 752-1). Sur ce fondement, la réunification pourra être sollicitée par le conjoint, le partenaire ou le concubin majeur, les enfants non mariés du couple âgés au plus de 19 ans et les ascendants directs au premier degré si le réfugié est mineur.
Le droit à la réunification est conditionné au respect de la procédure de regroupement familial qui s’applique partiellement (C. étrangers, art. L. 411-2, L. 411-3, L. 411-4 et L. 411-7, al. 1). La réunification familiale n'est toutefois pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement (C. étrangers, art. L. 752-1). La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, « conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil » (C. étrangers, art. L. 752-1). Elle peut être également refusé à un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou s’il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile.
Point particulièrement sensible, la réforme du 29 juillet 2015 entend favoriser l’accès au territoire français et, par conséquence la délivrance d’un visa de long séjour « dans les meilleurs délais » (C. étrangers, art. L. 752-1). Cette volonté fait écho à plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme qui avait notamment pointé l’absence de facilité procédurale et l’obligation de produire des documents d’état civil difficiles ou impossibles à obtenir (CEDH, 10 juill. 2014, no 2260/10, Tanda-Muzinga c/ France). Désormais, en l'absence d'acte de l'état-civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état et les documents établis ou authentifiés par l'Office pourront justifier d’une situation de famille et d’une identité.